« Réguler » les religions ou non, le dilemme de l’État malien

Par kibaru

Devant l’implication de plus en plus grande des responsables religieux dans la vie politique malienne, l’État hésite à prendre en main l’organisation des religions, selon un rapport de l’International Crisis Group publié mardi 18 juillet.

La dimension religieuse occupe-t-elle une place trop importante dans la société malienne ? C’est sur cette épineuse question, centrale dans ce grand pays d’Afrique de l’ouest, que l’International Crisis Group (ICG) – ONG spécialisée dans la prévention et la résolution des conflits – se penche dans un rapport publié mardi 18 juillet.

Se fondant sur un important travail de terrain, ses experts mettent au jour une montée en puissance du poids des religieux dans la vie publique, dans ce pays où 95 % de la population serait musulmane.

Consignes de vote

« Les responsables musulmans affirment de plus en plus ouvertement qu’ils ont le droit et même le devoir d’intervenir dans les grands débats de société », peut-on lire dans le rapport. Les responsables religieux, en particulier musulmans, n’hésitent pas, par exemple, à donner des consignes de vote, quand ils ne se présentent pas eux-mêmes.

Selon les chercheurs de l’ICG, cette évolution fait craindre aux Maliens que l’islam ne « s’impose comme principale source de règles sociales, menaçant un mode de vie auquel ils sont attachés ». Une crainte renforcée par l’amalgame – « facile mais erroné » soulignent les chercheurs – « entre influence du religieux et violence ».

Propos haineux

Face à cela, l’État malien, lui, cherche à reprendre la main et à « réguler » plus strictement la sphère religieuse. Les exemples d’abus sont multiples : manque de formation des imams et des prêcheurs favorisant un discours de haine, constructions sans autorisation de mosquées ou d’églises, diffusion de propos haineux sur des radios confessionnelles et incapacité de l’État à contrôler les financements privés des cultes.

Le rapport cite, à titre d’exemple, ces nombreuses ONG étrangères qui financent directement la construction de lieux de culte, comme Qatar Charity, ONG qatarienne qui a dépensé 6 millions d’euros entre 2009 et 2014 pour bâtir 140 mosquées dans le pays…

Problème, selon les experts de l’ICG, l’État malien n’a pas les moyens de ses ambitions. « Lorsque le préfet d’une localité a tenté de dissuader des individus de construire une mosquée car ils n’avaient pas obtenu de permis, ceux-ci ont répondu que la banque et le bar de l’autre côté de la rue n’avaient pas non plus d’autorisation pour exercer des activités commerciales, et qu’ils n’étaient pas inquiétés pour autant », peut-on lire dans le rapport.

Plus grave, en « régulant » la sphère religieuse, les pouvoirs publics risqueraient d’obtenir les effets inverses à ceux recherchés. « Une immixtion de l’État dans le champ religieux pourrait être perçue comme une nouvelle attaque de l’Occident contre les valeurs maliennes », notent ainsi les chercheurs.

Régulation « concertée »

Les chercheurs de l’ICG préconisent donc une « régulation a minima et de manière concertée » avec les responsables religieux maliens, qui peuvent constituer une « une force stabilisatrice » du pays.

Mi-2016 et début 2017, les religieux se sont par exemple impliqués pour apaiser des tensions sociales liées aux « opérations de déguerpissement » (libération par les autorités de terrains occupés illégalement) et à une grève des magistrats. Les imams peuvent donc constituer une « contribution positive » à la société malienne.

 

Pays de 15 millions d’habitants, 95 % de la population malienne est musulmane, et 2,5 % est chrétienne, selon un recensement de 2009.

Le nord du Mali était tombé en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes djihadistes liés à Al-Qaida à la faveur de la déroute de l’armée face à la rébellion, d’abord alliée à ces groupes qui l’ont ensuite évincée.

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