L’étiolement de l’essence de la politique en Mauritanie

Par kibaru

Il est aujourd’hui un discours très répandu au sein de tous les milieux mauritaniens selon lequel la politique locale serait atteinte, pour dissimuler le mot « déclin » qui viendrait d’emblée à l’esprit des citoyens, de langueur, de l’étiolement de son essence. Elle a perdu progressivement son caractère exaltant et noble, sa profondeur et sa hauteur, pour s’étaler dans le superficiel, le contingent, le « courtérisme », devenant par-là synonyme, dans la conscience populaire, de calcul égoiste et d’opportunisme.

On peut se scandaliser que la politique soit ainsi placée au banc de l’infamie, qu’un véritable fossé, de plus en plus béant, se creuse entre la vie politique et la vie réelle de la population et singulièrement des générations futures. Certes, ce recul de la passion et de la participation politiques est aujourd’hui un phénomène qui touche toutes les sociétés du monde, comme le corrobore amplement la progression tendancielle de l’abstentionnisme partout dans le monde, quel que soit le niveau du scrutin : local, national, régional… Il n’est pas non plus  l’apanage exclusif de notre époque : même dans la cité grecque, souvent prise comme exemple en la matière, on regrettait déjà le manque d’engouement pour la politique comme le soulignaient Démosthène et Périclès.

En dépit de ces circonstances atténuantes, mondiales et historiques, cette méfiance et  ce désintéressement  du peuple à l’égard du jeu politique n’ont rien de réjouissant. Ils  sont même doublement dangereux en Mauritanie.  Car le recul de la politique, la nature ayant  horreur du vide, est automatiquement supplanté par l’extrémisme et le terrorisme et par la résurgence  des formes primitives et nocives  d’organisation sociale encore vivaces en Mauritanie comme la tribu, l’ethnie, la région et qui sont, par essence, antinomiques avec l’édification d’un Etat moderne. Ensuite, la politique, même si elle passionne et divise, reste la condition moderne de l’émancipation et de l’épanouissement de l’homme, en tant que sujet distinct et collectif, mais aussi le meilleur moteur de fonctionnement de la société et des nations.  En tant que telle, elle est une nécessité impérieuse pour la vie humaine,  et son   rejet constaté  est moins une  remise en cause de son principe, qu’une distance critique vis-à-vis du personnel et des formations politiques qui  l’ont défigurée et discréditée ; elle est  une formulation, une revendication, quoique confuse, d’une autre politique capable de se fixer sur l’essentiel, d’irriguer une réflexion de nature stratégique  exclusivement portée sur l’intérêt général.  Une nouvelle politique où les partis ne sont pas la propriété privée d’un homme, d’une tribu, d’une région, d’une ethnie. Ils ne sont pas non plus  des partis idéologiques, cette forme qui a longtemps subjugué les peuples avec des slogans creux et des étendards pompeux, pour se retrouver aujourd’hui sans regret dans «  la poubelle de l’histoire ». De même leur floraison exponentielle, jusqu’à avoisiner la centaine, ne doit pas être considérée comme un signe pathognomonique de vitalité démocratique, loin s’en faut.

Au contraire, les partis, dont le nombre est à  revoir  sensiblement à la baisse, doivent redonner aux citoyens des raisons réelles d’adhérer à un projet de société visant les intérêts suprêmes et la cohésion nationale. Ils doivent être un cadre du donner et du recevoir offrant  aux citoyens et en particulier aux jeunes de la considération en les écoutant , en les associant aux débats, aux prises de décisions, et en leur accordant des postes de responsabilité. La politique se doit enfin de souligner certaines valeurs, faute de quoi elle est réduite à un spectacle misérable et artificiel, à un match meurtrier où tous les coups, même les plus ignobles, sont permis.  Pour ce faire, elle doit être fondée sur une culture démocratique, celle de la pondération, du respect et de l’acceptation de l’autre, du dialogue seul à même d’enrichir la démocratie, de renforcer notre bien commun, loin de la calomnie, de la haine  et de l’invective « à la petite semaine ».  

 Tel est ce nouveau versant que nous devons emprunter pour restituer à la politique ses lettres de noblesse aujourd’hui ternies  par une certaine pratique, cause de son dépérissement aux yeux de l’opinion publique.

                                          Docteur Abdallahi Ould Nem