Amadou, renvoyé d'Algérie vers le désert : "J'ai vu trois personnes mourir sous mes yeux"

Par kibaru
Avec d'autres migrants, Amadou a parcouru 40km dans le désert (archives). Crédit : Picture alliance

Amadou* travaillait depuis deux ans dans la ville algérienne de Tamanrasset quand des policiers sont venus le chercher pour le renvoyer dans le désert, en direction du Niger. Le trentenaire originaire d'Afrique de l'Ouest raconte à InfoMigrants sa traversée du désert et son difficile retour au pays.

"Un jour en revenant du travail, j'ai retrouvé mon logement sens dessus dessous. Mon appartement avait été saccagé par la police, selon les témoignages de mes voisins. On m'a volé un de mes téléphones et de l'argent : 300 000 dinars algériens et 2 000 euros. Cet argent, c'était ce que j'avais gagné depuis deux ans en travaillant dans le bâtiment. Il devait me servir pour mon retour au pays.

Deux jours plus tard, au beau milieu de la nuit, des policiers algériens ont encerclé ma maison. Ils sont rentrés chez moi, m'ont pris mon deuxième téléphone et l'argent que j'avais gardé sur moi, soit 35 000 dinars.

"Ils m'ont tabassé avec leurs matraques"

Les policiers m'ont emmené au poste de police où je suis resté plusieurs semaines. Tous les jours, ils me posaient les mêmes questions : 'Comment êtes-vous entré en Algérie ? Qu'est-ce que vous faites ici ?'. Je leur ai expliqué que je travaillais à Tamanrasset depuis deux ans et que j'attendais de récolter assez d'argent pour rentrer chez moi mais ils ne m'ont pas cru alors ils m'ont tabassé avec leurs matraques.

Après avoir été enfermé un mois dans une cellule, les policiers m'ont envoyé dans la 'cour de rapatriement'. Il y avait énormément de monde, je pense que nous étions au moins une centaine de migrants : beaucoup de jeunes hommes mais aussi des femmes, des enfants et même des nouveaux-nés.

Sous la menace de leurs armes, les Algériens nous ont fait monter dans des camions de marchandises, nous étions environ 50 personnes par benne. C'est là-dedans qu'ils mettent les bêtes d'habitude mais cette fois c'était pour nous.

"On avait tous très peur"

Au lever du jour, ils nous ont déposé après la ville algérienne de In Guezzam (ville frontalière avec le Niger, NDLR), en plein désert et nous ont dit de rejoindre le Niger, à 40 km, par nos propres moyens. Ils ont attendu que nous avancions et nous suivaient avec leur camion en pointant leurs armes sur nous. Au bout d'un moment, ils ont fait demi tour et sont retournés vers Tamanrasset.

On avait tous très peur car nous ne savions pas si nous tiendrons le choc en plein désert : le soleil vous brûle la peau, vous n'avez rien à boire à part un bidon d'eau d'un litre et demi pour parcourir ces 40 km, vous avez le ventre vide, vous luttez pour marcher. J'ai vu trois personnes mourir sous mes yeux ce jour-là. Ils étaient tellement fatigués qu'ils se sont effondrés au sol.

Heureusement, je suis quelqu'un de sportif donc j'ai réussi à m'en sortir même si la route était très difficile.

"Mon retour au pays s'est mal passé"

Nous sommes finalement arrivés à Assamaka (ville nigérienne frontalière de l'Algérie, NDLR) où nous avons été pris en charge par l'Organisation internationale des migrations (OIM) : le personnel nous a donné à manger et à boire et a soigné les plus faibles d'entre nous.

Le lendemain, on a été transférés dans le centre de l'OIM à Arlit (à environ 200 km au sud de Assamaka, NDLR). Le site était très sale, les toilettes sont remplies d'excréments, rien n'est jamais nettoyé. On devait se laver dans les toilettes avec des bidons d'eau mais tout le monde avait peur d'entrer dans ces pièces et d'attraper une maladie.

Au bout de quelques semaines, j'ai été renvoyé dans mon pays. J'étais content car c'était ce que je voulais mais mon retour s'est mal passé. En partant, ma famille comptait sur moi et je suis revenu les mains vides. Mon retour signifiait une bouche de plus à nourrir.

Comment rester là et affronter leur regard ? Ma famille a besoin de moi alors quelques temps après être revenu, j'ai pris la décision de repartir vers la Libye. Aujourd'hui j'y suis encore."

*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé. Amadou ne souhaite pas non plus que son pays d'origine soit mentionné.

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