La MINUSMA ferme ses derniers camps et quitte le Mali Des manœuvres diplomatiques au Mali

Les Sénégalais geôliers des otages d'AQMI et groupes affiliés

Par kibaru
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Devant la chambre criminelle, l'accusé Abdou Akim Mbacké Bao a pris tout le monde de revers. Sans prendre de gants, l'ancien combattant d'Aqmi n'a pas hésité à passer à table. De son engagement au sein de ce groupe jihadiste aux raisons qui l'y ont conduit, en passant par les fonctions qu'il y occupait, il n'a rien omis.

Appelé à la barre, le jihadiste sénégalais affirme avoir été arrêté au Burkina Faso par les forces de sécurité du pays des Hommes intègres. Mais avant cela, Abdou Karim Mbacké Bao était très actif au sein d'Aqmi où il a milité trois années durant. Et c'est lui qui le dit au tribunal. L'homme nous apprend que de 2012 à 2015, il a été membre d'Al Qaida au Magreb Islamique (AQMI) dont la branche saharienne est depuis mars 2017 partie intégrante du Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans.

Très bavard au point d'inquiéter son avocat qui s'est arcbouté sur la thèse de la démence pour le sauver d'une condamnation certaine, l'ancien élève au Lycée Blaise Diagne de Dakar de confier qu'il a fait allégeance à Aqmi pour des raisons pécuniaires. Pour se faire précis, il indique qu'il était dans la katiba Furkhan, alors dirigée par Yahya Abou El Hamam, l'actuel chef de l'Emirat du Sahara d'Aqmi, également membre du GSIM. Au sein de ce groupe, Abdou Akim Mbacké Bao dit avoir appris le maniement de “toutes les armes”. Les explosifs n'ont pas de secret pour lui. A preuve, il s'est même prêté à un exercice pour le moins troublant. Devant le juge, l'ancien étudiant en maintenance informatique n'a pas hésité à faire la démonstration de la fabrication...d'une bombe. “La combinaison du nitrate d’ammonium, du gas-oil et du produit jaune permet de piéger les véhicules. Avec une petite quantité de TNT, on peut faire exploser les véhicules légers. Pour faire exploser les voitures militaires, il faut utiliser une grande quantité de TNT. On utilisait les mines antichars contre les véhicules de combat. Les obus sont tirés de façon artisanale contre les militaires. S’agissant des candidats pour l’attentat au suicide, je précise que ces derniers portent des gilets avec des poches remplis d’explosifs mélangés à ce produit jaunâtre et du nitrate”, a-t-il détaillé. Même s'il avoue avoir pris part aux accrochages de son groupe avec l'armée malienne, l'ancien (?) jihadiste de révéler qu'il n'a jamais ôté la vie d'un soldat malien.

Aussi, il a déclaré devant la chambre criminelle qu'il a surveillé pour le compte d'Aqmi des otages. Captifs dont il connaissait la nationalité. Il a cité de suédois, néerlandais et sud-africains. Toutefois, il s'est gardé de citer les noms de ces otages. Mais ces derniers pourraient bien être le suédois Johan Gustafson, le néerlandais Sjaak Rijke et le sud-africain Stephen Mc-Grown enlevés en même temps en novembre 2011, à Tombouctou, dans le nord du Mali. Le rapt a été revendiqué par Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) du nom du groupe auquel Abdou Akim Mbacké Bao dit avoir appartenu dans un passé très récent. Ces otages ont tous recouvré la liberté. L'armée française a libéré le Néerlandais Sjaak Rijke le lundi 26 avril 2015 tandis qu'aussi bien le suédois Johan Gustafsson que le sud-africain ont été relâchés respectivement le 26 juin et le 29 juillet 2017 par le groupe jihadiste. Contre versement de rançons ?  Il est de notoriété publique que Aqmi a fait de l'enlèvement des ressortissants de pays occidentaux établis dans le Sahel l'une de ses principales sources de revenu. Abdou Akim Mbacké Bao a t il été attiré par les millions d'euros qu'il entendait bruire autour du rapt d'étrangers puisque le sénégalais a expliqué devant la barre avoir rejoint les combattants jihadistes pour avoir de l'argent. Mais il faut savoir qu'il n'est pas le seul sénégalais à avoir fait office de geôliers pour AQMI ou des groupes affiliés. C'est le diplomate canadien Robert Fowler qui éclaire notre lanterne à ce sujet.

“Ibrahim, le Sénégalais geôlier pour Al Mulathamin”

Le 14 décembre 2008, le diplomate canadien Robert Fowler et son assistant Louis Guay qui se trouvaient au Niger dans le cadre d’une mission des nations-unies sont kidnappés avec leur chauffeur Soumana à Samira, une contrée de l’ouest nigérien séparée de la capitale Niamey que par 35 petits kilomètres. Un Sénégalais fait partie du commando de trois djihadistes de la brigade d’El Mulathamin (les enturbannés) qui a perpétré le rapt. Ibrahim, la vingtaine, va d’ailleurs marquer le diplomate canadien qui, dans son livre « Ma saison en enfer : 130 jours de captivité aux mains d’Al-Qaïda », mentionne toutes les fois où le pénitentiaire jihadiste est intervenu pour une raison ou pour une autre.

D’abord, c’est Ibrahim que le tire de son projet de s’enfuir dès les premières heures de sa captivité. Jeté dans la boite du Pickup des ravisseurs au même titre que ses deux camarades d’infortune, direction le nord du Mali où Mokhtar Belmokhtar et ses hommes étaient établis, il sera édifié quelques heures plus tard sur les auteurs de cet enlèvement qui n’a duré que 45 secondes. Là encore, c’est le Sénégalais qui intervient. Son identité et sa nationalité sénégalaise déclinées, Ibrahim jauge le diplomate canadien : « Alors, avez-vous trouvé qui nous sommes ? ». Fowler essaye une réponse qui fera sortir le jeune sénégalais djihadiste de ses gonds. « Je vous ai dit que je suis Sénégalais. Qu’est-ce que je ferais chez une bande d’amateurs comme eux », s’emporte-t-il. Il vient de faire allusion aux rebelles du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) qui, à l’époque avait déjà fait parler d’eux en enlevant quatre français salariés de Areva avant de les libérer quelques jours plus tard. Le Sénégalais ne s’identifie pas à ces Touaregs qui réclamaient plus d’égard au gouvernement nigérien. « Nous sommes Al Qaïda », tonna Ibrahim qui a dû apercevoir l’effet de l’annonce qu’il vient de faire chez son prisonnier. En revanche, contrairement à Hassan du nom de l’autre noir Africain du commando qui s’est voulu impitoyable avec les otages, le Sénégalais a plutôt fait montre d’une courtoisie qui contrastait tout de même avec ses idéologies djihadistes. Il s’est même permis de présenter ses nouveaux « amis » occidentaux à son frère dans un camp dénommé « La Gare Centrale » par Robert Fowler dans son livre. Pour la première fois, le diplomate qui n’avait bu une seule goutte d’eau car impropre à la consommation à son goût, s’empare de la gourde qui lui tendit le frère du Sénégalais et le vida d’un seul trait. Et se saisit d’une deuxième qui vécut le même sort, avec la complicité de Louis Guay. Passée cette étape, ils sont embarqués pour un nouveau périple mais cette fois-ci, se remémore le diplomate canadien, le voyage dura le temps d’une rose. Ils sont otages d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Ça, Robert Fowler et son concitoyen le savaient. Ce qu’ils ignoraient par contre, c’est qu’ils ont été enlevés par des hommes du Ben Laden du Sahara, Mokhtar Belmokhtar comme le décrit le journaliste Mauritanien Lemine Ould M. Salem dans son excellent livre consacré au parcours du djihadiste algérien. Ils ne vont pas tarder à le découvrir.

Au quatrième jour de leur nouvelle vie d’otages qui trimballent de camp en camp dans le Sahara, ils sont conduits auprès d’un borgne appelé Khaled Abou Al Abass par son proche entourage. Ibrahim leur révèle qu’en réalité, ils sont en face de Belmokhtar. Qui, s’adressant à ses hôtes, parle arabe. Le sénégalais joue les interprètes. Finalement, Robert Fowler et Louis Guay qui surnommèrent l’émir d’Al Mulathamin « Jack » seront libérés le 21 avril 2009 en contrepartie d’un versement d’une rançon de 700 000 euros, environ 460 millions FCFA sans qu’on sache à ce jour qui a cassé sa tirelire. En revanche, tout le monde sait que Blaise Compaoré et Amadou Toumani Touré respectivement anciens présidents du Burkina Faso et du Mali ont été mis à contribution pour un dénouement heureux de ce kidnapping.

Brossant le portrait de ses anciens geôliers, Robert Fowler se souvient d’Ibrahim comme « l’un des ravisseurs du début ». « Plus précisément, c’est lui qui m’a annoncé que nous étions aux mains d’Al Qaïda et puis quelques heures plus tard, à voix basse, qu’il admirait beaucoup Céline Dione », commente le diplomate Canadien. Qui, se lançant dans une description physique, ajoute : « il était grand, élancé et beau jeune homme, débordant d’une énergie qu’il contrôlait à peine ». « C’était le seul parmi nos geôliers qui semblait naturellement, spontanément sociable, et même espiègle ; chaque fois qu’il était au camp, il venait habituellement nous visiter pour bavarder ». L’ex otage affirme ignorer les raisons de l’embrigadement d’Ibrahim au sein de la brigade de Belmokhtar, mais révèle avoir entendu le Sénégalais parler de sa sœur qui vit au Canada et qui l’aurait enjoint de la rejoindre. Mais après ce dans quoi il vient de tremper, ses chances d’être accepté par le Canada sont proches de zéro. Celles d'Abdou Akim Mbacké Bao de voir ses excuses acceptées par la société sénégalaise le sont autant.

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