C’est l’opération de maintien de la paix la plus meurtrière de l’histoire. Installée en juin 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a déjà perdu près de 200 personnes. L’application des dispositions de l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement malien et les groupes rebelles du Nord marque un grand retard. Pendant ce temps, l’insécurité, longtemps contenue à la seule partie septentrionale du pays, se répand au centre. Chef de bureau de la Minusma à Tombouctou, Riccardo Maia dresse le bilan de cinq ans de présence des Casques bleus onusiens au Mali.
Lemine Ould M. Salem: Cinq ans après l’installation de la Minusma, la paix n’est toujours pas de retour au Mali, comme en témoigne les actes de violence qui persistent dans la région de Tombouctou. L’Onu a-t-elle échoué dans sa mission dans ce pays ?
Riccardo Maia: Parler d’échec est injuste. Quand nos premiers éléments sont arrivés au Mali, le pays était dans une situation extrêmement difficile. Dans la région de Tombouctou, beaucoup d’habitants avaient fui pour se réfugier dans les pays voisins ou dans le sud du pays. Aujourd’hui, une grande partie parmi eux est revenue, notamment les Arabes et les Touaregs qui avaient fui de crainte d’être victimes de représailles en raison de soupçons de liens avec les groupes rebelles ou jihadistes. Regardez les rues et les marchés de Tombouctou aujourd’hui. On y voit toutes les ethnies.
Le changement est aussi notable sur le plan politique. Aujourd’hui, les acteurs de la crise malienne se fréquentent, discutent et collaborent parfois sur le terrain. Un climat de confiance commence à s’installer entre eux. Ce qui n’est pas peu, pour des gens qui, quelques mois avant notre arrivée, se tiraient dessus. Une des meilleures preuves que des progrès ont été réalisés sur le chemin de la paix est l’organisation des élections présidentielles qui ont eu lieu cet été. Le vote s’est déroulé dans l’ensemble du territoire national. En dépit de quelques incidents minimes, les deux tours se sont déroulés de manière globalement satisfaisante. Les efforts déployés par la Minusma ne sont pas pour rien dans ces progrès.
Une autre preuve que les choses vont dans le bon sens est le renouvellement, en juin 2018, du mandat de la Minusma par le Conseil de sécurité de l’Onu, pourvu bien entendu que l’on progresse dans l’application de l’accord de paix. C’est d’ailleurs là où se situe l’urgence à mon avis, d’autant que les Maliens eux-mêmes sont pressés de tourner la page du conflit, de retrouver la sécurité et le déploiement de l’Administration et des services publics sur l’ensemble du territoire. Le président Ibrahim Boubacar Keita, qui a été réélu pour un second mandat promet d’ailleurs de tout faire dans ce sens.
Lemine Ould M. Salem: Mais la violence reste très présente. Les attaques jihadistes contre les forces maliennes et étrangères sont régulières et la violence commence à s’étendre à d’autres régions du pays, comme le Centre. N’y a-t-il pas urgence ?
Riccardo Maia: Il est vrai que nous sommes encore confrontés aux attaques de groupes jihadistes. La Minusma en a même été victime plusieurs fois, ici à Tombouctou, où notre camp a été la cible d’opérations très violentes. Ces attaques ont pour but de faire échouer le processus de paix que nous essayons de faire avancer au Mali. Mais ces groupes n’y parviennent pas, comme le prouve le travail que nous continuons à mener sur le terrain en collaboration avec les différents acteurs de la crise malienne. Cela dit, il ne faut pas confondre la situation dans le Nord avec celle en cours dans le Centre du pays. Comme dans le Nord du pays, le Centre est une zone où les services de l’Etat sont ciblés et attaqués. Mais dans le Centre il y a quand même toujours eu une présence de l’Administration et des services de l’Etat que la Minusma essaie de soutenir pour mieux gérer la situation. Cela dit, au nord comme au centre, on attend beaucoup de l’ONU. Ce qui explique peut-être le sentiment nourri chez certains que nous ne faisons pas assez. Le problème est que nous ne pouvons pas tout faire en même temps et seuls.
Lemine Ould M. Salem: A côté de la Minusma, il y a aujourd’hui plusieurs forces étrangères, comme la force régionale du G5 Sahel, l’opération française « Barkhane ». Ne trouvez-vous pas que c’est beaucoup ?
Riccardo Maia: Toutes ces forces sont complémentaires et visent le même objectif : le retour de la paix au Mali. La Minusma a pour tâche de soutenir les efforts politiques pour amener les différents acteurs de la crise à construire la paix. Elle a aussi pour mission de protéger la population. La Minusma n’a pas vocation à se battre militairement contre les groupes jihadistes qui entravent la marche du pays vers la paix. Cette mission échoit aux autres forces : l’opération française « Barkhane » et la force conjointe du G5 Sahel. Nous collaborons avec ces deux forces de manière régulière et étroite.
Lemine Ould M. Salem