Covid-19 : sous couvert de lutter contre les fake news, Google supprime de nombreuses applications de son Play Store

Par kibaru

L’information a provoqué quelques remous dans la communauté des développeurs d’applications pour smartphones et tablettes. Le 16 mai 2020, le fondateur de Podcast Addict, un agrégateur de podcasts, apprend que son application vient d’être suspendue de la plateforme Play Store de Google Android : autrement dit, qu’il n’est plus possible de la télécharger. Le choc est rude. Podcast Addict, ce sont près de deux millions et demi d’utilisateurs.

La pilule est d’autant plus amère que les raisons de ce retrait interrogent. L’application dont il est question propose à l’écoute des programmes qui parlent de la pandémie. Rien de plus normal à priori dans le contexte que l’on connaît. Mais le problème, c’est que Google a décidé de suspendre de sa plateforme toute application faisant référence au coronavirus. Officiellement, pour lutter contre les fausses nouvelles, et éviter la prolifération d’applications douteuses, comme cela avait été le cas avec les applications sauvages de téléchargement d’attestations dérogatoires qu’on a vu apparaître lors du confinement. Désormais lorsque l’on tape les mots "coronavirus" ou "covid" dans la barre de recherche de Play Store sur les smartphones gérés par Android, aucune proposition n’est faite à l’utilisateur, à l’exception de quelques applications validées par des organismes officiels, comme l’OMS ou la Croix Rouge. Car Google n’a pas simplement banni toute référence au virus. Il a aussi pris un parti radical : celui de considérer que seule la parole officielle a désormais droit de cité sur sa plateforme.

Pour Podcast Addict, l’affaire s’est bien terminée. Après que son administrateur a fait appel de cette décision, le 19 mai, Google l’a rétablie dans son catalogue. Pour éteindre l’incendie, Hiroshi Lockheimer, le patron du système Android, se fend alors d’un tweet d’excuses : "Nous en sommes encore en train de faire quelques réglages dans nos procédures de lutte contre la désinformation, mais cette application n’aurait pas dû être retirée."

Affaire classée ? Pas vraiment. La cellule investigation de Radio France a en effet pu établir que Podcast Addict n’est que l’arbre qui cache la forêt. Dans la réalité, la nouvelle politique de Google a contribué à écarter de son Play Store de nombreux autres développeurs qui n’ont rien à voir avec l’abus d’une situation de crise, ou la propagation de fausses nouvelles, comme ce concepteur de jeu.

Pour Google, seul un gouvernement a le droit de parler du Covid-19

Autre exemple : Tim Autin, âgé aujourd’hui de 30 ans. Il y a cinq ans, ce passionné de photographie qui réside dans le Var, a mis au point une application de randonnée, E-walk, qui permet notamment de télécharger des cartes IGN et de connaître sa position lorsqu’on se balade en pleine nature, même lorsque son téléphone est hors connexion. L’application est gratuite. Comme beaucoup, elle est financée par de la publicité. Rien de véritablement subversif. Sauf que ce passionné d’innovation a eu la "mauvaise idée" d’intégrer à son application, avec le déconfinement, une fonctionnalité supplémentaire permettant aux randonneurs de vérifier qu’ils se trouvent bien dans un rayon de 100 kilomètres autour de leur domicile. Un nouveau service lié au Covid-19 en quelque sorte…

Résultat : le 19 mai 2020, lui aussi a la désagréable surprise de voir son application disparaître du Play Store de Google. Le mail qu’il reçoit lui indique : "Les applications faisant référence ou allusion au Covid-19, sous quelque forme que ce soit, ne seront approuvées pour être distribuées par Google que si elles sont publiées, commandées ou autorisées par des organismes gouvernementaux, ou des organismes de santé publique." Résultat, ses ressources ont été coupées, alors que les frais qu’il paye pour ses serveurs, eux, courent toujours.

Mais Tim Autin n’est pas un cas particulier. Une application belge proposant des émojis invitant à se laver les mains et à prendre des mesures de précautions a, elle aussi, été retirée. Et il semble que l’algorithme de Google pousse le zèle très loin. Ainsi Médéric Degoy, un conseiller municipal du village de Sournia dans les Pyrénées-Orientales, avait lui décidé de lancer un réseau social dédié aux mairies, pour permettre aux élus de dialoguer entre eux, de diffuser les conseils municipaux en vidéo, ou d’initier des consultations auprès des citoyens par exemple. Cette initiative 100% française, aurait pu permettre aux mairies d’échapper à la domination de Facebook. L’élection des nouveaux maires lui semblait être une occasion idéale pour donner le coup d’envoi de ce nouveau réseau. Le 12 mai dernier, cependant, c’est la douche froide. Il reçoit un mail lui indiquant que son application a été suspendue pour cause de Covid. "Je ne l’avais pourtant pas encore officiellement lancée. Il n’y avait donc aucun contenu Covid, ni publication qui auraient pu y faire référence, s’insurge-t-il. Ça ressemble à une énorme erreur de leur part. Moi j’appelle ça de la bêtise artificielle."

"C’est la liberté d’expression qui est en cause"

Médéric Degoy a, comme les autres, fait appel de cette décision. Mais 14 jours plus tard, toujours aucune réponse. "Je les ai contactés par Twitter. Je suis ensuite contacté par un robot qui me raconte n’importe quoi. Trois jours après, quelqu’un me dit qu’il est désolé. Trois jours après, on me dit qu’on fait suivre ma demande. Et puis aucune réponse, raconte-t-il. On a l’impression d’être dans Brazil !" Ces derniers jours, la liste de ces développeurs victimes de Google s’est allongée, et elle inclut tous types de services : jeux, podcasts, vidéos et même fitness. Or, "15 jours d’absence sur Play Store, pour certaines entreprises, c’est dramatique", souligne Tim Autin.

Au-delà du temps que Google peut mettre à répondre et réparer les erreurs qui ont pu être commises, se pose aussi une question de fond. "Quelle autorité ont-ils pour faire ça ?, s’interroge Médéric Degoy. On tombe dans la logique des avocats à l’américaine où on se borde dans tous les sens. Ces boîtes-là sont devenues de gigantesques administrations qui ont un contrôle régalien, et qui décident de ce qui est vrai et de ce qui est faux." Une approche qui peut d’autant plus surprendre que le moteur de recherche de Google, lui, se nourrit d’informations sur l’épidémie du Covid-19. C’est une source de revenus important pour ce géant du net. D’un côté, donc, tout peut être dit et publié, tandis que sur les smartphones, seuls les gouvernements détiendraient la vérité ? "Sur le principe, ce n’est pas acceptable, commente Tim Autin. C’est aussi la liberté d’expression qui est en cause dans cette affaire."

Contacté, Google n'a pas répondu à nos sollicitations.

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