En Algérie, les autorités expulsent les migrants subsahariens vers le Niger et les laissent livrés à eux-même en plein milieu du désert. Témoignages.
La famille Sangaré a échappé de peu à la mort. Comme beaucoup d’autres migrants, Said Sangaré, sa femme Fatumata et leur fils Mohamed se sont retrouvés dans le désert du Niger après avoir été reconduits à la frontière par les autorités algériennes. Par 40 degrés, la famille guinéenne a été abandonnée sans eau et sans nourriture.
Ils doivent leur survie uniquement à une équipe de sauvetage de l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, qui les a trouvés avant de les emmener dans une centre de transit à Agadez, la plus grande ville du Niger. C’était il y a trois ans. Mais tous les migrants expulsés n’ont pas eu cette chance.
"Ils nous ont tout pris"
Said Sangaré, 32 ans, se souvient de cette douloureuse expérience. Dans une interview donnée à l’agence de presse EDP, le Guinéen de 32 ans raconte comment les autorités algériennes sont allés sans prévenir à son domicile pour arrêter sa femme et son bébé de 7 mois, pendant qu’il travaillait sur un chantier de construction à Alger.
La police a forcé la porte et volé quasiment tout ce que la famille possédait, selon Fatumata Sangaré. La jeune femme de 26 ans explique qu'à part les vêtements qu’ils portaient ce jour là, ils ne pouvaient rien emporter.
"Notre fils n’avait même pas de pantalon sur lui, juste un t-shirt et sa couche", se rappelle Fatumata. Peu de temps après ce raid, la police s’est rendue sur le chantier qui employait son mari pour l’arrêter à son tour.
"Ils nous ont tout pris", raconte le Guinéen. Même l’argent qu’ils avaient économisé pendant les trois années passées en Algérie, soit presque 5 000 euros. "Mon plan était de démarrer une nouvelle vie avec cet argent dans mon pays."
Laissés pour morts dans le désert
La famille Sangaré a été emmenée avec d’autres migrants à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie. Parmi eux, certains auraient été brutalement battus par la gendarmerie locale, explique Said.
Tous ont ensuite été déposés sans eau et sans nourriture au "point zéro", un lieu à la frontière avec le Niger, avant d’être forcés à traverser la frontière, parfois sous la menace d’armes. De là, Assamaka, le village le plus proche, se trouve à 15 kilomètres, mais sous la chaleur étouffante du désert, beaucoup ne parviendront pas à l’atteindre.
Janet Kamara, un Libérien également expulsé d’Algérie, a expliqué à l’agence AP en juin 2018, que "des corps de femmes et d’hommes morts gisaient au sol. D’autres se sont perdus dans le désert parce qu’ils ne connaissaient pas le chemin. J’ai perdu mon fils, mon enfant."
Aliou Kande, un Sénégalais de 18 ans, raconte quant à lui que "certains n’arrivaient pas à continuer. Il se sont assis et on les a laissés derrière nous. Ils souffraient trop."
Pour le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'Homme des migrants, "les expulsions collectives de l’Algérie vers le Niger sont en totale violation des lois internationales". Felipe González Morales a ainsi appelé l’Algérie "à cesser immédiatement" ces expulsions.
"Menace pour la sécurité intérieure"
L’OIM a fini par ouvrir des bureaux dans le village d’Assamaka. Il n’est pas rare que l’organisation accueille plus d’un millier de migrants en même temps.
Lorsque ces pratiques d’expulsions ont été adoptées comme "mesures d’urgence" en 2017, le ministre algérien des Affaires étrangères avait qualifié les migrants subsahariens de "menaces pour la sécurité intérieure" émanant "d’une mafia organisée". Abdelkader Messahel avait également justifié son action en assurant que les expulsions étaient pratiquées par d’autres pays "dont des pays européens".
À ce climat de méfiance, Said Sangara ajoute que les migrants et réfugiés en Algérie sont souvent victimes de racisme. "Dans la rue à Alger, en allant au travail, des enfants jetaient régulièrement des pierres sur nous."
25 000 personnes ont été expulsées par l’Algérie vers le Niger en 2018, dont des migrants africains qui disposaient de visas de travail en règle et des réfugiés qui se trouvaient légalement sous protection des autorités algériennes.
Selon l’agence onusienne, en 2018, 15 000 personnes ont eu recours à l’aide de l’OIM pour rentrer dans leurs pays d’origine, soit dix fois plus de personnes qu’en 2015. Selon l’agence AP, la majorité des migrants expulsés vers le Niger viennent du Mali, de Gambie, de Guinée et de Côte d’Ivoire. Par ailleurs, le Niger fait aussi face aux flux de personnes expulsées de Libye.
"On peut dire que le plan de l’Union européenne de limiter le flux de migrants vers l’Afrique du Nord a fonctionné", estime Martin Wyss, chef de l’OIM au Niger et interrogé par l’agence EDP. "Mais cela a ajouté beaucoup de travail à l’OIM, puisque beaucoup de personnes veulent désormais quitter ces endroits du nord de l’Afrique et sont dépendants de notre aide pour rentrer."
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