Fermeture des voies Européennes, les rescapés migrants et demandeurs d’asile bloqués au Niger: Entre frustrations, contestations et le rejet de l’asile en Afrique

Par kibaru

« Le cœur est au centre de notre travail, mais la raison et le pragmatisme sont également de mise. Nous ne sommes pas une agence de voyage, mais une structure de protection » nous explique la représentante du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), Mme. Alessedra Morelli. Nous avons eu un long entretien avec elle relativement au sit-in prolongé des ressortissants du Soudan et du Darfour, devant les locaux de l’UNHCR, situé sur la voie Maurice Delince, au centre-ville de Niamey.

Ils sont environ une centaine, tous des jeunes hommes, en âge de travailler ou d’étudier. Ils sont essentiellement des demandeurs d’asile en transit au Niger. Ils contestent les propositions de l’UNHCR qui sont: se procurer un statut d’asile au Niger, ou retourner au Tchad (où la majorité d’entre eux disposent déjà d’un statut de réfugié), ou tout simplement être rapatriés dans leur pays d’origine à savoir le Soudan ou le Darfour.

«Nous sommes retenus ici comme des prisonniers, sans revenu. Beaucoup d’entre nous sont malades. Nous ne mangeons pas bien. En février 2017, l’UNHCR nous a proposé de quitter Agadez pour Niamey dans l’optique d’apporter une solution à notre problème. Dans quelques jours nous aurons séjourné un an à Niamey, rien n’a changé à notre situation. Nous voulons que le UNHCR nous ramène à Agadez pour retenter la traversée vers l’Europe» explique un groupe d’individus que nous avons retrouvés au centre 17. Ils ne maîtrisent que l’anglais et ne parle aucune langue locale du Niger.

Ces jeunes rejettent catégoriquement l’option de l’asile en terre africaine et refusent de rentrer dans leur pays d’origine. Leur continent de prédilection après tant d’années d’errance, de route et de déroute, c’est l’Europe ! Pour faire valoir ce choix, ils se relaient de jour comme de nuit avec des pancartes de protestation devant les locaux de l’UNHCR, sous des couvertures, blottis les uns contre les autres à même le sol! La scène est tout aussi pitoyable qu’inquiétante. La semaine passée certains de ces jeunes avaient momentanément perturbé la circulation pour protester.

UNE BOMBE À RETARDEMENT ?

« Vers décembre 2017, le Niger a enregistré l’arrivée d’un groupe de deux mille (2000) ressortissants du Soudan et du Darfour. Nous ne connaissons pas l’identité, l’histoire et les intentions de chacun de ces individus. Ainsi, le traitement du dossier de chaque demandeur d’asile s’avère délicat dans un contexte d’insécurité accru. Par ailleurs, cette arrivée massive de réfugiés survient après la déstabilisation de la Libye et du Mali, sans compter le renvoi massif des migrants par l’Algérie et la fermeture des sites aurifères notamment le Djado» explique la représentante de l’UNHCR, qui souligne la délicatesse dont doivent user ses agents pour statuer sur l’effectivité du statut d’asile de chacun des requérants.

Désormais, les migrants ne s’échouent pas uniquement sur les côtes méditerranéennes, mais également dans les villes nigériennes. L’UNHCR compte vingt-deux (22) centres de demandeurs d’asile en transit à Niamey. Le centre N° 17 où logent les ressortissants du Soudan et du Darfour compte jusqu’à 139 individus. D’une part, le défi majeur pour le Niger demeure celui de gérer cette crise migratoire sur la base des engagements juridique internationaux et communautaires auxquels le pays a souscrit. D’autre part, il y a lieu de se demander si malgré l’importante enveloppe de l’Union Européenne concernant la gestion du flux migratoire, le Niger classé dernier en termes d’indice de développement peut réellement supporter ce fardeau supplémentaire.

Certes, la pression migratoire en Europe est telle que le Niger se présente en tant qu’un des rares, voire le seul pays à avoir accepté de réguler les mouvements migratoires. Mais à quel prix et pour combien de temps la situation sera-t-elle soutenable? Déjà au niveau d’Agadez plusieurs incidents ont été enregistrés et un travail de longue haleine a été effectué dans l’unique optique de concilier la cohabitation entre ces migrants en transit et les populations locales.

« Nous sommes fatigués de dormir et de manger. Nous ne faisons que cela depuis des mois » soulignent ces gaillards d’un ton exaspérant avec le regard hagard. Quoique pour le l’UNHCR leur gestion ne cause aucun problème du moment où ils sont bien logés et correctement nourris les psychologues sont aussi mis à leur disposition. Mais ils refusent les travaux rémunérés de manouvres sur les chantiers de l’UNHRC. La gestion de cette crise est complexe et prend des allures d’une guerre de nerfs et d’incertitudes entre les migrants en transit et les organisations internationales ; en attendant chacun campe sur sa position !

ENTRE MÉCONTENTEMENT ET FRUSTRATION FACE AUX PROCÉDURES DE L’UNHCR

Pour la Représentante de l’UNHCR, les ressortissants du Soudan et du Darfour impliqués dans le sit-in devant les locaux de son institution sont enregistrés comme des réfugiés du Tchad. En conséquent, ils doivent retourner au Tchad ou accepter l’asile gracieusement offert par le Niger.
Mme. Alessedra Morelli reconnaît toutefois qu’une vingtaine d’entre eux ont aussi des statuts de réfugiés en Egypte, en Jordanie, au Kenya et au Cameroun. Cependant, certains de ces pays refusent de les reprendre en tant que réfugiés.

Pour leur part, ces jeunes expliquent les raisons de leur sit-in par un ras-le-bol quant à la discrimination et à l’injustice car aux ressortissants érythréens, éthiopiens et somaliens l’UNHCR propose des terres d’asile en Europe, en Amérique et même en Australie. « Pourquoi nous ressortissants du Soudan et du Darfour nous n’avons pas droit aux mêmes traitements ? » Nous explique un groupe d’une quarantaine de demandeurs d’asile du Soudan et du Darfour. Pour corroborer leur propos, ils nous ont invités à nous rendre dans un autre centre de l’UNHRC pour y mener une enquête. Ce à quoi nous avons obtempéré.

Au fil de nos interrogations, les locataires du centre révèlent qu’effectivement certains de leurs compagnons d’infortune se sont dernièrement envolés entre la France et la Suisse après des entretiens avec l’UNHCR et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM).

APRÈS L’ÉPISODE COLONIALE : DEUX CONTINENTS EN QUÊTE D’ÉQUILIBRE

Au regard des faits, un travail d’ajustement s’avère nécessaire. Il est toutefois difficile, voire impossible de faire accepter à ces jeunes les contraintes des procédures migratoires légales, qui ne sont d’ailleurs pas en leur faveur. Car, ceux ne sont pas ceux qui ont réussi en Afrique qui tentent de fuir cette terre objet de toutes les convoitises occidentales. Le problème est que ces jeunes refusent d’admettre que l’Europe dont ils rêvent enregistre aussi son lot de contraintes économiques, par exemple le problème des gilets jaunes en France ces derniers temps, sans compter le chômage.

En conclusion, après le douloureux chapitre colonial, les deux continents se rejoignent à nouveau pour une fois de plus redéfinir ensembles un autre équilibre relationnel. Le refus de ces jeunes d’accepter l’asile en terre africaine doit tout d’abord interpeller les dirigeants du continent noir en matière de perspectives pour la jeunesse, de justice sociale et de bonne gouvernance.

Source et Crédits Photos: Samira Sabou