Chaque 26 juin, la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues rappelle combien les drogues (licites et illicites) ont une importance majeure d’un point de vue de santé publique et relèvent d’une dimension globale, au-delà des politiques nationales.
Au cours des dernières années, l’augmentation des saisies de cocaïne en France et ailleurs et la multiplication des violences – telles que les narchomicides à Marseille – ont attiré l’attention sur la puissance croissante des groupes internationaux engagés dans le trafic (notamment les cartels sud-américains, les cults nigérians, la Mocro Maffia et les groupes djihadistes).
L’héroïne, toujours consommée en France, même en milieu rural, le cannabis, et les médicaments à base de prégabaline ont comme point commun d’arriver en France en grande partie depuis l’Afrique. Ils traversent le Sahara hors de contrôle des États après le Sahel, la « rive du désert » qui inclut la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
Du cannabis, héroïne, crack, aussi de l’autre côté du Sahara
Qu’en est-il de la circulation et de la consommation de stupéfiants dans les pays du Sahel, et plus largement en Afrique de l’Ouest ?
Un rapport récent de l’ONUDC montre l’augmentation considérable des saisies de cocaïne dans les pays sahéliens, qui sont sur la route maritime et terrestre la plus courte depuis l’Amérique latine vers l’Europe. Ces saisies sont passées de 13 kg par an en 2015-2020 à 1466 kg en 2022 (principalement au Burkina Faso, Mali, Niger).
Ces pays sont aussi des zones de transit pour la résine de cannabis venue d’Afrique du Nord, comme pour les médicaments consommés comme stupéfiants qui suivent les voies du marché informel des médicaments et se distribuent dans les pays de la région à partir notamment du Burkina Faso.
L’héroïne venue d’Asie débarque dans les ports du golfe de Guinée pour continuer vers le Nord, comme les nouveaux produits de synthèse, venus d’Inde et de Chine.
Sur fond d’incertitude sur la composition de la kush propice aux rumeurs ou aux « légendes urbaines » qui pénètrent jusqu’aux milieux médico-scientifiques, une étude par spectrométrie FTIR, publiée récemment, a montré la présence de cannabinoïdes de synthèse et de nitazènes (nouveaux opioïdes de synthèse) dans des prélèvements effectués à Freetown (Sierra Leone) et Bissau (Guinée-Bissau).
Ces nouveaux produits sont plus puissants et plus addictifs que le THC du cannabis ou l’opium, mais ils restent dans un flou réglementaire qui leur permet d’échapper aux contrôles. Tant qu’ils ne sont pas répertoriés et étudiés, la capacité à traiter leurs méfaits est limitée, comme en France.
Début avril 2024, le président de la Sierra Leone a ainsi décidé de faire de la consommation de drogues une « urgence nationale » au vu du nombre des personnes devenues dépendantes et des centaines de décès parmi les jeunes de toutes classes sociales qui consomment la kush.
Des centres de réduction des risques qui doivent s’adapter : l’exemple de Dakar
Au Sénégal, les résultats du projet de recherche CODISOCS (Consommateurs de Drogues Injectables et Dynamiques Sociales au Sénégal) confirment la circulation de certains de ces produits dans de multiples milieux sociaux.
Le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar, qui applique la réduction des risques et offre un traitement de substitution aux opiacés par la méthadone depuis près de dix ans, est un centre pilote au niveau régional. Mis en place avec l’appui d’organisations internationales et du Conseil national de lutte contre le sida, il a permis de diagnostiquer, traiter et prévenir les transmissions infectieuses (VIH, virus des hépatites, tuberculose) parmi les consommateurs de drogues injectables.
Mais les consommations et les risques ont beaucoup évolué depuis sa création : les usagers n’utilisent plus qu’exceptionnellement l’injection, en partie grâce aux actions de sensibilisation. Le cannabis reste le stupéfiant le plus consommé, mais son protocole de prise en charge par psychothérapie n’est pas accessible à tous et son efficacité en Afrique n’est pas validée.
Quant aux nouveaux produits de synthèse et aux médicaments détournés, ils sont moins connus par l’équipe soignante, composée de professionnels de santé et de médiateurs communautaires qui ont peu de relais parmi les jeunes consommateurs.
Enfin, au Sénégal, le cadre législatif est toujours fondé sur une approche essentiellement répressive. Pourtant de nombreux acteurs de la lutte contre les drogues (acteurs communautaires, sanitaires, de la justice ou des forces de sécurité), débordés et épuisés par une répression sans résultats, sont convaincus de la nécessité de soigner et aider plutôt qu’incarcérer les simples consommateurs, en phase avec la campagne communautaire mondiale Support Don’t Punish.
Des recommandations émises par des experts en sciences sociales, addictologie, etc.
Les participants au colloque (une centaine de chercheurs en sciences sociales, experts en addictologie, professionnels de santé, experts communautaires, acteurs institutionnels de dix pays d’Afrique de l’Ouest) ont lancé l’Initiative de Dakar face aux drogues en Afrique de l’Ouest pour faire face à cette situation critique.
Ces recommandations concernent les acteurs de la santé et de la justice, les politiques, les associations d’usagers et les scientifiques. Elles commencent par la mise en place de moyens d’analyse pharmacologique et toxicologique pour identifier rapidement les produits en circulation et leurs effets indésirables et informer les communautés, ainsi que par la fourniture de traitements antagonistes pour les overdoses aux acteurs de première ligne.
Les chercheurs doivent encore se mobiliser pour apporter des connaissances précises sur les consommations et les réponses dans la diversité des contextes sociaux et culturels, en collaboration avec les communautés concernées.
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