Lutter durablement contre le terrorisme au Mali : mode d’emploi

Par kibaru

Le terrorisme fait désormais partie de notre environnement, la violence charriée par le grand banditisme également. Nous devons intégrer cette réalité qui restera malheureusement constante encore quelques temps. Elle se complexifie avec l’apparition d’autres phénomènes comme les conflits intercommunautaires et la violence fondée sur des croyances ainsi que la radicalisation religieuse d’une partie de la jeunesse. Dans un environnement où beaucoup d’armes circulent et où de nombreux citoyens sont armés, les actes de terreur aveugle ou ciblés doivent être intégrés par les Maliens comme durablement installés dans notre pays.

Reconnaître la réalité de la violence terroriste, quelles que soient ses manifestations, est le premier pas à faire pour engager une lutte multiforme, durable et impliquant chaque composante du pays.

Reconnaître la réalité de la violence terroriste, quelles que soient ses manifestations, est le premier pas à faire pour engager une lutte multiforme, durable et impliquant chaque composante du pays. Ensuite, nous nous donnerons quelques objectifs stratégiques en matière de lutte dont l’un des plus importants sera de prendre conscience de la situation et de nous organiser pour réduire la menace terroriste et la combattre de manière permanente afin de contenir les actes de violence à un niveau minimal.

Analyse des sources de violence

Nous devons savoir discerner les sources et les motifs de violence, les analyser finement pour en situer les causes et savoir les traiter. Ces sources et motifs sont de divers ordres. Nous déplorons la violence terroriste orientée principalement contre les troupes étrangères et la communauté internationale. Elle participe d’une dynamique internationale.

Il y a aussi la violence terroriste aveugle, essentiellement motivée contre le processus de paix pour attiser l’insécurité et les conflits communautaires et éloigner le Mali de la paix et de la réconciliation. Il faut particulièrement noter les règlements de compte communautaires ou individuels, alimentés par des conflits récents ou anciens, des contentieux d’ordre socioéconomique, l’ambition de domination locale, etc.

Certaines actions violentes observées dans le centre du pays et quelques fois au nord, sont ainsi davantage des représailles contre les forces de sécurité ou de l’administration que des actes terroristes.

Nous devons aussi distinguer ce qui relève du banditisme et de la prédation qui a caractérisé certaines parties du Mali. Ce phénomène est exacerbé par les conflits violents récents et est animé, d’une part, par la faiblesse de l’État et, d’autre part, par la prolifération des armes sur notre territoire. Les acteurs s’adonnant à cette activité destructrice créent quelques fois la diversion en se réclamant de mouvements terroristes ou en arborant leurs bannières. Il convient de ne pas se tromper dans l’appréhension de leurs forfaits et donc dans le traitement qu’il convient de leur réserver.

Parmi les motifs et les sources de violence, il y a également les réactions face à l’injustice des autorités notamment les abus des forces étatiques. Certaines actions violentes observées dans le Centre du pays et quelques fois au Nord, sont ainsi d’avantage des représailles contre les forces de sécurité ou de l’administration que des actes terroristes. Nous devons enfin craindre la radicalisation des Maliens, notamment les jeunes, suivie d’actes violents de leur part ou d’inclination à l’intolérance pouvant conduire à des confrontations futures.

Ces différentes manifestations de la violence ne sont pas exclusives les unes des autres. Elles sont parfois combinées et les acteurs qui s’y adonnent, ayant des intérêts communs dans la violence et l’insécurité qui lui est associée, coopèrent quelques fois et collaborent souvent. L’analyse approfondie de chaque type de violence terroriste est cependant impérative pour appréhender et mettre en œuvre des solutions efficaces.

Mobilisation collective

Le second objectif spécifique que nous devons nous fixer est la mobilisation et l’information des communautés du pays, à l’effet de les sensibiliser sur les desseins de ces acteurs nocifs. Cela facilitera l’implication de tous dans la lutte et la collaboration indispensable des populations partout sur le territoire. Une mobilisation certaine des Maliens permettra d’engager de manière efficace la lutte contre la radicalisation des jeunes et leur engagement dans des actions négatives. Elle créera les conditions d’une désescalade des tensions là où des conflits communautaires existent ou menacent d’éclater. Ce qui peut conduire à un abandon progressif de l’acquisition, de la détention ou de l’utilisation des armes par les populations.

Nous ne pourrons réussir la lutte contre l’insécurité ou le terrorisme sans une forte implication de tous les Maliens. Il est impératif de les rendre acteurs du dispositif de lutte mis en place. Cela passe par l’information juste et exhaustive sur les menaces et les mesures de riposte. Par exemple, l’état d’urgence est une initiative publique de riposte qu’il convient de bien expliquer, notamment les rôles attendus des citoyens. Dans chacune de nos localités, les élus, les légitimités traditionnelles, les responsables de services publics, les jeunes, les femmes… sont à impliquer dans toutes les initiatives publiques de lutte contre l’insécurité.

Le renforcement du dispositif de renseignement pour mieux lutter contre l’insécurité et protéger les personnes et les biens au Mali constitue un objectif spécifique incontournable. La prévention est à privilégier en matière de lutte contre le terrorisme. Le renseignement étant crucial pour prévenir des attaques, cette fonction devient centrale.

Nous devons refondre notre dispositif de renseignement sur le plan institutionnel. Au lieu de services aux contours mal définis, ayant quelques fois vocation à défendre et soutenir un régime et un homme plutôt que la collectivité et qui, au surplus, se concurrencent, nous devons travailler à mettre en place clairement des administrations aux profils et aux fonctions clairement établis. Par exemple, il peut être envisagé un service en charge exclusivement de la sécurité intérieure, un deuxième en charge de la sécurité des institutions et de l’État et, enfin, un service en charge de la sécurité extérieure et de la protection du pays ainsi que de sa souveraineté.

Dans chacune de nos localités, les élus, les légitimités traditionnelles, les responsables de services publics, les jeunes, les femmes… sont à impliquer dans toutes les initiatives publiques de lutte contre l’insécurité.

Ce dernier service serait à vocation extérieure, d’espionnage et de contre-espionnage… Nous devons travailler à les doter de moyens humains et matériels conséquents et faire des rattachements appropriés en donnant un rôle majeur au chef de l’État et au gouvernement dans leur orientation. Il faut amener ces structures à assumer pleinement toutes leurs missions. Elles doivent savoir identifier et cartographier les risques, suivre les personnes et structures suspectes, connaître les menaces et leur évolution, mailler le pays en combinant renseignements humains et technologies, etc.

Par exemple, pour ce qui concerne la lutte contre l’islamisme radical, nos services de renseignement doivent avoir une carte exhaustive de tous les lieux de culte du Mali, une fiche détaillée sur chacun des 25 000 imams et prêcheurs du pays, leurs mouvements et leurs messages, surveiller les circuits d’expatriation, les filières de formation, suivre les jeunes et mouvements radicaux ou susceptibles de l’être et leurs parcours, etc.

Ces initiatives doivent s’inscrire dans la durée et être permanentes. Nos services doivent savoir utiliser toutes les organisations religieuses, le clergé, le Haut conseil islamique et ses circuits, mais également les consulter, travailler avec eux et œuvrer à contrer tous les facteurs de radicalisation. Ils doivent savoir faire de même pour faire face aux autres menaces comme, par exemple, par l’identification des zones de tension et de conflits dans chacun de nos terroirs, la relève des abus et brimades de nos dépositaires d’autorités (justice, gendarmerie, gardes, police) et leurs incidences en terme de frustrations, le recueil des récriminations des populations à l’égard de l’État ou d’autres acteurs sociaux.

Les autorités traditionnelles et religieuses, les organisations communautaires et de ressortissants de toutes les localités peuvent être de bonnes sources d’information en la matière. Cela permettra à l’État d’anticiper, traiter, désamorcer, prévenir plutôt que de constater les dégâts !

Éduquer contre la violence, mais réprimer s’il le faut

Les actions violentes, souvent gratuites, seraient également combattues par une utilisation appropriée de la force armée. Mais on ne lutte pas contre le terrorisme comme on se bat contre une armée conventionnelle ou contre des régiments de groupes armés. Cette lutte armée nécessite des forces souples, efficaces, alliant intelligence et puissance, sachant combiner utilement les ressources de l’esprit, des muscles, des technologies mais également l’environnement socio culturel. Ce type de forces n’est pas encore dans nos habitudes. Il nous faut faire l’effort de nous en doter.

On évoque régulièrement la nécessité de mettre en place des unités d’élite anti-terroristes. Ces unités ne sont pas seulement constituées d’hommes aguerris dans le maniement des armes. Elles sont et surtout constituées de troupes qui sont des spécialistes des arts martiaux, maitrisant parfaitement leurs émotions et dotées de capacités intellectuelles et psychologiques supérieures qui leur permettent de gérer toutes les situations possibles de stress. De manière spécifique, notre pays doit se fixer l’objectif de constituer des unités d’élites, sous forme de force de réaction et y mettre les moyens appropriés.

La sécurité ne sera pas instaurée par des blindés et la mobilisation de divisions armées, mais par de l’intelligence accompagnée d’une force adroite et déterminée.

Nous devons disposer d’unités d’élites dont le temps d’intervention doit être extrêmement rapide pour pouvoir intervenir en cas de menaces sur tout le territoire en moins de trois heures. Pour ce faire, elles doivent être basées en différents endroits stratégiques du pays au Sud, au Centre et au Nord. Des unités d’élites, en alerte permanente, pour traiter les menaces mais également participer à en anticiper la survenance.

Ces unités sont à constituer par une combinaison des meilleurs éléments de nos différentes forces (police, gendarmerie, garde, infanterie, transmission, artillerie, administration, etc.). Il est possible de les constituer progressivement pour qu’elles soient opérationnelles assez rapidement et qu’elles puissent agir sur toutes les menaces sur tous les terrains et dans toutes les circonstances. Ces forces doivent être conçues pour pouvoir être utilisées, le cas échéant, dans les situations de conflits armés comme des troupes commando. Elles sont entrainées pour intervenir sur des théâtres urbains, péri-urbains, en forêt, individuellement ou en groupes.

Certains éléments de ces troupes doivent savoir agir sur des missions sensibles de neutralisation ciblée d’individus dangereux. La constitution de ces forces n’est pas au-dessus des moyens de notre pays. Il faut savoir fixer le cap, s’en donner les moyens et engager par conséquent le processus. La sécurité ne sera pas instaurée par des blindés et la mobilisation de divisions armées, mais par de l’intelligence accompagnée d’une force adroite et déterminée.

Quelques priorités factuelles

La mise en œuvre diligente et cohérente de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, sur chacun de ses aspects, participera aussi de la restauration d’un environnement de paix et de sécurité dans notre pays. Autant la situation au Nord de notre pays a été un catalyseur majeur de l’insécurité, autant la paix et la réconciliation, notamment au Nord, seront d’un apport certain pour le renforcement de la sécurité des Maliens sur l’ensemble du territoire.

Nous devons donc ériger la mise en œuvre de l’Accord de paix au rang de priorité nationale, en convaincre les parties signataires ainsi que l’ensemble des Maliens. Les autorités nationales doivent s’atteler à la conduite diligente des réformes institutionnelles et de gouvernance et accélérer le chantier de la réconciliation nationale (conférence d’entente nationale, élaboration de la charte de réconciliation nationale, etc.).

Les aspects de défense et de sécurité sont à privilégier. Nous devons conduire rapidement le processus de Désarmement, démobilisation et de réinsertion (DDR) dans le cadre de la mise en œuvre diligente de la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM). À ce titre, il est urgent que les questions de financement de la LOPM soient réglées pour une mise en œuvre diligente sur la période 2016 – 2020.

Les acteurs du processus (État, groupes armés, communauté internationale) doivent s’engager sur ces chantiers en faisant de la sécurité un objectif cardinal. La sécurité des personnes et des biens est la résultante majeure de tout processus de paix. Si elle n’est pas établie, même de manière progressive, il n’est pas possible d’obtenir d’engagements majeurs des populations. Il est donc impératif que chacun travaille dans cette optique.

Un engagement précis des parties signataires de l’Accord est à obtenir avec une indication claire des résultats à atteindre et des activités à mener, dans l’ensemble du Nord. Il est souhaitable qu’un chronogramme détaillé et contraignant soit convenu entre les parties en vue de la sécurisation progressive de l’espace. Il doit en être de même de la conduite des autres actions de mise en œuvre de l’Accord de paix. Trop de temps a été perdu ! Il est plus qu’urgent que les Maliens sentent le changement sécuritaire induit par l’Accord et perçoivent ainsi une partie des dividendes promis par la signature de ce texte il y a presqu’un an.

Chaque pays doit donc accepter de s’ouvrir à la coopération régionale tout en renforçant son dispositif interne pour pouvoir accomplir sa part du travail de manière efficace.

Le renforcement de la coopération régionale à travers notamment le dispositif du Groupe des cinq (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) du Sahel (G5) mais également le plaidoyer auprès de la communauté internationale pour le maintien du Sahel et des menaces qu’il présente dans l’agenda international, constituent des objectifs spécifiques que le Mali doit intégrer dans sa stratégie de lutte permanente contre le terrorisme et les violences armées.

Certains enjeux sont sous-régionaux et exigent une coopération régionale pour y faire face. Les dispositifs sécuritaires régionaux qui sont balbutiants doivent être renforcés et érigés en systèmes formels de riposte commune des États. Le partage de renseignements, la mise en commun de moyens armés, la surveillance des territoires, la constitution d’unités communes d’élites sont quelques pistes de collaboration qui méritent d’être étudiés en vue de leur réalisation effective.

Nous devons savoir que notre sort et celui de nos voisins sont liés. Chaque pays doit donc accepter de s’ouvrir à la coopération régionale tout en renforçant son dispositif interne pour pouvoir accomplir sa part du travail de manière efficace. L’implication et le soutien de la communauté internationale seront décisifs pour les performances du dispositif régional de sécurité. Cette implication est à renforcer dans plusieurs directions. La première est la consolidation du partenariat et l’écoute mutuelle sur la planification et l’exécution des initiatives sécuritaires.

Par exemple, l’intervention probable en Libye contre l’organisation du pseudo État Islamique (EI) nécessitera une meilleure collaboration et un bon partenariat entre les forces occidentales et les services sahéliens. Un autre axe de renforcement du partenariat est le soutien aux reformes de sécurité de nos pays. Traditionnellement, les financements internationaux ne sont pas orientés vers les secteurs de défense et de sécurité.

Pour un pays comme le Mali, en l’absence de financement international, il sera difficile de financer la loi de programmation militaire. Nos partenaires doivent s’ouvrir à cette réalité car sans sécurité il n’est pas possible d’envisager la prospérité et le développement. Mais il est aussi souhaitable que nos partenaires et nos autorités s’engagent dans une coopération qui nous aidera à renforcer nos institutions et notre gouvernance, renforcer nos potentiels productifs et nous doter progressivement de moyens qui nous aideront à mieux nous passer d’aide !

Tribune de Moussa Mara (Ancien Premier-ministre de la République du Mali)