Orpaillage au Mali : un tueur silencieux

Par kibaru

Au Mali, le cadre législatif des mines et la politique minière du gouvernement étaient essentiellement axés sur l’activité industrielle. Ce n’est qu’à partir de 2015 que les mines artisanales ont commencé à susciter l’intérêt des pouvoirs politiques. Toutefois, celles-ci échappent encore largement au contrôle de l’Etat, posant des risques graves et non contrôlés pour l’environnement biophysique et humain. Une situation en grande partie due à l’utilisation par les orpailleurs de certains produits chimiques dangereux malgré leur interdiction.

Cela fait plus d’une dizaine d’années qu’au Mali, l’orpaillage n’est plus pratiqué de manière traditionnelle. La raison : on y utilise un procédé d'extraction mécanisé et semi-industriel, avec un recours massif à des produits chimiques, causant d’énormes dégâts sur la santé des êtres humains, la faune et la flore. Pourtant, le code minier revu en 2019, a prévu des dispositions interdisant l’usage de ces produits, mais leur application pose un véritable problème.

Activité qui occupe essentiellement les démunis, l’orpaillage au Mali constitue la première source de revenus pour plusieurs ménages vivant dans les zones minières. Ils seraient près de 500 000 personnes à travailler dans ce secteur dont près de 40 000 sont des mineurs, selon les estimations de l’ONG internationale Human Rights Watch (HRW). La plupart commence à travailler dès l’âge de six ans.

Dans ce pays d’Afrique de l’ouest, grand producteur d’or (la production aurifère s’établit à 70,10 tonnes en 2022, contre 69,4 tonnes en 2021, selon les estimations recoupées au sein du secteur) l’orpaillage qui rapporte près de la moitié de cette production annuelle, est pratiqué à deux niveaux : sur la terre ferme ou dans le lit du fleuve. Dans les deux cas, on fait recours à l’eau et aux produits chimiques très dangereux pour la santé humaine, animale et environnementale. Consistant à extraire des substances minérales à travers quelques moyens mécaniques, l’exploitation artisanale mécanisée dans le fleuve est intégrée dans l’orpaillage alors qu’elle a des implications sur l’écosystème fluvial et de ce fait doit bénéficier de traitements spécifiques. Selon l’adjoint au directeur national de l’hydraulique au Mali, M. Damassa Bouaré, cette exploitation anarchique entraine de graves perturbations dans le drainage naturel des cours d'eau en plus de polluer gravement les nappes phréatiques. 

Un fait confirmé par un des responsables de l’ONG « Fondation pour le Développement au Sahel » (FDS), M. Boubacar Sidiki Sangaré intervenant dans ce secteur. Selon M. Sangaré, en plus de la déforestation, il faut ajouter la détérioration du réseau hydrographique dans la mesure où les tracés des différents cours d’eau sont déstabilisés par les multiples trous creusés dans les lits. De plus, ces derniers (les cours d’eau) sont détournés pour alimenter les points de lavage du minerai extrait. Avant de servir également de déversoir aux eaux usées issues de l’entretien des machines et du lavage des minerais. Il signale également une pollution aux métaux lourds causée par l’utilisation généralisée de produits chimiques, notamment le mercure pour le lavage de l’or dans ces cours d’eau. Cette déstructuration du réseau hydrographique entraine aussi une dégradation de la qualité des eaux. La revue en science de l’environnement dénommée « Vertigo » confirme cet état de fait, dans une publication intitulée « Analyse des mutations socio-environnementales induites par l’exploitation minière à Bétaré-Oya, Est-Cameroun ».

Sérieux risques de contamination des chaînes alimentaires

Le directeur national adjoint de l’hydraulique, M. Damassa Bouaré de renchérir que ces risques sont bien réels. Selon lui, il y a de sérieux risques sur l’alimentation en eau au Mali qui se fait principalement à travers les eaux souterraines. Il soutient que celles-ci sont polluées par les orpailleurs qui utilisent des produits chimiques très toxiques comme le mercure qui est un métal lourd, non biodégradable et capable de contaminer plusieurs fois la chaîne alimentaire. En février 2021, la direction nationale de l’hydraulique a commandité une étude menée par le Pr Adama Tolofoudye, qui dirige actuellement le laboratoire de l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako (USTTB), intitulée « Projet Wefe Senegal - Appui à la gestion des ressources en eau et du Nexus eau-énergie-agriculture dans le Bassin du Fleuve Sénégal ». S’appuyant sur la qualité des eaux du fleuve Sénégal et ses affluents, à savoir la Falémé, le Bafing et le Bakoye, les résultats de cette étude indiquent que ces eaux « subissent une forte pollution, principalement due aux activités de l’orpaillage et de la drague qui utilisent des produits hautement toxiques comme le mercure et le cyanure ».

Ainsi, il a été révélé qu’en raison de la pollution sonore et l’usage des produits chimiques, la Falémé ne dispose plus de poisson. Quant aux autres affluents du fleuve Sénégal à savoir le Bafing et le Bakoye, les poissons, les eaux et d’autres ressources halieutiques qu’on y retrouve sont impropres à la consommation. Toujours d’après cette étude « même si on arrêtait toutes les activités de dragage et d’orpaillage, il faudrait attendre près de 20 ans pour que la couleur de l’eau de la Falémé devienne normale ».

Dégâts manifestes

Pour se rendre compte des troubles créés par cette situation sur les eaux de la Falémé, il suffit de se rendre sur les lieux. Longue de 650 km, la rivière Falémé est une frontière naturelle entre le Mali et le Sénégal à travers les régions de Kayes (Mali) et de Kédougou (Sénégal). Elle est traversée par un pont reliant les localités de Mahinamine (Mali) et Moussala (Sénégal).

Du côté du Mali, à cause de l’exploitation abusive de l’or et l’installation anarchique des dragues, le spectacle est désolant. On y voit notamment plusieurs petits lacs jonchés de tas de gravats accumulés par les dragues qui pullulent dans son lit. Il n’y a presque plus de végétation autour puisque tout a été détruit. Le niveau de détérioration de la qualité de l’eau est très préoccupant. De couleur rougeâtre foncée, cette eau est impropre à la consommation. A cause du manque de poisson et la faiblesse de la production agricole essentiellement due à la pollution de l’eau, pêcheurs et agriculteurs ont échangé leurs instruments contre les outils d’orpailleurs. Attristé par ce spectacle de désolation digne d’une scèneapocalyptique, Moussa Traoré, un vieux retraité de l’administration se souvient qu’en 2005 « les eaux du fleuve Falémé pouvaient même être consommées sans dommage. Aujourd’hui, tel n’est pas le cas puisque ces eaux présentent des risques réels ».

Les mêmes regrets sont exprimés par M. Ténéman Konaté, chargé de conformité environnementale dans une société minière industrielle intervenant dans la zone de Kéniéba. « Le recours abusif aux produits chimiques dans les exploitations artisanales en plus de fragiliser le couvert végétal, provoque également une dégradation de l’environnement », explique M. Konaté. D’après lui, les produits chimiques utilisés le plus par les orpailleurs dans la zone sont soit du mercure, soit, assez rarement, du cyanure.

Eaux souillées et polluées

Se basant sur les résultats d’un programme d’échantillonnage des eaux de la Falémé mis en place par sa société, il affirme avoir constaté des élévations de certains paramètres tels que la conductivité de l’eau – élément permettant d’apprécier la quantité des sels dissouts dans l’eau – et la turbidité de l’eau (élément permettant de se fixer sur la clarté de l’eau). Il souligne que dans les zones où les orpailleurs interviennent très généralement, on constate une certaine décoloration de l’eau. Le véritable problème, selon ce spécialiste, ne se situe pas dans le recours aux produits chimiques, mais surtout dans leur mauvaise utilisation sans moyen de contrôle. Pourtant, au Mali, ceux qui interviennent dans le domaine minier sont soumis au respect strict de la loi N°01-020 du 31 mai 2001 relative aux pollutions et aux nuisances. Promulguée par l’ancien Président Alpha Oumar Konaré, ladite loi prévoit des peines privatives de liberté ou d'amende à tous ceux qui se livreraient à des activités provoquant des nuisances et des pollutions au Mali.

M. Konatédéplore l’utilisation de certains types d’huile tels que des hydrocarbures très polluants pour la faune et la flore. Il a affirmé que des fûts d'hydrocarbures sont directement déversés sur l’eau. Il a rappelé que les normes internationales précisent qu’un seul litre d’hydrocarbure peut dégrader la qualité d’un million de litres d’eau pure. Il prévient que l’eau pourrait être la source de nombreux conflits dans le futur puisque de jour en jour, elle devient de plus en plus rare à cause des agressions qu’elle subit de la part des orpailleurs et d’autres pratiques néfastes à sa bonne gestion.

Ces eaux polluées par l’usage intensif et mal maîtrisé d’intrants chimiques n’affectent pas que l'agriculture, la pêche et l'élevage, elles (eaux polluées) sont également source de nombreuses maladies parfois mortelles pour les humains. Absorbés en petite quantité, ils (intrants chimiques) entraînent des anomalies comme des maux de tête, des nausées, des vertiges, de l'anxiété, une altération de l'état mental, une respiration rapide et une hypertension artérielle, à en croire le Dr Moussa Modibo Diarra, médecin chef du district sanitaire de Kéniéba, localité située dans la région de Kayes, à l’ouest du Mali où l’activité minière est en pleine expansion.

Selon ce médecin, l’utilisation des produits chimiques sans aucun moyen de protection et sans aucun contrôle cause de nombreux dégâts sur le plan de la santé. Interrogé sur les pathologies qu’il rencontre le plus chez les orpailleurs qu’il reçoit, il cite des problèmes cutanés, des affections neurologiques, l’anxiété, les vertiges, la confusion, des maux de têtes violents, le ralentissement des battements de cœur, des convulsions et souvent des arrêts respiratoires. Il précise que des produits comme le mercure agissent directement sur le système nerveux, le système respiratoire, le système urinaire, la peau et les yeux. Pour sa part, il reçoit aussi des cas d’intoxication au mercure, parfois aigües, voire chroniques. Faisant le bilan des cas d’intoxication liés aux produits chimiques enregistrés par sa structure sanitaire ces dernières années, il indique que depuis 2019, il a recensé environ plus de 80 cas d’intoxication. Sans avancer de chiffres, il a affirmé que parfois ces cas sont tellement compliqués que les patients perdent la vie, même si certains arrivent à être évacués à Bamako avant qu’il ne soit trop tard. 

Des produits chimiques bon marché

D’après les autorités, le mercure est utilisé dans plus de 80 % des sites miniers au Mali, ce qui explique sa forte demande. Il est utilisé dans la quasi-totalité des sites de la région de Kayes. Située à l’ouest du Mali, Kayes est l’une des localités les plus gravement impactées par l’orpaillage. En 2019, des estimations rapportées par l’Institut d’études de sécurité (ISS) indiquaient que cette région a produit 73 % des 26 tonnes d'or artisanal du pays, générant 1,23 milliard de dollars américains. Selon des spécialistes, on estime qu'un kilo d'or requiert en moyenne l'utilisation d’environ de 0,5 à 1,3 kg de mercure. Selon les dernières estimations, la quantité annuelle de mercure illégalement introduite dans le pays est estimée à 36 tonnes. Un chiffre obtenu sur la base de la production annuelle de l’orpaillage correspondant à 24 tonnes. En effet, selon des études chimiques, pour obtenir 1 tonne d’or au Mali, il faut 1,5 tonne de mercure.

L’écrasante majorité de cette quantité, soit 28 tonnes, est utilisée dans des sites d'orpaillage à Kayes. Les orpailleurs utilisent du mercure - un métal liquide blanc argenté - pour extraire l’or du minerai car il est bon marché et facile à utiliser.

Pour M. Badra Aliou Fofana, chargé de programme à l’ONG « Fondation pour le Développement au Sahel » (FDS), par ailleurs ancien orpailleur, ce sont les acheteurs d’or qui proposent le mercure comme solution pour accélérer le processus. Sur le site de Sakoba Bada, relevant du cercle de Kéniéba, on s’est rendu compte qu’une quantité d’environ 10 grammes de mercure est cédée entre 1500 et 2000 F. Ce que confirme Ousmane Diarra, un orpailleur trouvé sur le site de Sakoba Bada, s’activant à mélanger cette substance à la boue pour en extraire de l’or. Il le faisait de façon manuelle et sans aucune protection : pas de gants ni de masques. Ignorant les risques de son geste, il affirme qu’une fois le travail terminé avant de rentrer chez lui, il se lave les mains avec du savon et l’eau de javel. « Je souffre souvent de démangeaison et de courbatures que je soigne avec des plantes puisque n’ayant pas les moyens de me soigner dans les hôpitaux ». Lui aussi n’a pas manqué de nous confirmer que ce sont les acheteurs d’or qui proposent aux orpailleurs les produits chimiques comme le mercure très utilisé sur ce site.

Appelée amalgamation, l’opération consistant à mélanger le minerai réduit en cendres aux produits chimiques, est trèssouvent effectuée par des femmes et des enfants (filles et garçons). Après le mélange, les substances obtenues forment un alliage avec l’or, créant un amalgame. Le minerai est lavé sur une rampe recouverte d’au moins cinq morceaux de tapis rugueux. Le minerai enrichi après lavage des tapis avec du détergent est amalgamé par addition de mercure. L’or amalgamé est ensuite débarrassé du mercure par chauffage au fourneau de charbon de bois. Pour voir de ses propres yeux cette opération, il faut se rendre sur le site de Djidian, dans le cercle de Kita, région de Kayes. Ici, règne un gros vacarme. La circulation de l’eau est interrompue pour laver la boue en y déversant toute sorte de déchets parfois chimiques. Sur les sites d’orpaillage de nombreuses activités connexes se sont développées telles que le commerce, la restauration, la réparation des machines, en particulier dans les grands sites, la vente et le transport d’eau, la forge et le transport. Sur place, en plus de la nuisance sonore créée par des machines comme les broyeurs, les concasseurs, les cracheurs, les motopompes, les groupes électrogènes, l’air est irrespirable à cause des fumées se dégageant d’un peu partout.

Les reins mis à rude épreuve

Le Dr Djiguiba Karamoko, chef de service néphrologie à l’hôpital Mère et enfant « Le Luxembourg » de Bamako reçoit de nombreux patients venant des zones d’orpaillage. Soutenant que c’est une profession à haut risque sur le plan médical, il a confirmé la toxicité de ces produits chimiques utilisés massivement et sans aucun contrôle par les orpailleurs.

Autre produit également utilisé dans ces zones, la silice qui est à l’origine de certaines pathologies pulmonaires comme le cancer du poumon, selon ce médecin. Sur 10 à 15 patients qu’il reçoit venant des zones minières, il affirme qu’environ 6 à 7 souffrent d’insuffisances rénales aigües et souvent des problèmes de lithiase (inflammation du foie et de l’estomac). Pour lui, cela pourrait être due à l’utilisation de l’eau dans les zones minières souvent riches en calcaire ou en d’autres produits chimiques responsables de l’apparition de calculs de rein. D’autres, parmi ses patients, souffrent de néphro-tubulo-interstitielle (des dysfonctionnements au niveau des reins suite à des réactions allergiques aux médicaments ou à des infections). Cela pourrait être lié à des produits comme la silice, le mercure, selon le Dr Djiguiba Karamoko.

Cette situation n’est pas étrangère aux conditions de vie qui prévalent sur les sites d’orpaillage. En effet, ceux-ci sont généralement des zones où la démographie augmente de façon exponentielle. Ici, l’exploitation de l’or s’est accompagnée d’une forte immigration de populations venues de divers horizons. Très généralement, les populations locales ne s’opposent pas à leurs activités pourvu qu’elles y trouvent leurs comptes. Avant de se lancer dans cette activité, les orpailleurs paient une taxe forestière s’élevant à 25 000 F. De plus, ils doivent aussi payer des sommes forfaitaires aux chefs des différents puits appelés « Tombolomans ». Tout le long des sites, on aperçoit des habitations de fortune comme des huttes faites de paille. Les occupants y vivent dans la promiscuité et des conditions hygiéniques très précaires. Une situation qui favorise l’apparition de certaines maladies touchant principalement les enfants. On peut également compter des infections sexuellement transmissibles et les infections par le VIH. Les habitants font aussi face à d’autres phénomènes comme le mariage précoce, la déscolarisation, la toxicomanie.

Selon un ancien orpailleur du nom de Sissoko, dans les puits, certains sont obligés de se droguer et s’inoculer de stupéfiants par injection afin de ne pas voir le temps passer et avoir le courage de continuer le travail. Sissoko qui travaille actuellement dans une société minière affirme qu’il était orpailleur de 2012 et 2016. Il raconte que c’est après l’obtention de sa maitrise en droit en 2012 qu’il a été obligé de rentrer chez lui à Djidian pour être au chevet de sa mère après le décès de son père. Une fois de retour au bercail, il n’a pas hésité à saisir la seule opportunité qui s’offrait à lui à savoir l’orpaillage en plein boom dans la zone. A l’en croire, sa première journée dans ce travail a été dure mais très fructueuse puisqu’il a pu rassembler un montant de plus de 2 000. 000 FCFA. Par la suite, il a gagné tellement d’argent qu’il a pu reconstruire sa maison et épouser trois femmes, qui lui ont fait de nombreux enfants.

Sur la route de Sakolo Bada, nous avons rencontré trois fillettes Adizatou, Kadia et Mariam, respectivement âgées de 12, 14 et 16 ans. Elles étaient en train de laver la boue prise sur les sites d’orpaillage pour en extraire l’or. D’après leurs propos, elles ont été contraintes d’abandonner la scolarité depuis l’âge de 8 ans environ pour faire ce travail. Elles racontent qu’elles étaient en train de préparer le mariage de leur grande-sœur. A les croire, un seul gramme d’or peut valoir jusqu’à 30 000 FCFA. Des propos corroborés par un chef de puits rencontré à Djidian qui a reconnu avoir vendu pour une seule journée l’équivalent de 3 millions de FCFA soit 100 g d’or. C’est cet appât du gain facile dans un pays où le salaire minimum est de 40 000 F par mois qui pousse les gens à s’orienter davantage vers ce secteur. Ce qui constitue un piège pour nombre d’individus qui optent pour l’orpaillage.

Réaction timide des autorités

Craignant une catastrophe écologique dans les sites aurifères du pays, les autorités maliennes ont lancé en 2018 une campagne de sensibilisation contre les dangers liés à l’utilisation des produits chimiques toxiques dans l’exploitation minière. Malgré l’interdiction édictée en 2017 par le ministère malien des Mines, les produits chimiques et toxiques continuent d’être utilisés. En 2018, un camion rempli de cyanure avait été saisi par le service des douanes dans le cercle de Kéniéba. Plus récemment, le 31 août 2022, le Directeur National de la Géologie et des Mines, Cheick Fantamady Keita avait saisi le Président de la Fédération Nationale des Orpailleurs du Mali (FNOM) pour le féliciter de la découverte d’une quantité importante d’un produit chimique, en l’occurrence le cyanure de sodium frauduleusement entré en territoire malien. C’est ainsi qu’il a tenu à informer que « ce produit est très toxique et donc très dangereux pour la santé ».

Le Mali a ratifié la Convention de Minamata sur le Mercure le 27 mai 2016. Adopté le 10 octobre 2013 à Kumamoto, au Japon, ce texte entré en vigueur en août 2017, vise à interdire l’utilisation de ce produit. La Convention traite également de la question du stockage provisoire du mercure ainsi que de son élimination une fois devenu déchet, des sites contaminés ainsi que des aspects sanitaires.

En novembre 2019, le Mali a élaboré et débuté la mise en œuvre d’un Plan d’Action National (PAN) sur le mercure qui a pour objectif de réduire, si possible éliminer, l’usage du mercure dans l’extraction minière artisanale et à petite échelle de l’or.

Dans le même cadre, l’arsenal juridique du Mali dispose de certains textes comme le décret n°07-135/P-RM du 15 avril 2007 fixant la liste des déchets dangereux, dont l’article 1 alinéa 2 cite le mercure et ses composés dont l’usage est interdit. Le Code minier révisé en 2019 dans son article 50 prévoit également une interdiction de l’usage du mercure et de bien d’autres produits chimiques. N’ayant pas d’accès à la mer, des experts indiquent que ces produits chimiques sont introduits au Mali en contrebande depuis le Bénin, le Togo, le Burkina et le Sénégal, empruntant des itinéraires de trafic illicite.

Un autre type d'impacts négatifs sur l’orpaillage concerne les fréquents accidents mortels dus, à la fois, à l'inexistence d’équipements de protection et aux excavations désordonnées. Dans les exploitations artisanales à forte concentration de populations, les creusements de puits et galeries, en dehors de toute règle de sécurité, accompagnés d'accumulations anarchiques de boues entraînent de fréquents éboulements meurtriers. Pour limiter les dégâts notamment pendant la saison pluvieuse, le gouvernement a pris la décision de suspendre toutes les activités liées à l’orpaillage sur toute l’étendue du territoire, de la période allant du 15 juin au 30 septembre 2022.

Pour la sécurité des orpailleurs qui travaillent parfois au péril de leur vie, le ministère des Mines a même exhorté les autorités administratives et coutumières, ainsi que les organisations des exploitants concernées par cette mesure, à conjuguer les efforts pour le respect de la disposition que le gouvernement a prise.

Les puits miniers abandonnés sont source d’insécurité pour les populations notamment les éleveurs. En période de pluies, les puits se remplissent d’eau et provoquent des décès par noyade de personnes et de bêtes. C’est ainsi que de 2019 à 2022, se basant sur des récits médiatiques, nous avons recensé au moins six éboulements très meurtriers qui ont entrainé la mort d’au moins 93 personnes. Parmi les cas les plus meurtriers on peut citer celui survenu dans la région de Kidal, en mai 2021 où au moins une quarantaine de mineurs ont péri et celui enregistré dans la zone de Kéniéba en septembre de la même année où 19 orpailleurs dont 10 femmes été tués.

D’après le Dr Diarra Moussa Modibo, médecin chef du district sanitaire de Kéniéba, en moyenne, on assiste à au moins un éboulement par mois. Pour lui, la majeure partie des victimes meurent puisqu’elles se retrouvent piégées sous les décombres. En cas de survie, il ajoute que ces personnes subissent des traumatismes multiples tout en déplorant l’abandon sans restauration d’anciens sites, les rendant inadaptés à l'agriculture et à l'élevage.

Une décision sans cesse violée

Pour constater la violation de la décision des autorités d’interdire l’orpaillage pendant l’hivernage, il suffit de se rendre à Tourela, localité située près de la Cité universitaire de Kabala et relevant du cercle de Kati, dans la région de Koulikoro. Chaque matin, ils sont des centaines de jeunes à s’affairer autour de ce site constitué d’une succession de puits à perte de vue et des tas de terre dans un désordre indescriptible.

Ce site est un terrain nu de plusieurs centaines de mètres. Ici, les trous creusés pour les besoins de l’exploitation des mines sont distants d’environ 10 m. Sur ce site, les orpailleurs ont mis en place « un tribunal » géré par les plus anciens pour trancher d’éventuels conflits pouvant survenir en cas de mésentente autour des trous.

Il n’y a aucun centre de santé à proximité. En cas de maladie, les orpailleurs sont soignés à travers des plantes et d’autres décoctions dont l’effet reste à prouver scientifiquement.

Rencontré sur ce site où il travaille depuis cinq ans environ, M. Sylla, 40 ans, précise que les occupants ont recours aux « médicaments de la rue » ou aux remèdes de la pharmacopée traditionnelle en cas de maladies jugées bénignes.

Même en pleine saison pluvieuse comme c’est le cas au mois d’août, les orpailleurs n’hésitent pas à s’adonner à leurs activités en descendant sous les galeries. Pourtant, l’un des responsables de puits rencontrés sur place, Moussa Diarra, a reconnu la dangerosité de descendre sous les puits durant cette période puisqu’il y a de nombreuses connaissances qui y ont perdu la vie suite à des éboulements de terrain. « Toutefois, la quête de l’argent et celle d’une vie meilleure vont au-delà de tous les risques et dangers » soutient-il. Avant d’ajouter « j’ai des bouches à nourrir et ce n’est pas en croisant les bras que je vais nourrir ma famille ». Le cas est le même pour Fanta Cissé, veuve et mère de quatre enfants. Cela fait deux ans qu’elle et sa petite famille ont déménagé sur ce site. « Après le décès de mon mari suite à un accident de la circulation je me suis retrouvée toute seule sans l’aide de qui que ce soit » se désole-t-elle. « J’enchainais les petits boulots d’aide-ménagère sans revenus suffisants pour assurer les besoins de ma famille. C’est ainsi que l’une de mes connaissances m’a parlé du travail dans cette mine et j’avoue que j’y gagne bien ma vie », se réjouit-elle. Toutefois, elle avoue qu’elle ne recommandera ce travail à personne puisqu’elle a perdu beaucoup d’amies parfois sous les décombres des mines effondrées.    

Si dans les autres régions du Mali, c’est surtout l’utilisation abusive des produits chimiques et autres substances toxiques comme les hydrocarbures qui inquiète, dans le nord du pays c’est surtout l’insécurité qui fait le plus de dégâts. Ainsi, d’octobre 2019 à septembre 2022, se basant sur des récits médiatiques, nous avons recensé au moins quatre cas d’incident de sécurité ayant coûté la vie à au moins 18 personnes. Ces cas non exhaustifs ont été relevés au niveau des sites d’orpaillage d’Intahaka, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Gao et le site de Manganèse de Tassiga, localité relevant du cercle d’Ansongo, toujours dans la région de Gao.

C’est dire que si au Mali, l’orpaillage occupe une place de choix et détient un rôle privilégié, l’exercice de ce métier n’est pas sans risque. Pire, il n’entraine que désolation et tristesse au regard du nombre élevé de morts causé entre autres par les produits chimiques, les éboulements de mines et des incidents sécuritaires. Souvent, ce sont les jeunes qui paient le plus lourd tribut.

Enquête réalisée par Maciré DIOP avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)