En tant que nouveau président du G5 Sahel – Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad –, comment comptez-vous rendre opérationnelle cette force régionale qui manque de financement ?
C’est vrai que certains pays ne sont pas très favorables à nous financer. Nous avons des promesses de financement de la part de l’Union européenne, de la France, des Etats-Unis. Mais ce n’est pas suffisant. Nous ne désespérons pas. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis vont également apporter leur soutien.
Nous allons continuer les plaidoyers pour convaincre les hésitants, ce qui peut prendre du temps. Mais le G5 Sahel n’a pas uniquement une dimension militaire. Là encore, la finalité est une intégration économique dans cette région sinistrée où l’on trouve des indices de développement parmi les plus faibles au monde. Le crime organisé s’est développé, se greffe parfois sur le terrorisme, et constitue lui aussi une menace sécuritaire et économique.
Cette force africaine ne risque-t-elle pas d’être isolée et donc incapable de remporter cette guerre ?
Nous avons adopté une stratégie purement africaine. Nous sommes des pays fragiles mais déterminés. Il serait préférable de placer notre force conjointe du G5 Sahel sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise le recours à la force. Mais les Etats-Unis n’y sont pas favorables. J’aurais également voulu que la force conjointe soit une brigade de la mission des Nations unies au Mali sur le modèle de la brigade mixte en République démocratique du Congo.
Certains dispositifs me semblent inappropriés et je crois qu’on se trompe de combat lorsque l’ONU déploie au Mali des opérations de maintien de la paix, qui coûtent un milliard de dollars [800 millions d’euros]. Ce n’est pas de paix dont il s’agit mais d’une guerre contre les groupes terroristes qui menacent l’unité du Mali et ravagent le Sahel.
Qu’en est-il de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 par des groupes du nord du Mali réticents à se désarmer, dont l’application semble tarder ?Il n’est pas caduc. Sa mise en œuvre est conditionnée à la défaite du terrorisme. D’autant que ces mouvements qui ont signé cet accord ont été, il n’y a pas si longtemps encore, avec les groupes terroristes. D’ailleurs, certains signataires ne savent pas qui sortira vainqueur de cette guerre et semblent encore hésitants à choisir leur camp.
Etes-vous favorable à une loi de réconciliation avec les mouvements du nord du Mali ou à une amnistie, comme vous l’avez accordée à certains repentis de Boko Haram ?
C’est au Mali de décider. Au sein du G5 Sahel, notre priorité est de restaurer l’autorité de l’Etat malien sur son territoire et de faire que cet Etat reste laïc. Au Niger, nous privilégions des approches complémentaires et je crois qu’il faut promouvoir des négociations quand on le peut. Evidemment, certains mouvements sont exclus de cette approche. Notre programme de déradicalisation et de réinsertion de repentis de Boko Haram se poursuit. Nous avions lancé un appel à la reddition en décembre 2016 à ceux qui étaient disposés à déposer les armes, ce que nous n’avons pas encore fait au nord du pays.
Selon vous, la lutte contre Boko Haram peut-elle être menée à bien par la Force multinationale mixte (FMM), qui réunit les armées du bassin du lac Tchad ?Malgré quelques revers, la tendance est à l’affaiblissement de Boko Haram et la FMM opère sur un terrain difficile. La guerre ne peut être remportée seulement par les armes. La naissance de ce mouvement puise sa source dans la pauvreté et l’impact du changement climatique qui a provoqué la réduction de 90 % du niveau des eaux du lac Tchad et bouleversé l’économie locale.
Nous avons un plan quinquennal de développement dans cette région et nous comptons, avec les autres pays du lac, exhumer un vieux projet : le transfert des eaux du fleuve Oubangui vers le lac Tchad via un canal créé pour l’occasion. Cela va coûter très cher mais c’est indispensable. Nous allons en discuter fin février à Abuja, au Nigeria, lors d’une conférence de l’Unesco et de la Commission du bassin du lac Tchad.
Vous devez aussi contenir une menace qui vient de Libye. Comment envisagez-vous la gestion de la crise ?
Je suis un peu désespéré. Le pays est trop divisé, tribalisé, avec des milices puissantes ; je ne les imagine pas accepter un désarmement. Il faut donc une force, dont j’ignore la nature, pour les combattre. A cela s’ajoute le terrorisme. J’espère un miracle. On soutient la feuille de route des Nations unies. Mais ça n’avance pas assez vite. Il faut une Constitution et des élections. Pour le moment, les parties libyennes ne s’entendent pas. Or la solution doit venir des Libyens. Si on ne règle pas le problème, on ne pourra pas ramener la paix dans le Sahel ni combattre le djihadisme et sa pensée qui se diffuse dans la région.
Comment le Niger fait-il face à la montée de l’islam radical parfois financé par des pays du Golfe ?
Il ne faut pas sous-estimer l’influence de ces pays et il faut prévoir des digues. On vit une sorte de Moyen Age de l’islam, avec des réformes et des affrontements. Mais on en sortira tôt ou tard. Il faut mettre des garde-fous pour contenir la tendance à confessionnaliser la politique. Au Niger, certains revendiquent la charia et des groupes veulent créer des partis religieux.
Encore une fois, le développement est crucial. Nous consacrons 25 % du budget de l’Etat à l’éducation. Nous avons également renforcé l’enseignement de l’histoire des religions à l’école, gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, pour mieux contrer la radicalisation. Si on n’arrive pas à donner du travail à nos jeunes de moins de 25 ans, qui représentent 75 % de la population, alors nos digues pour contrer ces forces néfastes s’écrouleront. C’est une course contre la montre.
Extrait de l'entretien réalisé par Lemonde