« Beyond Timbuktu : The intellectuel history of muslim west Africa » (Au-delà de Tombouctou : l’histoire intellectuelle de l’Afrique de l’Ouest musulmane) est le nouvel ouvrage du Pr Ousmane Kane de l’Université de Harvard aux Etats-Unis. Ce livre rejette l’ordre épistémologique occidental dominant en Afrique de l’Ouest et revient sur l’histoire intellectuelle musulmane de cette région du continent.
La destruction des mausolées de Tombouctou en 2013, lors de l’occupation djihadiste, avait suscité un tollé que même le pardon formulé en début de semaine par l’ex-djihadiste, Ahmad-Al Mahdi devant la Cpi, n’aura pas suffi pour calmer les ardeurs. Toutefois, ce que très peu de gens savent et qu’Ousmane Kane, professeur à l’Université de Harvard, aux Etats-Unis, développe dans son dernier ouvrage, c’est que la « ville aux 333 saints » n’était qu’un centre d’érudition précolonial parmi tant d’autres en Afrique de l’Ouest.
« Beyond Timbuktu : The intellectuel history of muslim west Africa » (Au-delà de Tombouctou : l’histoire intellectuelle de l’Afrique de l’Ouest musulmane) présenté, jeudi dernier, au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), cherche à corriger cette perception dominante de l’Afrique. L’auteur veut également rompre avec la perception de l’Afrique comme continent de l’oralité, en mettant l’accent sur la contribution des lettrés musulmans à la production et la transmission du savoir ainsi qu’à la transformation sociétale et la construction étatique. Ce faisant, il réfute « l’idée d’un ordre épistémologique occidental dominant en Afrique de l’Ouest ». Selon lui, aucune étude de l’histoire de l’éducation ou de la production du savoir en Afrique de l’Ouest ne saurait être complète s’il ne tient pas compte de cette tradition intellectuelle.
D’après Pr Kane, au cours du second millénaire, la diffusion de la langue arabe a transformé profondément les sociétés africaines à tel point que certains peuples islamisés du Sahara et du Sahel ont renoncé à leur identité linguistique, culturelle et ethnique pour revendiquer une arabité exclusive. Au même moment, note-t-il, « d’autres ont maintenu leurs langues africaines, tout en utilisant le caractère arabe pour les transcrire, pour composer des textes, y compris des chroniques. »
Hégémonie occidentale
Dans cet ouvrage, M. Kane montre comment la langue arabe a été un véhicule aussi important de transmission du savoir au sein des peuples musulmans d’Afrique que le latin l’a été parmi les peuples de l’Europe. « L’essentiel des écrits arabes produits entre le 8ème et le 15ème siècle, soit la période de formation de la civilisation islamique, est l’œuvre de non Arabes. Au fur et à mesure que les conversions à l’Islam continuaient dans les siècles suivants, l’arabe devient une langue d’instruction pour beaucoup d’autres peuples, y compris en Afrique de l’Ouest. La langue arabe et le caractère arabe utilisé pour transcrire les langues africaines étaient les principaux véhicules de transmission du savoir au sein des communautés musulmanes jusqu’à l’émergence de l’hégémonie occidentale », fait-il savoir.
Ainsi, au-delà de l’aspect historique de la constitution d’une civilisation islamique en Afrique de l’Ouest, « Beyond Timbuktu… » renseigne que très peu d’intellectuels europhones sont au fait de l’impact, la profondeur, la vitalité et la capacité d’adaptation de cette tradition intellectuelle. Et l’histoire de l’érudition n’a pas commencé avec la colonisation occidentale. « Une analyse de la bibliothèque ou de l’histoire intellectuelle africaine sera forcément incomplète si elle ne prend pas en compte les débats intellectuels vigoureux qui ont lieu pendant la période allant de la création de Sankoré et celle de Fourah Bay College. L’ordre épistémologique dominant ne pouvait être occidental pour la simple raison que l’Occident ou la civilisation moderne était sinon existante, du moins embryonnaire », écrit Pr Kane.
A ses yeux, l’éducation islamique en Afrique de l’Ouest commence avec l’islamisation de cette région qui débute dès le premier millénaire. Ce livre démontre également la façon dont les conceptions européennes étaient encore très influentes au moment de l’accession à l’indépendance des pays de l’Afrique occidentale. C’est ainsi que beaucoup de musulmans scolarisés ont été formés suivant la pédagogie occidentale.
Pour l’historien et professeur Boubacar Barry, ce livre est une encyclopédie sur l’histoire intellectuelle de l’Afrique depuis les origines. Il rapporte des événements auxquels les musulmans ont été confrontés et montre que l’intelligentsia de l’Afrique de l’Ouest a été partie prenante de la Umma. A l’en croire, l’auteur montre, à travers le maillage de l’histoire intellectuelle, les fondements à la fois humains… donnant lieu à un espace ouvert dans lequel il n’y a pas de frontière. Toutefois, il reproche à l’auteur de n’avoir pas mis un accent sur l’importance des langues africaines en tant que véhicule du système éducatif.
Ibrahima BA