Situation des déplacés internes au Mali : Une poule aux œufs d’or pour des trafics en tous genres

Par kibaru
Les déplacées de Ouatagouna dans la Cour de la mairie de Labbezanga

Depuis le déclenchement de la crise sécuritaire en 2012, le Mali fait face à des déplacements massifs des populations. Une situation due en grande partie à la poursuite des violences armées marquée par les opérations militaires, les attaques terroristes et les conflits intercommunautaires. Raison pour laquelle, des centaines de milliers de personnes sont contraintes de fuir leur foyer. Si certaines traversent les frontières pour trouver la sécurité, beaucoup cherchent refuge dans leur pays d’origine, souvent dans des camps ou des sites informels. Pour autant, ces personnes déplacées internes (PDI) malgré leur détresse, sont victimes de toutes sortes d’abus et parfois d’une exploitation qui ne dit pas son nom. Leur malheur devient même source d’enrichissement de nombreux acteurs.

Dans de nombreuses régions du Mali, la gestion des personnes déplacées internes (PDI) constitue un casse-tête chinois. Une mafia spécialisée dans le détournement de fonds s’est formée autour de ces personnes en grande détresse. Aussi, nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas voir cette situation se terminer de sitôt. Au 31 juillet dernier, le Mali comptait 381 529 personnes déplacées internes regroupées au sein de 66 377 ménages. Selon les chiffres fournis par la Direction nationale du Développement social (DNDS). 55% de cette population déplacée sont des femmes contre 45% d’hommes. De plus, 64% sont des enfants âgés de moins de 17 ans. La population active représente 34% et les 60 ans et plus représentent 2%.

Ces personnes déplacées internes sont regroupées dans 105 sites de déplacement répartis respectivement dans les régions de Tombouctou (51), Gao (20), Mopti (19), Ségou (9), Koulikoro (2) ainsi que le district de Bamako (4). Cette situation n’exclut pas la présence de sites installés de manière spontanée et anarchique. Autre particularité, c’est la région de Mopti devenue l’épicentre des violences au Mali qui compte le plus de PDI (150 746). Suivent les régions de Gao (97 859), Tombouctou (50 734), Ségou (42 859), Ménaka (12 995), Koulikoro (7 290), Sikasso (5833), Bamako (7290) Kidal (3 488) et Kayes (2435).

A la lumière de ce qui précède, tout indique qu’aucune région du pays n’est épargnée par ces déplacements des populations. Toutefois, le problème c’est que cette situation, au fil des années, est devenue une vache laitière permettant à certains acteurs de s’enrichir au détriment des véritables bénéficiaires. C’est une chaîne bien organisée, composée de leaders communautaires, des élus locaux, des agents du service de développement social, des commerçants et des humanitaires des ONG chargées d’apporter assistance aux PDI.

RRM, véritable outil de détournement de l’aide humanitaire ? 

Très généralement, pour profiter de cette situation, des acteurs mettent en place un système d’alerte appelé « Mécanisme de Réponse Rapide » (RRM). Ce système passe par une ONG qui assure ce qu’il est convenu d’appeler « la veille humanitaire » c’est-à-dire le leadership des actions humanitaires destinées aux populations plus gravement affectées par un choc. Très souvent, c’est une seule ONG qui coordonne le programme d’assistance destinée à celles-ci en collaboration avec des services de l’Etat comme la direction nationale du développement social et d’autres humanitaires. Cette ONG a un point focal dans toutes les communes concernées. Son rôle est d’informer le bureau central de sa structure de tout cas de déplacement des populations dans leurs communes respectives.

Une vue d’un centre de déplacés à Bamako

Organisation de la chaîne 

Lorsqu’il y a un déplacement des populations dû à un événement malheureux, le leader communautaire fait remonter l’information à la mairie. Cette dernière saisit l’administration territoriale (arrondissement, cercle et gouvernorat). Laquelle se charge d’adresser une note dans ce sens à la représentation de la direction régionale du développement social. Cela, en vue de confirmer ce déplacement des populations. Le plus souvent, le développement social demande la liste de toutes ces personnes déplacées à l’auteur de l’alerte.

Par la suite, la direction régionale du développement social transmet son rapport à l’ONG qui assure la veille humanitaire qui est déjà informée de la situation à travers son point focal. C’est là qu’une mission d’évaluation composée des agents de l’ONG en question et du développement social effectue un déplacement sur le terrain pour s’informer davantage de la situation des déplacés. Il peut aussi arriver que seuls les agents locaux de l’ONG fassent le déplacement puisque dans certains endroits sous contrôle des groupes armés, la présence des agents de l’Etat est indésirable.

C’est ainsi qu’une liste plus ou moins exhaustive des besoins est dressée. Après ces différentes étapes appelées « ciblage », il ne restera plus que la validation de l’alerte afin que l’assistance d’urgence soit apportée le plus rapidement possible. Cette assistance couvre généralement une période de 6 mois pour chaque alerte au cours de laquelle les besoins alimentaires, en abris et du cash sont distribués chaque mois. Avant le départ sur le terrain, les agents se mettent en contact avec les autorités locales pour prendre des dispositions afin de briefer et transformer certains villageois en déplacés internes. Ce qui permet de gonfler les chiffres afin de faire plus de profit après le partage.

Ce cas nous a été confirmé par un élu local de la commune de Aljounoub, dans la région de Tombouctou qui a relevé de nombreux sites comme dans la zone de Gargando et Bint Maouloud qui n’abrite aucun déplacé interne. Selon lui, très souvent des agents de certaines ONG feraient appel aux services de personnes ne connaissant pas la zone pour monter des sites de toutes pièces afin de détourner l’aide humanitaire. Avant d’affirmer que sa commune abrite de nombreux sites de déplacés internes comme Nossi, Lehmar et Jdeïd qui n’ont reçu aucune aide. Les PDI recensées dans ces zones ont fui notamment le conflit de Lerneb en 2020 et les affrontements au Centre.

Dès les premiers instants de ce juteux programme, toute une chaîne est organisée pour non seulement créer de fausses alertes mais aussi détourner l’assistance destinée aux personnes déplacées internes. Un cas pareil est actuellement posé avec l’ONG allemande Help qui a été contrainte de geler les contrats de certains agents véreux ayant prétendu apporter une aide humanitaire de 45 000 F pour près de 400 ménages déplacés de Indeliman à Talataye, dans la commune d’Ansongo, depuis novembre 2019. Sauf que depuis, la plupart de ces ménages recensés dont beaucoup sont devenus des autochtones n’ont rien reçu. Toutefois, l’information a circulé et les chefs de fraction se sont déplacés à Gao afin d’avoir des clarifications. Notons qu’avant Help c’était l’ONG Action contre la Faim qui avait aussi vu certains de ses agents empêtrés dans des détournements.

Pour revenir sur ce système d’alerte à savoir le RRM, de nombreux sites abritant de fausses PDI sont créés un peu partout, surtout en milieux nomade et rural. Dans le dernier rapport de la DNDS, il a été établi que plus de la moitié des 105 lieux de déplacement évalués (52%) était localisés en milieu rural proche d’une ville. D’autres lieux de déplacement évalués étaient situés en milieu rural isolé (19%), situés principalement dans les communes de Ber et Bourem Inaly (cercle de Tombouctou) et Rharous.

Après l’évaluation des besoins, il sera demandé aux autres ONG, chacune dans son domaine, d’intervenir pour faire face à l’urgence. Ainsi, le jour de la distribution des aides, l’équipe en charge de l’activité vient sur le faux site pour une cérémonie officielle et prend des images d’une donation symbolique pour un ou deux bénéficiaires. Ensuite, les différents acteurs se partagent le reste entre eux. Toujours selon l’élu de la commune d’Aljounoub, une fois un montant de 1 million de FCFA lui a été envoyé comme sa part dans la distribution de l’aide humanitaire dans sa zone où intervenait l’ONG Solidarité Internationale. C’était le premier RRM auquel participait l’ONG Solidarité Internationale au mois de juillet dernier et il concernait les sites de Tartit, Tahijart et Bint Maouloud.

Des femmes déplacées du Centre dans une école de Niono

Les besoins non-alimentaires, une véritable vache laitière

D’après un agent humanitaire qui a requis l’anonymat, si la commande des NFI/BNA (besoins non-alimentaires) est évaluée à 30.000.000 FCFA par exemple sans le transport, le commerçant livre juste une valeur de 10.000.000 FCFA et le reste est empoché par les différents acteurs. Il nous explique que pour les partenaires l’image d’une distribution même symbolique peut peser lourd sur la balance. Cela se passe surtout dans les zones où la sécurité n’est pas assurée.

D’après Sidi Hamane Adiawiakoye, qui a déjà servi au sein de plusieurs ONG dans les régions de Tombouctou et Gao dont DRC et ACF depuis 2019, il a eu à constater à plusieurs reprises des cas de détournements de l’aide humanitaire dans les localités de Inadjatafan (Tombouctou), Tessit et Taboye (Gao).  Ici, on avait fait croire aux agents qu’il y avait des déplacés internes qui ont été assistés alors qu’il n’en était rien. Son travail à lui consistait à faire un monitoring des distributions de l’aide humanitaire (Post Distribution Monitoring).

Il est important de préciser que la majeure partie de l’enveloppe est empochée par des agents d’ONG puisque ce sont eux qui font le gros du travail à savoir l’élaboration de listes parfois fictives de bénéficiaires, la détermination des kits NFA (besoins non-alimentaires) et parfois la formation des commerçants sur certains outils comme les Katcher et Red Rose. Souvent, pour empocher le gros lot, ils peuvent prétendre remettre une partie du montant à leurs chefs basés à Bamako ou ailleurs (agents Logistique et ceux en charge du Programme RRM) pour valider les infos.

Multiplication de conflits entre leaders communautaires

Le moins que l’on puisse dire c’est que cette assistance intéresse de plus en plus les leaders communautaires et autorités municipales à tel point que chaque incident sécuritaire peut faire l’objet de fausses alertes de déplacements de populations ne profitant très souvent qu’à des  ONG. Cependant, il a été constaté que plus les leaders communautaires deviennent nombreux à s’intéresser à cette affaire, plus des malentendus et des querelles d’intérêts naissent entre eux.

Cette situation a fini par encombrer le bureau de certaines ONG chargées d’assurer la veille humanitaire qui reçoivent par mois de nombreuses fausses alertes. Ne sachant plus distinguer le vrai du faux, le bon grain de l’ivraie, certaines ONG n’ont eu d’autres choix que de changer plusieurs fois leurs équipes locales. Finalement, cette situation a aussi créé un véritable conflit d’intérêt entre les leaders communautaires qui n’hésitent pas à s’accuser mutuellement de monter des fausses alertes. De nombreux bureaux d’ONG internationales à Gao ou ailleurs reçoivent régulièrement des plaintes et des dénonciations dans ce sens par des leaders communautaires. Ainsi, certaines ONG ont même dû geler leur programme depuis le début de l’année à cause de ces pratiques peu orthodoxes qui sont monnaie courante dans plusieurs régions du Nord du pays.

Des sources indiquent que plusieurs milliards de FCFA ont été injectés dans de tels programmes sans que les vrais bénéficiaires à savoir les PDI n’en voient la couleur. C’est le lieu de rappeler les cas de ACF qui était censée assister près de 400 ménages déplacés de Indeliman à Talataye en raison de 150 000 FCFA par ménage, alors qu’il n’en était rien. Lui succédant à ce projet, l’ONG Help a aussi vu quelques-uns de ses agents faire preuve de manque de transparence dans la gestion. Raison pour laquelle elle a été amenée à ne pas reconduire les contrats de certains agents. Alors que dans plusieurs localités du pays, il existe des PDI qui continuent de broyer le noir et de vivre dans une misère indescriptible et le dénuement le plus total. Cela, puisque ces sous et ces aides qui leurs sont destinés ne bénéficient qu’à certains privilégiés sans vergogne. On peut citer le cas de la localité de Fana distante d’une centaine de km de Bamako sur la route nationale 6.

Selon le président du collectif des déplacés internes de la zone, Mohamed Ali Ag Maha, ancien guide touristique à Mopti, Fana abrite plus de 300 ménages déplacés du fait de la crise sécuritaire depuis 2018. Toutefois, à ce jour, ils n’ont encore reçu aucune aide alors qu’ils ont été enregistrés par certaines ONG. Seule la Fédération luthérienne mondiale leur a fourni fin avril dernier quelques vivres insuffisants pour satisfaire les besoins de tous. Comme la plupart des localités abritant de vrais déplacés internes, ceux de Fana sont aussi confrontés à des problèmes de vivres, d’abris décents, de scolarité, de santé, etc.

Emergence de sites abritant de fausses PDI 

Pour déclencher un RRM, il faut au minimum 30 ménages, mais certains sites n’atteignent pas ce nombre et font des colmatages. A noter que beaucoup de situations ont été exploitées pour créer ces faux sites avec des fausses PDI. C’est notamment le cas pour la tension intercommunautaire en cours à Lerneb, localité située à l’ouest de la région de Tombouctou, entre OuladIch et Termouz. Selon l’élu de la commune d’Aljounoub, cette situation a causé le déplacement des populations dans les sites de Nossi, Lehmar, Jdeïd, Titoulawine et Guilimbou qui n’ont reçu aucune aide. Par contre des sites comme Bint Maouloud qui n’abritent aucun déplacé interne ont reçu les agents de Solidarité Internationale qui ont prétendu y avoir fait des aides.

Parmi les causes favorisant ces déplacement, on peut citer aussi les affrontements entre les Groupes Armés radicaux et une milice ethnique ou donsos (chasseurs traditionnels) comme c’est le cas dans plusieurs localités des régions du Centre à l’image de Farabougou, dans le cercle de Niono, région de Ségou et Marébougou, cercle de Djenné, région de Mopti. On peut aussi ajouter à cette situation les attaques suivies de menaces sur les populations civiles (attaque des groupes armés terroristes-GAT contre la MINUSMA à Aguelhock suivie de menaces contre les populations) ou encore (attaques survenues le 8 août dernier dans la commune de Ouatagouna, cercle d’Ansongo). Ce qui est dommage c’est qu’on pousse même les populations à se déplacer. D’ailleurs, à Ouatagouna, les populations restées sur place après l’attaque du 8 août dernier n’ont pas été assistées sur le plan humanitaire. Pour cela, on leur demande de se rendre soit à Ansongo à 75 km de là ou à Labbezanga, vers la frontière nigérienne.

D’autres sources nous ont aussi indiqué des détournements survenus en 2020 dans les communes de Talataye, de Tin Hama, Tessit et Anchawadji et Indeliman dans la région de Gao. Ici, des chiffres sur la situation des déplacés ont été gonflés de toutes pièces. Le cas le plus flagrant c’est surtout à Talataye où on a enregistré près de 400 ménages déplacés internes alors qu’il n’en est rien. Ici, les ONG se basent sur un recensement fait en 2016 alors que la plupart des populations sont rentrées chez elles depuis.

De nos jours, beaucoup de sites dans le cercle de Goundam abritent de nombreux faux déplacés internes où l’on évoque plus de 900 ménages déplacés alors qu’une grande majorité sont des autochtones. Parfois, dans ce cercle, on trouve même des maires qui sont aussi point focal d’ONG internationales. Ce qui est incompatible puisque pouvant créer un conflit d’intérêt. Cette situation est rendue possible par le fait que dans le cercle de Goundam comme dans d’autres localités, la présence de l’Etat est réduite à sa portion congrue, alors que depuis 2019, le Mali dispose d’un Mécanisme national d’alerte précoce et de réponse aux risques sécuritaires. Un service relevant de la primature, censé prendre en charge toutes ces questions.

Un ex-employé de l’ONG Solidarité Internationale du nom de Hamani Ag Khaba, journalier enquêteur de son état, a récemment dénoncé les détournements des vivres et argent destinés à des pauvres dans le cercle de Goundam comme les PDI. Bien que ne mettant pas en cause la bonne foi de l’ONG, il pointe du doigt certains de ses agents qui agissent à l’insu de leur hiérarchie. On trouve aussi des cas similaires dans de nombreuses localités relevant des cercles de Youwarou et Tenenkou, dans la région de Mopti. Il y en a aussi de nombreux autres dans les régions de Kidal, Ménaka et Taoudénit. D’aucuns craignent que cette situation ne soit à l’origine de tensions pouvant aboutir à des affrontements meurtriers.

Des dépalcés ayant trouvé refuge dans une école de la ville de Niono

Sanctions onusiennes contre un détourneur de l’aide humanitaire

Pour citer un exemple, on se souvient du cas d’un cadre influent de l’un des groupes armés impliqués dans le processus de paix au Mali en l’occurrence le dénommé Ahmed Ag Albachar qui est sous sanctions onusiennes depuis juillet 2019. Il est reproché à ce président autoproclamé de la commission humanitaire de faire obstacle à l’acheminement de l’aide humanitaire destinée à Kidal, à l’accès à cette aide ou à sa distribution moyennant une contrepartie. Cet individu est accusé par le Conseil de sécurité de l’ONU d’user de « son influence pour contrôler et choisir les projets humanitaires et les projets de développement concernant la région de Kidal, et déterminer où, quand et par qui ceux-ci devaient être mis en œuvre. Aucun projet humanitaire ne peut être mené à son insu et sans son approbation ». C’est lui qui a aussi le pouvoir d’accorder des permis de séjour et de travail aux agents humanitaires en échange d’argent ou de services.

Le rapport sur son cas indique également que la commission qu’il dirige décide quelles entreprises et quelles personnes peuvent participer aux appels d’offres relatifs aux projets des organisations non gouvernementales (ONG) à Kidal, ce qui lui permet de manipuler l’action humanitaire dans la région et de choisir qui peut travailler pour les ONG. L’aide ne pouvant être distribuée que sous son contrôle, Ag Albachar a une influence sur le choix des bénéficiaires.

Ag Albachar utilise des jeunes désœuvrés pour intimider et racketter les ONG, ce qui perturbe considérablement leur travail. À Kidal, l’ensemble des acteurs de la communauté humanitaire travaille dans la peur, en particulier le personnel recruté sur le plan national, qui est plus vulnérable. Ahmed Ag Albachar est également copropriétaire de la société Timitrine Voyage, l’une des rares entreprises de transport que les ONG sont autorisées à utiliser à Kidal. De même qu’une douzaine d’autres compagnies de transport appartenant à un petit groupe de notables influents issus de la communauté touareg ifogha, Ag Albachar s’approprie une part importante de l’aide humanitaire à Kidal.

En outre, le monopole détenu par Albachar rend l’acheminement de l’aide à destination de certaines communautés plus difficile que pour d’autres. « Albachar manipule l’aide humanitaire pour satisfaire ses propres intérêts et les intérêts politiques du HCUA, en faisant régner la terreur, en menaçant les ONG et en contrôlant leurs activités. Ce faisant, il entrave et perturbe l’aide humanitaire, ce dont pâtissent tous les bénéficiaires dans la région de Kidal » souligne le rapport.

Conflit d’intérêt et favoritisme 

Selon le cadre d’une ONG que nous avons rencontré à Youwarou, une commune de la région de Mopti, l’implication de certains représentants de l’autorité dans ce dossier est évidente. D’après lui, il a constaté que certains élus locaux remportent des marchés des ONG puisqu’étant des entrepreneurs et des commerçants. Pour lui, il a voulu une fois s’opposer à cette pratique qu’il considère comme du « favoritisme ». Mais sa hiérarchie l’en a dissuadé et il était obligé de se plier à une décision visant à favoriser l’élu en question.

Il nous a aussi raconté avoir vu des élus locaux propriétaires de commerces auprès desquels les approvisionnements se font sans aucune transparence et d’autres louant leurs véhicules aux agents des ONG à 50 000 FCFA le jour pour les missions de terrain. Il souligne la nécessité pour les services de l’Etat d’être impliqués dans les actions des ONG en faveur des PDI pour que les aides parviennent aux véritables bénéficiaires de façon efficace, efficiente et inclusive. A ce sujet, il n’a pas manqué de déplorer le fait que très souvent les chiffres des ONG et de la DNDS s’agissant du nombre des déplacés sur un site soient différents. Selon lui, c’est déjà à partir de là qu’il faut commencer les corrections pour éviter que les aides destinées aux PDI ne soient détournées à d’autres fins. Toutefois, il a reconnu l’insuffisance des quantités de vivres offertes par les services de l’Etat pour satisfaire les besoins de toutes les PDI.

Des ONG dans l’anticipation et la prévention de mauvaises pratiques

Pour anticiper et prévenir certaines mauvaises pratiques pouvant survenir dans la distribution de l’aide humanitaire au Mali, des ONG ont mis en place des outils pouvant permettre aux populations de les saisir directement. C’est notamment le cas de du Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC) qui a mis en place deux dispositifs à savoir le Mécanisme d’écoute et d’information  des Communautés (MEIC) et la protection contre l’exploitation et l’abus sexuel (PSEA). Le Mali est d’ailleurs le premier des 30 pays dans lesquels intervient le NRC où ces dispositifs sont installés.

Ils sont gérés par une équipe d’enquêteurs indépendants aussi bien internes qu’externes qui respectent le principe de confidentialité. C’est ainsi que les communautés ou même parfois des membres du personnel de NRC peuvent saisir ces enquêteurs pour des plaintes qui seront traités dans l’anonymat le plus total et très généralement des mesures sont prises contre des agents indélicats. A noter que pour permettre à ces enquêteurs de travailler en toute indépendance, neutralité et partialité, ils sont entièrement détachés du programme NRC. Le but étant de se faire accepter par la communauté. En dehors des lignes vertes, ces enquêteurs installent également des boîtes à suggestion dont l’accès est uniquement réservé au staff de ces deux dispositifs. Cette politique du NRC s’applique aussi bien au staff, aux fournisseurs et aux prestataires.

De son côté, le Directeur pays de l’ONG « Solidarités International » Ugo FABRY, rencontré à Bamako a tenu à préciser ce qui suit : « Concernant notre assistance aux PDI, nous travaillons dans un cadre d’actions coordonnées appelé RRM (Rapid Response Mechanism). Tout d’abord, il convient de préciser que ce mécanisme dispose de ressources limitées, ce qui nous impose d’être très vigilants sur le respect des indicateurs déclenchant une assistance. Ceux-ci sont connus de l’ensemble des acteurs de la zone participant à la réponse humanitaire (OCHA, Développement social, leaders communautaires, ONG…) et c’est au regard de ces critères que nous prenons la décision d’intervenir, après triangulation des informations à notre disposition, de vérifications in situ et toujours en coordination avec l’ensemble de la communauté humanitaire ». Avant d’admettre : «  Aussi, ce mécanisme ne permet malheureusement pas de répondre à toutes les situations et à tous les besoins humanitaires dans une zone donnée, ce qui peut créer parfois des frustrations mais nous nous employons à toujours faire remonter tous les besoins que nous identifions et que l’on nous remonte à la communauté humanitaire. Mais encore une fois malheureusement et à titre de rappel, le Plan de Réponse Humanitaire au Mali n’est à ce jour financé qu’à hauteur de 30% pour l’année 2021 par les différents bailleurs de fonds et partenaires financiers, ce qui laisse imaginer l’étendue des besoins humanitaires non couverts dans le pays. Nous le déplorons, mais c’est une réalité ».

Pour conclure, il n’a pas manqué d’indiquer que : «  Du côté de nos ressources humaines, nous faisons le maximum pour recruter des équipes qui soient tout à la fois compétentes, inclusives et portant une éthique conforme aux principes humanitaires. Mais bien évidemment comme tout employeur, il peut nous arriver d’être confronté à des initiatives malheureuses que nous faisons en sorte de prévenir et maîtriser à travers des garde-fous. L’un d’entre eux consiste en des mécanismes de gestion des plaintes qui permettent à l’ensemble de nos bénéficiaires de remonter toute anomalie à notre senior management, de manière anonyme pour que la parole soit la plus libre possible et les personnes protégées, ce qui déclenche automatiquement dans nos procédures une investigation. Au-delà des bénéficiaires, nous encourageons l’ensemble des parties prenantes de nos actions à nous faire valoir leur point de vue et leur analyse d’une situation donnée. Cela participe de la qualité de notre travail et de son amélioration ».

Bamako, lieu de tous les trafics 

Si dans les autres régions à l’intérieur du pays, c’est surtout le détournement des aides destinées aux PDI et la création de fausses alertes qui prédominent, à Bamako, la situation n’est pas si différente à quelques exceptions près. En effet, régulièrement les gestionnaires de sites de PDI à Bamako font l’objet d’accusations de détournement de vivres, de besoins non alimentaires et même parfois d’argent.

Coupon alimentaire remis à des déplacés de Ouatagouna

Il faut rappeler qu’à Bamako, le nombre de PDI a doublé en l’espace de trois mois seulement. En effet, alors qu’elles n’étaient que de 3230 en mai, les PDI sont depuis le mois de juillet dernier à 7290. Elles sont réparties autour de quatre sites à savoir : Mabilé, Faladié, Niamana et Senou. Le dénominateur entre tous ces sites c’est que leurs occupants font face à d’énormes difficultés notamment à s’alimenter correctement. Alors que très souvent des dons leur parviennent sans que leur destination ou leur sort ne soit connu. En tout cas, les responsables du comité de gestion de ces sites réfutent tout détournement de ration alimentaire en indiquant que très souvent ils sont amenés à faire des réserves pour qu’il n’y ait pas de rupture.

Pour autant, cette situation oblige des PDI à sortir des sites pour chercher des travaux journaliers afin de survivre parfois au péril de leur vie. A ce sujet, certaines pratiques ont particulièrement retenu notre attention. Le premier cas c’est surtout au niveau du centre Mabilé, situé au quartier Sogoniko, en commune VI du district de Bamako. Ici, tous les soirs entre 23h et 00h, l’on voit un groupe de jeunes filles sortir pour chercher du travail dans un bar proche de l’auto-gare de Sogoniko, alors que dans ce lieu, les activités qu’on trouve c’est la consommation d’alcool et les filles de joie.

Exploitation économique de mineurs 

L’autre aspect c’est que chaque matin aux environs de 8h d’autres jeunes filles sortent du site Mabilé pour faire du porte-à-porte dans les domiciles à la recherche de travail domestique. Quelques heures plus tôt soit entre 6h et 7h, ce sont surtout des enfants d’une tranche d’âge variant entre 8 et 11 ans que l’on voit sortir du site Mabilé avec un sac en plastique à la recherche de boîtes de conserve et des canettes de boisson en aluminium déjà consommées pour les vendre au marché. Et d’autres jeunes filles mineures font aussi du porte-à-porte le matin dans des domiciles pour être employées comme domestiques. Ce qui n’est pas sans risque. On se souvient du cas de la jeune fille de 13 ans, Fatoumata Temé, dont les parents ont fui leur village relevant du cercle de Koro, dans la région de Mopti pour trouver refuge à Bamako.

Au mois de juillet 2020, la jeune fille en question a été électrocutée par un fil électrique d’un poteau haute tension, alors qu’elle tentait d’en retirer son linge. Elle a eu la vie sauve même si elle a été amputée de ses quatre membres. Toujours hospitalisée au CHU Gabriel Touré, la jeune fille est en attente d’une évacuation vers l’étranger qui ne vient toujours pas. Son cas avait suscité un grand élan de solidarité même au plus haut niveau de l’Etat dont l’ancien Président IBK avait promis de prendre en charge ses soins d’hospitalisation. L’euphorie passée, les grandes annonces et promesses faites sur son cas ne se sont pas concrétisées et aujourd’hui Fatoumata Temé est encore au CHU Gabriel Touré.

Fatoumata Temé, fillette de déplacés amputée de ses membres après avoir été électrocutée par une ligne à haute tension

Des autorités admettent l’existence d’une mafia  

Rencontré par nos soins, M. Togora, coordinateur des sites de personnes déplacées internes, admet quelques failles dans le système. Selon lui, l’Etat fournit de gros efforts malgré ses moyens limités, mais certaines ONG ne jouent pas franc jeu. Il reconnaît aussi que les chiffres ont quelquefois été gonflés par celles-ci. D’où les incompréhensions qui surviennent entre les ONG et le gouvernement. M. Togora a cité le cas du site des déplacés situé à Faladié, un quartier de la Commune VI de Bamako où seulement 10% des occupants sont de vrais déplacés internes alors que les autres sont surtout des marchands de bétail qui se sont installés dans la capitale malienne depuis plusieurs années. Sans recensement et des fichiers biométriques fiables, il a indiqué qu’il sera difficile de connaître le chiffre réel des déplacés

Lui aussi, a reconnu l’existence de fausses alertes à l’intérieur du pays visant à détourner des fonds et des vivres. Il va même jusqu’à parler d’une « véritable mafia autour de l’aide humanitaire ». Toutefois, il espère que la Transition pourra faire adopter une loi visant la protection des personnes déplacées internes. En 2018, le Niger voisin s’est conformé à la Convention de Kampala (Ouganda) de 2009 en adoptant une loi nationale sur la protection et l’assistance des personnes déplacées internes. Ce texte vise à promouvoir et renforcer les mesures régionales et nationales visant à prévenir, atténuer et éliminer les conditions pouvant entraîner un déplacement interne.

Existence de nombreux besoins non couverts par les ONG 

Par ailleurs, il faut reconnaître aussi un autre aspect qui ajoute davantage de suspicion sur l’affaire des déplacés internes : l’existence de nombreux besoins non couverts par les ONG. Ces dernières préfèrent très généralement concentrer leurs efforts sur des outils comme le cash transfert ou encore la distribution non alimentaire. Des méthodes à travers lesquelles l’argent coule à flots. Peu d’entre elles s’intéressent aux autres besoins des PDI tels que l’éducation, la santé pour leur redonner confiance et le goût à la vie, les violences basées sur le genre, l’accès aux documents d’état civil, etc.

Toujours, selon les données de la DNDS pour le mois de juillet, au niveau de 33% des lieux de déplacement évalués au cours du mois de juin 2021, la majorité des personnes déplacées ne disposent pas de documents d’identification. Le manque de connaissance sur l’importance liée à la documentation et les bureaux d’émission de ces documents ont été les principales raisons évoquées par les déplacés.

Pour ce qui est de l’éducation c’est encore pire dans la mesure où les mêmes données ont montré que sur les 105 lieux de déplacement évalués en juillet 2021, près de la moitié des sites de déplacement évalués (48%), aucun des enfants PDI ne fréquentait l’école au moment de l’évaluation. Les principaux problèmes d’accès à l’éducation aux enfants PDI cités ont été entre autres liés à la distance entre le lieu de déplacement et l’école la plus proche, l’absence d’école dans le site de déplacement, ainsi que le manque de moyens financiers.

Des enfants jouant dans un centre de déplacés à Bamako

Même pour la santé c’est un véritable parcours de combattant dans la mesure où au niveau de 24 sites de PDI enregistrés, il n’y avait aucun service médical fonctionnel disponible. Aussi, dans 94 autres sites de PDI, il a été constaté que les services médicaux de santé se situaient en dehors du lieu de déplacement. Dans le même cadre, il faut préciser qu’au niveau de 15 sites de déplacement, la majorité des enfants déplacés ne sont pas couverts dans les différentes campagnes ou autres programmes de vaccination. Les principales raisons évoquées ont été entre autres : l’inaccessibilité du service (10%) et le manque d’informations (8%).

Au niveau de 41 sites de PDI évalués, la majorité des femmes déplacées dans ces sites n’accouchent pas au niveau des services de santé. Le manque de moyens financiers (30%), l’absence d’informations (16%) et l’inaccessibilité du service (14%) ont été les principales raisons évoquées. Ainsi, parmi les maladies les plus répandues dans les sites PDI évalués, le paludisme a été mentionné dans la totalité des sites évalués. Un peu plus de la moitié des sites évalués (51%) ont également mentionné la malnutrition comme maladie répandue dans leurs lieux de déplacement, contre 46 pour cent qui ont aussi indiqué la diarrhée.

Des PDI dans une grande insécurité   

Concernant les abris décents pour les PDI c’est encore beaucoup plus problématique en ce sens que selon les données de la DNDS pour le mois de juillet dernier, sur les 105 sites de déplacement évalués en juin 2021, plus d’un quart des ménages déplacés (37%) vivaient dans des abris en paille ou en tôle. Une autre partie vivait pendant l’évaluation des abris en bâche (20%) et seulement 21% dans les abris en dur.

Cette situation pose même le problème de sécurité pour les occupants des différents sites notamment les femmes et les enfants très souvent exposés à des risques tels que les violences physiques, violences sexuelles y compris mutilations génitales féminines, la détresse psychosociale ou émotionnelle, l’exploitation économique et même parfois des cas d’enlèvements ou de disparitions non élucidés. Selon Mariam Sidibé en charge des PDI au conseil de cercle de Mopti, des cas de viol sur des mineures ont même été recensés dans certains sites de la ville.

Un autre aspect aussi qui intéresse moins les ONG puisqu’elles n’y trouvent pas leur compte c’est le fait de faire des PDI des personnes économiquement rentables par la valorisation de leurs compétences. Ce qui pourrait favoriser leur insertion dans le tissu économique. A ce sujet, il convient de relever que l’analyse des données démographiques a montré que 34% des personnes déplacées internes et 51% des rapatriés représentent la population active. Ce sont majoritairement des jeunes en âge d’activité et ou en quête d’emploi. Faute de débouchés professionnels, il sera difficile de résister à certaines tentations à travers lesquelles l’argent est gagné plus facilement.

Pour mettre fin à ce désordre qui entoure le dossier des PDI, il est plus que jamais nécessaire que l’Etat s’assume de plus en plus et s’implique activement dans les actions menées par les ONG plutôt que de leur laisser le champ libre. Récemment, le cas a été vu au Burkina Faso où l’Etat a suspendu sur son territoire les activités de l’ONG, Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC).

Avant la crise de 2012 au Nord du Mali, beaucoup d’ONG évoluaient surtout dans des projets de développement avec comme priorité la création d’activités génératrices de revenus. Aujourd’hui, ce temps semble révolu puisqu’on est constamment dans les urgences avec la dégradation de la situation sécuritaire que le Mali connaît.

Massiré DIOP