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Témoignages : le travail forcé, l’autre facette de l’enfer que vivent les migrants détenus en Libye

Par kibaru
Image d'archives de migrants enfermés dans un centre de détention à Tripoli, en juin 2017. Crédit : Getty Images

Agriculture, travaux ménagers, construction de bâtiments… En Libye, les migrants enfermés dans les centres de rétention officiels sont forcés de travailler pour des employeurs libyens, sans rémunération et avec la complicité des autorités.

"Régulièrement, des Libyens viennent nous chercher en prison et nous forcent à travailler pour eux", affirme à InfoMigrants John*, un migrant érythréen enfermé dans le centre de détention officiel de Zintan, au sud de Tripoli.

"Lorsque j’étais au centre de Tarek-el-Matar [à Tripoli, ndlr], des hommes en armes choisissaient parmi nous des personnes pour les forcer à travailler", explique à son tour Landry, un migrant camerounais qui vit aujourd’hui en Tunisie, joint par InfoMigrants.

"On travaille de 8h du matin à la tombée de la nuit"

La rédaction d’InfoMigrants a récolté nombre de témoignages qui racontent la même histoire : des employeurs libyens qui entrent dans les centres officiels, avec la complicité des gardes, pour choisir plusieurs migrants et les obliger à travailler toute la journée. Le soir, ils sont re-déposés au centre, sans avoir perçu la moindre rémunération.

Il existe en Libye 16 centres de détention officiels où s’entassent environ 6 000 migrants, selon les estimations d’Amnesty International données fin 2018. C’est là que les migrants interceptés en mer par les garde-côtes libyens sont envoyés. "On travaille de 8h du matin à la tombée de la nuit. Si la tâche donnée n’est pas terminée, ils peuvent nous forcer à travailler toute la nuit", précise encore Landry.

Cette main-d'oeuvre gratuite est ainsi réquisitionnée pour travailler dans la construction de bâtiments, dans les champs d’oliviers ou la récolte de tomates, dans l’agriculture mais aussi effectuer des travaux ménagers. Les femmes, sont, elles, forcées de se prostituer ou d’effectuer des tâches domestiques chez des particuliers.

"Nous en avons entendu parler sur les réseaux sociaux mais nous n’avons pas la confirmation que cela existe", déclare à InfoMigrants Safa Msehli de l’Organisation internationale des migrations (OIM) en Libye.

Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau. Il est documenté depuis plus de deux ans. Un rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) et de la mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) publié fin 2016 faisait déjà état de travaux forcés dans les centres de détention gérés par les autorités libyennes.

"Si on refuse de les suivre, ils nous torturent et nous tuent"

Des migrants "ont été forcés de travailler afin d’économiser suffisamment de fonds pour pouvoir sortir de détention. Après avoir travaillé toute la journée, certains sont ramenés dans les centres de détention le soir. D’autres sont détenus sur le lieu de travail pendant des semaines ou des mois", écrivent les auteurs du rapport.

En décembre 2018, un rapport produit par les mêmes institutions réitère les observations de 2016. "Les hommes migrants et réfugiés sont régulièrement retirés de leur captivité pour effectuer des travaux manuels forcés […]", peut-on lire dans le document.

Ces travaux forcés se font, par définition, sous la menace. "Si on refuse de les suivre, ils nous torturent, parfois nous tuent", signale Moussa, un Camerounais qui est passé par le centre de détention de Zouara, à l’ouest de Tripoli.

"Lorsque je travaillais dans les champs, des hommes en armes contrôlaient ce que nous faisions. Si ça ne leur convenait pas ou si on s’arrêtaient quelques minutes, ils nous frappaient", assure de son côté Landry.

Tous racontent aussi les privations de nourriture lors de leur journée de travail, sous le soleil brûlant de Libye. "Ils nous donnent seulement un morceau de pain et de l’eau", déplore John, toujours enfermé au centre de Zintan. "Le travail est très éprouvant, certains s’évanouissent".

"Les autorités légitiment cette pratique"

Comment les migrants sont-ils choisis par les exploitants ? Souvent, ce sont les personnes les plus fortes physiquement qui sont désignées. "Si tu es costaud en Libye, tu es mort. Tu es réquisitionné pour toutes les tâches", se souvient Moussa.

Le Camerounais explique aussi que les "anciens" ont plus de risques d’être exploités. "Les gardes ont espoir que les nouveaux arrivants puissent récupérer de l’argent de leur famille pour payer leur libération. Alors ils préfèrent envoyer les plus anciens pour les travaux forcés car ils savent qu’ils n’ont plus aucune chance de se faire de l’argent avec eux". En d’autres mots, les plus anciens ne représentent plus aucun intérêt financier pour les gérants des centres de détention et sont donc à la merci des trafiquants.

"Les autorités légitiment cette pratique", estime Hassiba Hadj-Sahraoui, conseillère aux affaires humanitaires de Médecins sans frontières (MSF), contactée par InfoMigrants. "Les employeurs passent des arrangements avec les gardes des centres de détention. Souvent, ils reçoivent de l’argent des trafiquants en échange de main d’œuvre gratuite".

Selon elle, les centres de détention sont une source de revenus pour de nombreux Libyens. "Tout le monde se fait de l’argent sur le dos des migrants, à tous les niveaux. Cela explique en partie que ces centres existent encore".

"Le système de détention libyen est en fait un système d’exploitation"

Les travaux forcés ne se limitent pas à l’extérieur des prisons. Au sein même des centres de détention, certains migrants sont exploités par le personnel.

"J’ai dû déboucher des toilettes du centre à mains nues, mais j’ai aussi été forcé de décharger des armes dans un entrepôt situé à quelques mètres de la prison", glisse Landry.

Une pratique confirmée dans le rapport de 2018 du HCDC et de la Manul. Selon les auteurs, les migrants sont forcés de travailler "à l’intérieur des installations, notamment le nettoyage, la cuisine, le déchargement d’objets lourds et le lavage des véhicules des fonctionnaires de la DCIM [le département de lutte contre la migration illégale, chargé des centres de détention, ndlr]".

"Le système de détention libyen est en fait un système d’exploitation", déplore Hassiba Hadj-Sahraoui.

Depuis 2016, l’Union européenne (UE) a signé un accord avec la Libye, permettant de fournir un appui logistique et matériel aux garde-côtes libyens. Pour les ONG, cet accord rend les États européens complices des exactions commises sur les migrants en Libye. En début de semaine, un collectif d’avocats a déposé plainte à la Cour pénale internationale (CPI) contre l’Union européenne pour "crimes contre l’humanité".

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