Lors du 30e sommet de l'Union africaine qui s'est achevé lundi à Addis-Abeba, les Etats membres ont définitivement entériné la libéralisation du trafic aérien et la création d'une zone de libre-échange commerciale. Une première depuis les indépendances.
Sur le parvis du siège de l’Union africaine, quelques stands ont été dressés comme dans une vulgaire foire d’exposition. Des hommes en costume-cravate se serrent en rangs d’oignon posant devant des maquettes d’avions face aux photographes qui les mitraillent. «C’est un jour historique pour l’Afrique, le ciel vient de s’ouvrir», résume un consultant en aéronautique.
Ce lundi à l’intérieur de cet immense bâtiment, étrange Tour de Babel au futurisme déjà usé, les couloirs bruissaient parfois de rumeurs inquiétantes : sur la dérive irrémédiable d’un pays du Sahel, sur les jeux de pouvoir qui empêcheraient une nation déchirée d’Afrique centrale de revenir un jour à la paix.
Mais à l’extérieur, sous le soleil d’Addis-Abeba, l’une des capitales les plus hautes du monde (à 2 300 mètres), l’horizon semblait soudain s’élargir avec le lancement du Mutaa, le Marché unique du transport aérien en Afrique. Voilà plus de trente ans que l’idée en est envisagée, il fallut attendre 2018 et ce 30e sommet de l’Union africaine pour qu’elle se concrétise enfin : désormais, n’importe quelle compagnie aérienne africaine pourra ouvrir une liaison dans l’un des 55 Etats membres. Adieu les monopoles des compagnies nationales qui ne représentent de toute façon que 20% du trafic aérien sur leur propre continent. «Des monopoles qui imposent parfois de traverser tout le continent pour attraper une correspondance qui vous ramènera dans le pays voisin», rappelle devant quelques journalistes le président nigérien, Mahamadou Issoufou.
Souffle pan-africaniste des indépendances
Lors de cette session annuelle de l’Union africaine, c’est lui qui fut le rapporteur, «le champion», selon le terme consacré au sein de l’UA, du second projet qui semble renouer avec le souffle pan-africaniste des indépendances : la Zlec qui sera officiellement lancée le 21 mars à Kigali au Rwanda. Derrière cet acronyme peu stimulant, on trouve la Zone de libre-échange continentale qui, finalement, complète la libéralisation du ciel par celle des biens terrestres.
Peu à peu, ces prochaines années, les pays africains sont appelés à supprimer les barrières douanières qu’ils s’imposent les uns aux autres pour créer «un vaste marché qui nous permettra de négocier avec plus de force face aux partenaires étrangers et notamment l’Organisation mondiale du commerce (OMC)», plaide Issoufou, qui espère voir un jour s’imposer également un passeport unique pan-africain. Sans redouter visiblement l’augmentation d’infiltrations terroristes dans une Afrique qui deviendrait sans frontières, lui qui prendra le 6 février la tête du G5 Sahel : «Nous avons besoin de davantage d’intégration. Le développement est aussi une réponse aux questions sécuritaires», affirme-t-il encore, avant de révéler la tenue d’une réunion à Abuja, capitale du Nigeria, le 28 février, pour ressusciter un vieux projet : le transfert des eaux de l’Oubangui-Chari en Afrique centrale vers le lac Tchad, «qui a déjà perdu 90% de sa superficie suite au réchauffement climatique», rappelle-t-il. Un projet plus ambitieux encore que le passeport unique !
«La libre-circulation des Africains ? Pourquoi pas. De toute façon, aujourd’hui encore, 60% d’entre eux n’ont ni pièce d’identité ni acte de naissance», balaye Carlos Lopes. Ce brillant économiste de 57 ans, originaire de Guinée-Bissau, a effectué une longue carrière à l’ONU puis à la tête de la Commission économique de l’Union africaine. Il y a un an, il a intégré le think thank qui, autour du président rwandais, Paul Kagame, a planché sur les réformes de l’Union africaine dont la mise en œuvre était également au programme de ce sommet.
«Les performances de nombreux pays africains, déjà prometteuses, sont meilleures qu’on ne le croit parfois. Parce que, dans la majorité des pays, les retards statistiques conduisent en réalité à sous-estimer le ratio du PIB», renchérit Lopes, plutôt confiant dans l’impact des politiques d’intégrations en cours : «Avec la Zlec, non seulement les Africains seront plus forts pour négocier, mais ils vont en réalité créer un marché très attractif de 1,3 milliard de personnes, qui pèsera 1,4 milliard de dollars», explique-t-il.
«Paiement bancaire par mobile»
Mais l’intégration pan-africaine ne restera-t-elle pas un rêve, tant qu'«il coûtera plus cher d’envoyer un conteneur de Kigali jusqu’à Mombasa, que de ce port vers la Chine», comme le rappelle Lopes lui-même ? «C’est difficile aujourd’hui pour les pays africains de rattraper leur retard industriel», concède-t-il. «A moins de sauter les étapes : puisque le pétrole coûte désormais aussi cher que les énergies vertes, autant passer à cette étape directement. Ce n’est pas un rêve ! Aujourd’hui, 60% de l’énergie consommée au Kenya vient du géothermique. De la même façon, l’Afrique va sauter les étapes technologiques : ce continent est déjà leader en matière de paiement bancaire par mobile avec 50% des transactions mondiales. Et le pays au monde où la distribution de biens ou de médicaments par drones est la plus avancée, c’est la Tanzanie, alors que le Rwanda est le premier pays au monde à avoir ouvert un aérodrome», énumère encore Carlos Lopes, qui rappelle qu'«en 2050, 50% des moins de 25 ans seront des Africains». C’est déjà demain.