Comment les journalistes de l’AFP produisent des vidéos avec leurs smartphones

Par kibaru

Lors d’une intervention aux Rencontres francophones de la vidéo mobile, organisées par Samsa, Juliette Hollier-Larousse, directrice de la vidéo de l’Agence France Presse, explique comment les journalistes de l’AFP se sont mis à produire de la vidéo avec leurs smartphones.

L’arrivée du smartphone, un changement de technologie qui a permis de nouveaux usages

L’AFP a, depuis quelques années, réussi à tirer profit de son réseau international pour récolter des captures vidéo. Avec plus de 1600 journalistes dans 151 pays, l’agence dispose de possibilités incroyables de couverture. Juliette Hollier-Larousse explique que ce processus est né d’une réflexion menée il y a déjà une dizaine d’années. À l’époque, pas encore de smartphones mais des appareils photos avec lesquels les journalistes « photo » commençaient à prendre des vidéos. Pour les journalistes « texte », le seul moyen technique de prendre de la vidéo était de le faire via un appareil compact, avec un exemplaire seulement pour chaque bureau ainsi qu’un processus compliqué de conversion et de montage. Selon elle, « l’arrivée du smartphone a changé la donne car tous les journalistes en ont un, nous pouvons désormais compter sur eux pour envoyer des photos et des vidéos ». L’intervenante liste ensuite certaines priorités de l’AFP :

  • Une culture multimedia
  • Des équipes intégrées (pas de travail en silo)
  • Un journalisme visuel
  • L’importance du terrain
  • L’exigence de qualité

L’agence demande ainsi aux journalistes – s’ils sont seuls sur un événement imprévu, une « breaking news » ou quand ils sont dans une position privilégiée – d’envoyer des premières images (photos et vidéos). Parfois, tout un bureau se mobilise sur un événement (tremblement de terre à Mexico en 2017, typhon Mangkut à Hong Kong en 2018…). En plus de la sécurité et des questions logistiques, l’antenne du bureau local prévoit un plan d’action pour envoyer des nouvelles rapidement.

Autre cas de figure où l’usage du smartphone change la donne, quand un journaliste « texte » se trouve seul sur une histoire. L’intervenante prend ainsi l’exemple des lycéens mis à genoux par les forces de l’ordre à Mantes la Jolie, où un journaliste texte local avait filmé toute la scène de loin, et avait pu envoyer ses images à l’équipe « fact check » qui de son côté a ainsi pu vérifier que les faits se sont bien passés. Même chose à Nantes, avec le cas d’une journaliste qui est intervenue auprès de Gilets Jaunes. Elle avait suivi une formation pour pouvoir filmer et effectuer des prises sonores et avait fourni des contenus exploitables de bonne qualité, pris juste avec un smartphone et sans micro.

Après sa conférence, Juliette Hollier-Larousse nous a donné plus de détails sur la place de la vidéo mobile au sein de l’AFP, en répondant à quelques questions.

Qu’en est-il de ce programme de formation des journalistes dispensé par l’AFP, avez-vous pu constater des améliorations depuis sa mise en place ?

Il est important que les gens sachent quoi faire en cas de breaking news. Tous les journalistes de l’AFP suivent 2 jours de formation pendant lesquels ils apprennent les différents types de plans à maîtriser, bénéficient de conseils techniques, notamment sur la nécessité de filmer à l’horizontal, ne pas faire de mouvements brusques, bien gérer les contrastes de couleur pour avoir une bonne mise au point, avoir une approche plus visuelle… Vient ensuite une journée de tests où ils expérimentent. Sans cette journée de formation, des personnes qui n’avaient pas l’habitude de prendre des vidéos nous envoyaient plusieurs plans séparés via WhatsApp, en plusieurs messages. Notre centre d’édition vidéo n’a pas une capacité immense, et cette formation permet aussi d’avoir des images qui sont plus facilement exploitables par nos éditeurs.

D’après vous, quels sont les avantages et les inconvénients de la vidéo mobile ?

Un des plus gros inconvénients est la batterie. Le son peut l’être aussi si on ne dispose pas d’un kit son. Autrement, tout ce qui pourrait parasiter la vidéo, la stabilité si on ne dispose pas de stabilisateur ou de trépied, ou les conditions, notamment le soir lorsqu’il n’y a pas beaucoup de lumière.

Au niveau des avantages de la mobilité, lorsqu’il s’agit de se déplacer ou même de courir, c’est tout de même plus simple avec un smartphone qu’une grosse caméra. Idem pour la sécurité, lorsque l’on veut se placer au plus près on est quand même moins repéré avec un smartphone. Tourner au smartphone permet aussi d’être à égalité avec la personne filmée, sans ce côté impressionnant de la caméra. Enfin, on peut relever l’instantanéité, le fait de pouvoir se mettre à filmer rapidement et surtout d’envoyer les images dans un laps de temps très court. Avec sa caméra lorsque l’on n’est pas en live, il faut ensuite exporter la vidéo sur son laptop, faire son montage, envoyer… Le processus est long.  Sur smartphone on dispose d’une application de montage, on peut également utiliser le « speech-to-text » pour décrire les plans. Souvent, les journalistes font les premières images au smartphone, nous les envoient et après sortent la caméra.

Quelle est la part de la vidéo dans les reportages effectués par les journalistes de l’AFP ?

La vidéo représente assez peu, on parle de quelques vidéos par jour. En revanche c’est très précieux, nécessaire et spécifique. Nous ne voulons pas non plus recevoir des dizaines de vidéos, elles doivent nous arriver sur des besoins ponctuels lors de breaking news ou de positions privilégiées.

Comment s’effectue le tri des images à montrer, y a-t-il parfois une forme d’autocensure de la part des journalistes eux-mêmes ou est-ce qu’au contraire il est important de tout capter ? 

D’une part, on envoie des images à nos clients qui sont des médias. Dès qu’il y a des images de personnes décédées ou blessées, on va mettre un « warning ». Si vraiment c’est trop difficile à regarder nous ne les donnons pas. Nous envoyons nos vidéos à des professionnels mais il faut aussi prendre en compte leur capacité à intégrer ou non les images. Ensuite, nous allons éviter les images qui ne respectent pas certains critères par exemple les propos vraiment injurieux etc. Ce que nous essayons surtout c’est de sélectionner les images les plus pertinentes et les plus importantes, pour exercer nous-mêmes l’action de tri pour les rédactions clientes, qui n’ont pas envie de passer beaucoup de temps sur ces sujets.

On parle beaucoup du live en ce moment, suivez-vous cette tendance ?

Nous diffusons effectivement de plus en plus de vidéos en direct. Le service a été lancé il y a 3 ans et génère environ 15 à 16 heures de live par jour. Nous avons une plateforme avec 4 canaux, qui permet d’assister à 4 vidéos en live en simultané. Beaucoup de choses fonctionnent bien dans le service vidéo, comme les séries de portraits. Nous avons fait des séries sur des thématiques comme la journée de la femme, avec des portraits de femmes avec des métiers d’hommes que nous avons fait tout autour de la planète. Nous avons effectué la même chose sur le smartphone, en traitant les différents types de relations qu’ont les utilisateurs avec leur smartphone selon les cultures. La finalité de ce type de reportages étant de mettre en valeur notre réseau, qui est notre force.

Quels sont les critères à respecter pour effectuer un reportage vidéo de qualité sur smartphone ?

Cela dépend si on est ser de l’actualité très chaude ou un sujet très froid. Sur l’actualité très chaude, plus on voit ce qu’il se passe mieux c’est. Après il faut que l’image soit de bonne qualité, que le son soit de bonne qualité, qu’on puisse savoir où on est, de documenter. Par exemple si on fait une interview d’une personne il faut que l’on puisse avoir son nom, son prénom, son âge… Sur des sujets plus froids on apporte quand même pas mal d’importance à la qualité. Il est important d’entendre les gens parler mais aussi qu’on les voit vivre. Si on fait l’interview d’un boulanger par exemple, il faut aller le voir sur son lieu de travail et le filmer à la tâche. Il faut être en mesure de donner toute cette matière première qui permet d’incarner le sujet, le personnage et d’avoir une vision en profondeur de ce qui se passe.

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