Le bureau du procureur général de la CPI étudie onze enquêtes préliminaires et 27 affaires au monde. C’est que nous a déclaré le porte-parole de la CPI, Fadi El-Abdallah, ajoutant que les mandats d'arrêt à l'encontre de plusieurs personnes ne sont rendus publics que lorsqu'il y a un moyen de les exécuter. Nous l’avons rencontré récemment à Bamako en marge d’un atelier que sa délégation organisait en faveur des journalistes maliens. Il a accepté de se prêter aux questions du rédacteur en chef du site www.kibaru.ml, relatives notamment aux cas de Ahmad al-Faqi al-Mahdi et Al Hassan Ag Abdoul Aziz, actuellement à la Hayes.
www.kibaru.ml: Pourquoi cette mission à ce moment précis au Mali?
Fadi El-Abdallah: Nous sommes au Mali en tant que membres d'une délégation de la Cour pénale internationale, dont le but est de sensibiliser la population aux activités de la Cour et informer l’opinion de l’évolution des dossiers dont les réparations dans l'affaire de Ahmad al-Faqi al-Mahdi. Parmi les activités que nous organisons figurent des entretiens avec des médias locaux pour communiquer des informations sur ces questions et leur évolution au peuple malien en général ainsi qu’aux groupes susceptibles d'avoir été affectés par les crimes incriminés. Nous prévoyons donc plusieurs autres activités avec des acteurs de la société civile au Mali, qu'elles soient des ONG, des avocats, etc.
Vous conviendrez avec moi qu’une sensibilisation est nécessaire lorsque la victime est en mesure d'exercer ses droits en participant à une demande de réparation devant la Cour. Nous tenons aussi à informer l'opinion publique du travail de la Cour afin qu’elle continue à la soutenir au sujet du Mali et dans les enquêtes en cours.
www.kibaru.ml: Aujourd'hui, des proches de Hassan Ag Abdoul Aziz et Ahmad al-Faqi al-Mahdi se demandent où en est ce dossier et quand est-ce que leur emprisonnement prendra fin ?
Fadi El Abdallah (NDRL : Il s’exprime en Arabe): Tout d’abord, sur la question de M. El-Faqi Mahdi, une peine de neuf ans d’emprisonnement a été prononcée à son encontre. Laquelle débute à compter du jour où il a été transféré à la Cour pénale internationale. Il est actuellement en train de purger cette peine. De même qu’il peut aussi arriver que le détenu puisse être libéré avant terme s’il affiche un bon comportement durant sa détention. Par conséquent, il est difficile pour nous de déterminer quand est-ce que cette peine prendra fin. Mais les neuf ans d’emprisonnement débute à partir du moment de son transfèrement à la CPI.
En ce qui concerne M. Hassan, nous en sommes au stade de la confirmation des charges, c’est-à-dire l’identification des accusations à son encontre pouvant le conduire à un procès. Il est également possible que la défense demande l’autorisation de faire appel de cette décision, de modifier ou de réduire le nombre d’accusations. Nous devons donc attendre un petit moment pour savoir s’il y aura un appel ou non de cette décision. Ce n’est qu’après confirmation de toutes les charges que le procès pourra commencer et prendra le temps nécessaire.
Dans certains cas, le tribunal fera vite comme pour le cas de M. Mahdi, qui a plaidé coupable et s’est excusé rapidement. Dans d'autres affaires, le procès peut être plus long en fonction du Procureur et de la défense ainsi que des éléments de preuve et des témoins.
www.kibaru.ml: Y a-t-il un équilibre entre le comité de la défense et le procureur?
Fadi El-Abdallah : Oui. Selon le système judiciaire, il y a un équilibre entre le Comité de la défense et le procureur travaillant sur cette affaire particulière.
Comme vous le savez, le Bureau du Procureur travaille sur onze enquêtes préliminaires et vingt-sept affaires, Une équipe ne travaille que sur cette affaire. Il existe donc un équilibre entre le groupe de travail sur cette affaire et l'équipe de la défense.
Par le biais d’un certain nombre de procédures, le Tribunal couvre les dépenses de l’équipe de la défense, ce qui inclut un effectif bien déterminé afin de veiller à l’équilibre entre les enquêtes et les preuves du Procureur et le comité de la défense.
L’équipe de la défense peut demander des ressources et des dépenses supplémentaires au tribunal ou aux juges, selon les besoins. Nous pourrons alors examiner ces demandes si cela est vraiment nécessaire, avant l'adoption de la résolution.
www.kibaru.ml: S'agissant des témoins, la Cour doit-elle les faire venir forcément à la Haye ou est-il possible de les auditionner à Tombouctou?
Fadi El-Adallah: Il y a différentes affaires qu'il s'agisse de témoins présentés par le Bureau du Procureur ou de personnes appelées à comparaître par l'équipe de la défense. De même qu’il possible de témoigner en s’adressant directement à la Cour Pénale Internationale. Les témoignages peuvent être recueillis par le biais de canaux audiovisuels tels que Skype ou d’autres plateformes permettant aux témoins d’être dans un lieu autre que le tribunal. Aussi, il existe une communication directe entre eux et les personnes présentes dans la salle d’audience, sans que leur vie ne soit exposée.
www.kibaru.ml: Lors d'une interview que nous avons eue avec Melinda Taylor, l'avocate de Hassan Ag Abdoul Aziz, deux jours avant que les charges ne soient confirmées, elle a affirmé que son client était innocent, car l'application de la charia ne pouvant être punie, puisque n’étant pas considérée comme un crime contre l'humanité ni un crime de guerre. Qu’avez-vous à répondre à cette affirmation ?
Fadi El-Abdallah: Tout d'abord, M. Hassan est innocent jusqu'à preuve du contraire. S'il est prouvé après le procès et au-delà de tout doute. Seule, la justice peut se prononcer sur son innocence ou pas. Personnellement, je ne peux m’exprimer sur cette affaire plus que les juges chargés de statuer là-dessus.
Bien entendu, ce que nous appelons la présomption d’innocence est pleinement respectée, c’est-à-dire que la personne poursuivie devant un tribunal soit réputée innocente jusqu’à preuve du contraire après le procès au niveau du principe juridique. D’autre part, le Statut de Rome n’est pas contradictoire avec le droit islamique. Lorsque nous nous référons aux principes du droit pénal, un grand nombre d'éléments provient du droit islamique. Vous savez très bien que lors des batailles menées par le Prophète (P.S.L) et le règne des califes, aucun prisonnier n'est tué et personne n'est torturée. De même qu’aucune femme, aucun enfant, aucun homme âgé encore moins une personne ne détenant pas une arme ne peut être dépossédé ou privé de liberté.
La charia stipule aussi que le combattant ne doit pas empoisonner un puits ni abattre un arbre. Ainsi, la loi islamique garantit qu'aucun crime n'est commis. Le Statut de Rome contient de nombreuses dispositions conformes à la charia. La prostitution forcée, l'assassinat de personnes innocentes ou d'autres attaques contre des civils sont tous condamnés et criminalisés par la loi islamique comme c’est le cas avec le Statut de Rome.
La question n'est pas de savoir si la loi islamique est contraire au statut de Rome. Et si certaines des actions imputables à M. Hassan, notamment l'agression d'innocents, le meurtre, l'agression sexuelle, etc., peuvent être considérées comme une application de la loi islamique et peut-on prouver qu'il en est responsable devant la Cour Pénale Internationale.
En vertu du Statut de Rome, de tels actes sont des crimes et, autant que je sache, ils sont condamnés en vertu du droit islamique. Qu’il ait commis ou non ces actes, cela devrait être prouvé devant les juges.
www.kibaru.ml: Certains observateurs se demandent pourquoi al-Hassan a est transféré à la Haye pour des crimes de guerre ou l'application de la charia à Tombouctou, alors que ceux qui lui donnaient des ordres et certains exécutant sont en liberté totale?
Fadi El-Abdallah: Pour nous, à la CPI, nous évoluons en fonction des preuves dont dispose le Bureau du Procureur général. Au tribunal, vous ne pouvez pas juger sur la base des positions occupées par une certaine personne au cours d'une période ou d'une organisation donnée. C’est seulement sur la base des éléments de preuve le liant aux crimes commis pour savoir si elle en est responsable ou pas.
La responsabilité devrait être démontrée par des preuves, pas seulement au nom du poste occupé par l'une ou l'autre personne.
www.kibaru.ml: Venons en à la question de la transparence et à l’indépendance de la CPI. Au nord du Mali, d’aucuns estiment que Hassan et Mahdi sont jugés pour des crimes considérés comme mineurs tels que la destruction de mausolées. Alors qu’il existe d’autres dossiers plus importants impliquant d’anciens dignitaires tels que le Général Sanogo soupçonné d’avoir commis des crimes bien plus graves tels que le massacre de plusieurs bérets rouges lors du putsch de 2012 qui a conduit à la chute de l’ancien président ATT. Ne pensez-vous pas que les poursuites engagées par la cour ont visé une société en particulier?
Fadi El-Abdallah : La cour travaille en toute transparence et ne cible pas un groupe particulier, mais des actes pouvant être qualifiés de criminels.
Par exemple, dans le cas de M. Mahdi, la cour pénale a estimé que le crime de destruction des mausolées était un crime grave, car ceux-ci appartenaient principalement à l’identité de la communauté de Tombouctou et donnaient aux personnes leur identité parce qu’elles estimaient appartenir au même groupe. Le crime est particulièrement grave compte tenu de sa nature religieuse, culturelle et identitaire.
Quant à la question de M. Hassan avec les crimes qui lui sont imputés, comme je l’ai jusqu’à présent dit, il bénéficie encore de la présomption d’innocence. Mais les crimes qui lui sont imputés sont de plus en plus variés comparativement à M. Mahdi. Hassan est soupçonné d’avoir commis des attaques contre des édifices religieux ainsi que des agressions sexuelles et des persécutions, des mariages forcés et d’autres actes forcés. Des actes qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Mais, il appartient aux juges de la CPI de décider de la responsabilité de M. Hassan.
En ce qui concerne les autres crimes que vous avez mentionnés, je voudrais souligner deux éléments fondamentaux: premièrement, la CPI travaille en complémentarité avec la justice nationale malienne. Sur ce point, si celle-ci mène des poursuites pour certains crimes, la CPI ne peut pas engager de poursuites dans ces mêmes affaires. Elle laisse la priorité à la justice nationale. C’est la raison pour laquelle le tribunal ne travaille pas sur tous les crimes qui se sont produits au Mali, mais seulement sur une partie d'entre eux.
Deuxièmement, les enquêtes ouvertes au niveau de la CPI poursuivent leur cours. Nous n'avons pas fermé d'enquêtes sur le Mali, il y a des enquêtes en cours. Actuellement, nous sommes au stade de collecte de preuves et il peut y avoir d'autres suspects à Tombouctou ou ailleurs au Mali.
Les enquêtes de la Cour ne doivent pas être considérées comme visant une catégorie spécifique. Il s’agit d’un processus en cours qui peut initialement s’intéresser, par exemple, à Tombouctou dans le premier nombre d’affaires, puis utiliser les ressources ailleurs pour s’intéresser à d’autres affaires.
Nous suivons le processus de preuve dont dispose le Bureau du Procureur et, dans certains cas, les mandats d'arrêt ne sont rendus publics que lorsqu'il existe un moyen de les exécuter, comme dans le cas de M. Mahdi ou de M. Hassan. Nous n'avons pas annoncé ces ordres avant leur arrestation et leur transfert à la Haye. Pour certains, cela peut être considéré comme étant plus efficace dans l’application de ces ordonnances. Par exemple, si nous annonçons l’affaire dirigée contre un accusé, cela peut l’encourager à fuir davantage. Nous préférons parfois certaines décisions confidentielles soit pour renforcer la possibilité de leur exécution, soit pour protéger des témoins qui pourraient être en danger si nous dévoilons leurs identités.