Huit ans après la sortie de son dernier album « Seya », la chanteuse malienne débute la promotion de « Mogoya », dont la sortie est prévue pour le 19 mai.
Lumières tamisées pour une ambiance feutrée, une cinquantaine d’invités sont assis sur le parquet fraîchement lustré d’un vaste appartement privé, situé dans le 10e arrondissement de Paris, et attendent leur « diva ». Oumou Sangaré est de passage à Paris pour la promotion de son nouvel album, Mogoya, dont la sortie est prévue le 19 mai. Elle sera de retour en France le 31 mars pour un concert à la Villette dans le cadre du Festival 100 % Afriques. Accompagnée de deux musiciens et d’une danseuse, la chanteuse malienne interprète en acoustique cinq de ses nouveaux titres. Avant la performance, Le Monde Afrique a pu l’interviewer.
Vous revenez huit ans après votre dernier album, « Seya ». Pourquoi une si longue pause ?
Oumou Sangaré Est-ce que c’est une pause ? Oumou Sangaré n’est jamais en pause ! (Rires.) Ça a pris huit ans, car je fais beaucoup de choses en même temps et puis je n’ai jamais arrêté de tourner. C’est juste que je ne sors pas un album tous les deux ans. J’aime me laisser du temps pour faire des recherches, car je donne une grande importance aux textes dans mes albums.
Que raconte ce nouvel opus ?
Mogoya, le nom de l’album, signifie « les relations humaines d’aujourd’hui ». Elles se dégradent malheureusement de jour en jour et les valeurs se perdent. Les gens s’entre-tuent trop facilement, ils ne respectent plus leur parole et il y a trop de trahisons. En Afrique, la parole est une valeur centrale. On dit souvent : « Je te donne ma parole d’honneur. » Mais ces paroles d’honneur n’existent presque plus. Alors je me suis dit : « Tiens Oumou, il faut parler de ce domaine pour que les gens reviennent sur terre. » Les Africains ont tendance à se diriger vers les autres cultures et à se détourner de la leur. Ils se perdent et ils ne savent plus qui ils sont, ni ce qu’ils doivent faire. Les Africains doivent être fiers de leurs valeurs s’ils veulent les sauvegarder.
« Fadjamou », une chanson de l’album, veut dire « qui es-tu ? ». Quand je vais aux Etats-Unis et que je vois un Noir devant moi, je lui dis : « Fadjamou ? » Et il me répond : « Je suis de Los Angeles. » Mais moi, je ne parle pas de ça. En Afrique, à travers ton nom de famille, on peut savoir d’où tu viens, quelle langue tu parles. Cette chanson, je l’ai écrite pour magnifier la famille et les racines.
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Dans le titre « Mali Nialé », j’incite beaucoup de Maliens à rentrer au pays, car nous sommes assis sur de l’or : « Venez creuser les richesses de l’Afrique ! » J’essaie de dissuader nos jeunes qui voient l’Occident et l’Europe comme un paradis et qui vont se jeter à l’eau au sens propre : « L’énergie que vous utilisez pour mourir dans la mer, si vous l’utilisiez au pays, vous deviendriez quelqu’un. » C’est une manière de sensibiliser notre jeunesse pour qu’elle reste au pays pour travailler.
Et musicalement, en quoi cet album diffère-t-il des précédents ?
C’est un album très moderne. Quand j’ai écouté le résultat final, je me suis d’abord dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ? ! » Puis, au fur et à mesure, j’ai beaucoup aimé. Le label No Format [avec lequel elle collabore pour la première fois] a apporté un changement positif. Il y a toujours les instruments traditionnels, mais il y a un petit plus qui va faire bouger la jeunesse africaine et la jeunesse en général d’ailleurs. Il y a beaucoup de gens dans cet album, mais je crois que le plus important reste mon frère Tony Allen, qui est un monument de la musique africaine et a beaucoup travaillé avec Fela Kuti. C’est un homme qui n’a pas d’âge quand il joue. Quand j’ai commencé cet album, je me suis dit que nous pourrions faire quelque chose. Et il a fait des miracles.
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Quels conseils donneriez-vous à la jeunesse pour justement reconstruire ces relations humaines qui, selon vous, se dégradent ?
Mon conseil va aux femmes. Dans beaucoup de sociétés africaines, tout repose sur elles. Elles doivent être fortes car elles comptent beaucoup. Trop longtemps la femme est restée dans l’ombre de l’homme. Il est temps d’en sortir pour montrer que nous pouvons faire bouger les choses. Les femmes maliennes se battent beaucoup, par exemple, contre les mariages précoces. Je ne dis pas que ça n’existe plus, mais ça a diminué. Ce n’est plus comme avant.
J’encourage la femme à se développer. Je le chante depuis des années et des années. J’ai jugé nécessaire de poser des actes concrets pour montrer l’exemple. J’ai investi dans différents secteurs pour montrer que, oui, la femme peut être dans l’hôtellerie, elle peut être concessionnaire, etc. Quand j’ai investi, des femmes rurales venaient me voir et me disaient : « Oumou, on apprécie ton courage, on veut devenir comme toi. » Mais elles ajoutaient : « Il faut quand même avoir de l’argent pour ouvrir un hôtel. » Alors j’ai dit : « D’accord. » Et j’ai investi dans des petites parcelles pour du maraîchage.
Votre liberté de ton vous a-t-elle déjà causé des ennuis ?
(Rires.) Bien sûr, ça gêne. Mais c’est normal de gêner quand on critique. On ne peut pas plaire à tout le monde, j’ai même écrit une chanson là-dessus. Dans la vie, il faut être claire et honnête avec soi-même et il ne faut pas prêter attention au reste. (Rires.)
LEMONDE