OPINION. Un journaliste professionnel peut contribuer à la résolution des conflits, explique Martin Faye, représentant de la Fondation Hirondelle au Mali. Voici comment
Le Mali est confronté depuis 2012 à une crise multiforme: implantation et développement de groupes djihadistes, attaques terroristes, difficultés à mettre fin aux conflits entre les populations nomades du nord du pays et le gouvernement de Bamako, nouvelles violences entre communautés dans le centre du pays, faiblesse des institutions, détérioration des conditions de vie de la population… Dans un tel contexte, celui d’une société profondément fragilisée, les journalistes du pays et les médias pour lesquels ils travaillent jouent un rôle crucial, souvent négligé.
Contribution à la résolution de conflits
S’ils sont mal gérés, manquent des moyens nécessaires à leur indépendance et à la formation de leur personnel, les médias peuvent favoriser les conflits en répandant des rumeurs, en renforçant les stéréotypes et la stigmatisation de certaines communautés et en polarisant toute la société. A l’inverse, des médias professionnels et indépendants, permettant à leurs journalistes d’exercer leur travail avec déontologie et rigueur, peuvent contribuer à la résolution des conflits.
En donnant accès à la population à des informations factuelles, non partisanes, vérifiées et fiables, ils contrent les rumeurs et la propagande. Ils recréent de la confiance en permettant à la population de mieux comprendre son environnement et les causes des problèmes qui l’affectent. En surmontant les représentations stigmatisantes et en soulignant les réalités, des médias inclusifs et équilibrés permettent aux groupes antagonistes de mieux se connaître, de comprendre les aspirations de l’autre. Ils deviennent ainsi des catalyseurs pour un espace public plus pacifique.
En donnant accès à la population à des informations factuelles, non partisanes, vérifiées et fiables, les médias contrent les rumeurs et la propagande
Ce rôle constructif du journalisme n’est pas seulement une conviction, mais le résultat d’une expérience. Celle que j’ai acquise depuis plus de dix ans à la Fondation Hirondelle, organisation suisse à but non lucratif, qui depuis 1995 fournit de l’information à des populations confrontées à des crises. De la RDC à la Tunisie, de la Centrafrique à la Birmanie, la Fondation Hirondelle est intervenue jusqu’ici dans 18 pays. Au Mali, depuis 2013, suite à une demande de soutien de l’URTEL, Union des radios et télévisions libres du Mali, la Fondation Hirondelle met en œuvre le programme Studio Tamani.
Un programme radiophonique quotidien qui propose chaque jour des journaux d’information en cinq langues, une émission de débat, et des magazines thématiques. Informer et faire dialoguer «Toutes les voix du Mali», pour trouver des solutions consensuelles aux conflits qui fragilisent ce pays au cœur de la crise sahélienne, c’est l’ambition de Studio Tamani. Tous les contenus sont produits par 20 journalistes maliens basés à Bamako et un réseau de 42 correspondants dans tout le pays. Le programme de Studio Tamani est diffusé en direct par 70 radios partenaires à travers le Mali.
Le Studio Tamani
Cette contribution au processus de paix et aux efforts de dialogue au sein de la société malienne, face aux violences, est désormais reconnue. Studio Tamani a été le premier média à diffuser, dès 2013, des programmes de dialogue en direct entre des représentants de la rébellion touareg, des groupes d’autodéfense et le gouvernement malien, alors qu’ils étaient encore en conflit sur le terrain.
Studio Tamani améliore le dialogue entre les communautés, y compris lors des pics de violence: en février 2017, il a réussi à établir un dialogue entre les représentants des communautés Peulh et Bambara, qui s’affrontaient dans plusieurs villages du centre du pays. Les appels au calme qui ont été diffusés en direct ont aidé à réduire la tension sur le terrain. Une étude menée en 2016 par des chercheurs de l’Institute of Applied Media Studies de l’Université de Zurich a montré que les auditeurs de Studio Tamani sont mieux informés que les autres sur la crise qui affecte le Mali et favorisent davantage le dialogue comme solution au conflit.
Ce travail d’information et de dialogue est de longue haleine. Il ne résoudra pas à lui seul les crises qui minent le Mali. Mais il est un élément crucial du retour à la paix. C’est ici peut-être, comme dans d’autres contextes de crises majeures, que l’utilité vitale du journalisme apparaît avec le plus d’évidence.