Le Sénégal accueille du 13 au 14 novembre la nouvelle édition 2017 du Forum de Dakar, devenu en quatre années d’existence un rendez-vous incontournable des experts de la sécurité africaine. Au menu cette année, une stratégie intégrale contre le terrorisme, mais aussi la réforme du secteur de la sécurité, la cybersécurité, la piraterie maritime ou encore la lutte contre le financement du terrorisme.
Ce lundi matin s’ouvre dans la capitale sénégalaise le Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique. Organisé par l’Etat sénégalais, en collaboration avec le ministère français de la Défense, cette rencontre informelle réunit depuis quatre ans des diplomates, des militaires et des civils (chercheurs, universitaires et experts), qui réfléchissent ensemble et à haute voix sur les enjeux sécuritaires africains. Impulsé par la France lors du Sommet de l’Elysée qui s’est tenu dans la foulée de l’intervention française au Mali (opération Serval), le Forum de Dakar s’est imposé en l’espace de quatre années comme un rendez-vous stratégique annuel incontournable, au même titre que le Forum européen de la Werkhunde de Munich ou le Dialogue de Shangri-la en Asie.
Selon les organisateurs de ce Forum de Dakar, son succès se mesure au nombre croissant des participants, qui étaient 300 la première année et près de 1 000 l’année dernière. Le succès se mesure aussi par la qualité des débats, notamment dans les ateliers thématiques où décideurs et experts confrontent leurs points de vue et leurs expériences sur la portée des menaces sécuritaires et leur gestion. Les idées qui surgissent lors de ces débats influent à terme sur les décisions prises par les Etats africains et leurs partenaires engagés dans l’endiguement des crises sécuritaires sur le continent.
Seule ombre au tableau, la rencontre semble moins intéresser cette année les pays non-francophones, comme l’indique la liste des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont confirmé leur venue à Dakar à cette occasion. Aucun représentant de haut niveau des pays de la Corne de l’Afrique, de l’Afrique du Sud ou du Nigeria, qui connaissent pourtant des crises sécuritaires majeures, ne fera le déplacement. Cela ne risque-t-il pas de limiter la portée des débats ?
Contexte
Le jihadisme et la piraterie constituent les nouveaux défis sécuritaires auxquels l’Afrique est confrontée depuis la fin de la guerre froide. Selon l’Union africaine, la liste de groupes qualifiés de terroristes et opérants sur le sol du continent ne cesse de s’allonger. Pas moins de seize groupes seraient aujourd’hui actifs.
Les trois principaux foyers du terrorisme sur le continent sont le nord-est du Nigeria où sévit la secte Boko Haram, la Somalie et la Corne de l’Afrique en général qui sont aux prises avec les milices shebab et enfin, la région du Sahel, au sud du Sahara, où prolifèrent des groupes extrémistes liés à al-Qaïda (Aqmi et Ansar Dine), notamment depuis que la Libye a sombré dans le chaos après la chute du régime de Kadhafi en 2011. Quant à la piraterie, elle s’est développée dans les années 2000 dans le golfe d’Aden, avant d’étendre sa zone d’action, qui va aujourd’hui du golfe d’Oman (au nord) jusqu’au canal de Mozambique (au sud).
Premier acteur de la lutte contre le terrorisme en Afrique, la France a dépêché dès janvier 2013 des troupes au Mali, dans le cadre de la force Serval, relayée à partir d’août 2014 par l’opération Barkhane, qui s’articule autour d’une présence militaire légère (4 000 soldats) mais mobile et permanente, étendue à toute la bande sahélo-saharienne. Parallèlement, l’ONU a déployé dans la région 13 000 casques bleus dans la cadre de sa mission de maintien de la paix au Mali (Minusma).
Malgré ce déploiement de forces occidentales et onusiennes, le nord du Mali est devenu le principal sanctuaire des groupes islamistes en Afrique. Les violences perpétrées par ces jihadistes ensanglantent le Mali, mais elles touchent aussi les pays voisins. Plus de 200 militaires africains ont été tués en 2017. Début octobre, une patrouille américano-nigérienne est tombée dans une embuscade dans le nord du Niger, faisant neuf morts dont quatre Américains. La Minusma a, elle aussi, perdu 17 casques bleus lors d’attaques subies cette année.
Selon les spécialistes, la situation sécuritaire continue de se détériorer dans le Sahel. Les militaires qui sont sur le terrain, évoquent la transformation de la menace terroriste avec des jihadistes cherchant à contrôler des régions entières avec une véritable stratégie de conquête. « Le problème, analyse Hugo Sada, conseiller spécial au Forum de Dakar, c’est la capacité d’adaptation de ces groupes qui sont, pour l’essentiel, non-étatiques et ont partie liée à toutes sortes de trafics illicites, à des réseaux criminels organisés et autres menaces nouvelles telles la piraterie. En face, les Etats ont du mal à mettre en place des réponses adaptées à la complexité des menaces. Ils connaissent de gros déficits de capacités d’équipement et de formation. Il faudrait que les réponses soient collectives, impliquant des sous-régions, voire même l’Union africaine, mais dans ce domaine les progrès sont très lents. »
Enjeux
C’est dans ce contexte de recul de la sécurité que s’ouvre ce lundi la rencontre stratégique de Dakar. Il y sera beaucoup question du défi existentiel que représente pour les Etats africains, souvent faibles et corrompus, la gestion de la terreur et de la nécessité d'apporter des réponses « intégrées », harmonisant un ensemble d’approches selon l’adversaire et les théâtres d’opérations. « Ces réponses, on les connaît, explique Hugo Sada. Il y a d’une part la prévention ou la lutte contre la radicalisation. D’autre part, il y a le volet sécuritaire qui implique des moyens très importants. Il faut des moyens de surveillance, des drones, des outils de renseignement, des capacités terrestres pour effectuer des patrouilles frontalières. Les Etats africains ne peuvent mobiliser, seuls, ces moyens et ont besoin de la communauté internationale pour les aider financièrement pour qu’ils puissent mettre en œuvre rapidement leurs projets sécuritaires. »
Autrement dit, l’argent demeure le nerf de la guerre. En Afrique comme ailleurs. Rien n’illustre mieux ce phénomène que les débats en cours autour de la mise en place de la force interafricaine du G5. Le G5 est une organisation régionale de coopération réunissant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, cinq pays directement menacés par les organisations jihadistes qui sévissent dans la région. Ces pays ont lancé en 2015 l’idée de créer une force régionale exclusivement africaine dans le but de combler les lacunes des dispositifs militaires nationaux et internationaux engagés dans la guerre contre le terrorisme.
Soucieuse de voir les Africains prendre eux-mêmes en charge leur sécurité – ce qui a été le leitmotiv des trois dernières éditions du Forum de Dakar –, la France a soutenu cette initiative devant le Conseil de sécurité de l’ONU, sans toutefois parvenir à obtenir que l’organisation multilatérale avalise et finance la création de cette force antiterroriste menée par les Africains. Conséquence : la poursuite des opérations de la force du G5 dépend désormais des contributions financières bilatérales, qui seront finalisées lors de la conférence des donateurs prévue le 16 décembre prochain. En attendant, tous les leaders de la majorité sont priés de passer le mot. La nécessité de soutenir financièrement la mise en œuvre de la force régionale africaine figurera en bonne place dans le discours de la ministre française de la Défense, Florence Parly, à la séance d’ouverture du Forum ce lundi matin, a laissé entendre l'un des ses proches lors du briefing des journalistes en partance pour Dakar.
RFI