Prétendue présence d’un contingent de militaires mauritaniens à Kidal : Des arguments qui battent en brèche ces fausses allégations

Par kibaru

Récemment, des sites électroniques ont rapporté des allégations faisant état de la présence d’un contingent de l’armée mauritanienne près de Kidal, capitale de l’Adrar des Ifoghas. L’auteur de l'article paru dans un site mystérieux va même jusqu’à donner des précisions pour étayer ses propos. Ainsi, il y évoque une date précise de l’arrivée de ce contingent mauritanien dans la ville de Kidal (dans la nuit 11 au 12 Septembre 2018), le nombre de véhicules (15 véhicules militaires) le lieu de réception, le nom de son chef et sa base qui serait la localité de Essouk, située à environ 45 km de Kidal.

L’auteur indique aussi que les soldats mauritaniens ont abandonné tous les signes permettant leur identification : blason, drapeau, numéro de véhicule, bérets, etc. L'objectif étant selon lui de se confondre avec les éléments militaires de la CMA. Il va même jusqu’à insinuer que le gouverneur de région était au courant de cette opération.

Ces allégations avancées par l'auteur de cet article controversées ont été démenties par de nombreuses sources proches du dossier. Même si jusqu’ici aucune source officielle n’a jugé nécessaire de s’exprimer sur ce sujet. Ce qui est tout à fait compréhensible à bien des égards.

Toutefois, cela n’empêche pas que l’on tente, de manière objective, d’apporter quelques éléments de réponses au regard de l’aspect géostratégique, des dimensions militaires et historiques entourant le contenu, la date et le lieu du déploiement de ces forces.

Apparemment, l’objectif visé par l’auteur de cet article est de démontrer que les autorités auraient conclu un accord à travers lequel elles abandonnent une partie du territoire en prélude d’une partition du pays. Toujours selon l’auteur la contrepartie serait l’aide que pourrait apporter la Mauritanie au président IBK pour assurer sa réélection pour un nouveau quinquennat à la tête du pays.

A noter aussi que ledit article parle d’une intervention militaire mauritanienne dans le volatile nord du Mali, un aspect très important et sérieux sur lequel il faut se pencher objectivement.

En effet, si l'on se penche sur cet article de plus près, notamment le théâtre des opérations dont il fait allusion, dans l’extrême nord-ouest du Mali et les acteurs c’est-à-dire les militaires de l’armée mauritanienne et les combattants de la Coordination des Mouvement de l’Azawad (CMA), nous trouverons qu'il y a plus de questions que de réponses.

La première de ces interrogations concerne le moment et le lieu de ce déploiement militaire. L’article parle de la région de l’Adrar des Ifoghas, près de la ville de Kidal précisément, donc très loin de la frontière mauritanienne. Si au moins ce déploiement était fait plus à l’est du territoire malien notamment dans la région de Tombouctou, on aurait pu comprendre. Surtout que des localités comme « Zarho », « Zouera », « Lerneb » ou même « Ber », « Arawaan » « Boujbeha » et bien d’autres pourraient avoir un intérêt stratégique pour la Mauritanie. Ce, puisqu’étant situées le long de sa frontière directement. Ce qui est loin d’être le cas de la région de l’Adrar des Ifoghas, située près des frontières algériennes et nigériennes. La seule région malienne où les soldats mauritaniens pourraient se confondre avec la population c’est sans doute celle de Tombouctou. Laquelle abrite des tribus arabes ayant un lien social et historique très fort avec la Mauritanie. Sans compter, la culture, la tenue vestimentaire, la langue, etc. Autant de faits qui montrent que les soldats mauritaniens n’auraient eu aucune difficulté majeure pour se confondre dans la population, sans être remarqués. Contrairement à Kidal où les tribus majoritaires sont les Touaregs.

D’autant que si cela représentait réellement un intérêt pour la Mauritanie, elle pouvait envoyer ses soldats combattre facilement aux côtés de la branche rebelle du Mouvement Arabe de l’Azawad, dans la région de Tombouctou. Surtout que c’est dans cette zone qu’opèrent souvent les éléments de l'Emirat du Sahara affilié à Al-Qaïda au Maghreb Islamique qui représente un ennemi juré pour la Mauritanie. Ce groupe a d’ailleurs plusieurs fois tenté en vain de perpétrer des incursions en territoire mauritanien.

Aussi, en déployant ses soldats dans cette zone, la Mauritanie pourrait mieux prévenir le danger au cas où AQMI et ses katibas décideraient de reprendre leurs hostilités contre elle, ou au cas cette elle renouerait les frappes contre les positions ennemies. Par ailleurs, il convient aussi de signaler que la sécurité dans cette zone pourrait être confiée aux militaires mauritaniens dans le cadre de l’opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel et la répartition des tâches y afférente.

Voici un premier argument qui permet de battre en brèche les allégations soutenues par l’auteur dudit article controversé.

Ce que semble ignorer ce dernier, si ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est qu’outre les soldats français de Barkhane, actuellement, la région de Kidal dont il fait allusion est surtout dominée par les forces tchadiennes, nigériennes, guinéennes dans le cadre de la MINUSMA. Il y a aussi une unité de l’armée malienne et des éléments armés de la Plateforme ainsi que de la CMA qui évoluent dans le cadre du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), une structure prévue par l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, chargée de sécuriser les autorités intérimaires, les opérations de cantonnement…

Si au moins ce supposé déploiement des forces mauritaniennes était annoncé dans la région de Gao, notamment dans la zone du Tilemsi, on aurait pu comprendre. Parce que dans cette partie du territoire malien bien qu’éloignée des frontières mauritaniennes, y figurent également des tribus arabes partageant la même langue, la même culture et le même mode vestimentaire que les Mauritaniens. Surtout que ces tribus ont aussi des liens très forts avec la Mauritanie. Cette zone est surtout connue comme celle où s’activent également les éléments de la Katiba Al-Mourabitoune qui a été l’un premiers groupes d’obédience salafiste (précédemment connu sous le nom de Groupe Salafiste pour la prédication et le Combat « GSPC ») à mener des attaques en territoire mauritanien (caserne de Lemgheity 2005). Ce mouvement a aussi participé à de nombreuses attaques sur le territoire mauritanien, y compris la tentative d'attentat à la voiture piégée qui visait la présidence et des chancelleries dans la capitale, Nouakchott en 2011. Une telle situation peut justifier, même si c’est loin d’être le cas, une intervention de l’armée mauritanienne pour faire la guerre à ce mouvement. Dans ce cas, on trouverait l’occasion de parler de camouflage dans la population locale et l’intégration dans un groupe armé signataire de l’accord comme le MAA pour mener ce combat.

D’autant que là encore, il est nécessaire de rappeler que lors du déclenchement de l’opération militaire franco-africaine en 2013, au Nord du Mali, la Mauritanie avait refusé une proposition de déployer ses soldats à Gao prétextant l’absence de frontière commune pour permettre à ses soldats de mieux pouvoir se ravitailler chez eux et partant contrôler tout mouvement suspect.

Tout ceci prouve aussi que les allégations faisant état de la présence d’un contingent de l’armée mauritanienne à Kidal sont tout simplement fausses. Surtout que dans la région de l’Adrar des Ifoghas, la langue la plus parlée est le Tamashèq, les tribus majoritaires sont les Tourègues avec les Ifoghas, les Idnane, les chemanamas, les Imgad et les Idaksahak, le pays voisin qui a le plus d’influence dans cette zone c’est l’Algérie, le mouvement djihadiste le plus implanté est « Ansar Dine » majoritairement, sinon exclusivement, composé de combattants de la tribu des Ifioghas sous la direction d’Iyad Ag Ghali, dont on ne connait encore aucune hostilité envers la Mauritanie. Il n’a jamais participé à une quelconque action contre ce pays. Aussi, il n’y a aucun lien historique entre cette ville et la Mauritanie, puisque distante de plusieurs centaines, voire des milliers de kilomètres.

Avant même de terminer à lire l’article controversé, on est en droit de se demander comment les soldats mauritaniens auraient pu traverser toute cette distance et laisser des boulevards à l’Emirat du Sahara qui pourra ainsi mener des incursions en toute quiétude sur le territoire mauritanien comme par le passé.

Si la Mauritanie pouvait avoir des visées sur le Mali, çà ne serait sûrement pas l'Adrar des Ifoghas, mais plutôt la région de Tombouctou plus proche géographiquement, historiquement, etc. Et avec tout cela, la Mauritanie a toujours considéré cette zone comme une partie intégrante du territoire malien.
Est-il logique que la Mauritanie revienne sur sa position initiale de ne pas d'intervenir dans le nord du Mali, sans justifier cette nouvelle donne? Sans compter qu’elle choisisse l’une des zones les plus éloignées de ses frontières avec le risque de subir des incursions sur son territoire. D’autant que les acteurs qui contrôlent cette zone sont les Mouvements de l’ex-rébellion en particulier « le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad » (HCUA) et le « Mouvement National de Libération de l’Azawad »(MNLA), sinon d’autres combattants issues de milices tribales. Cette spécificité pourrait constituer une barrière linguistique entre ces derniers et les soldats mauritaniens cherchant à les intégrer comme le prétend ledit article.

L’autre ennemi de taille que la Mauritanie pourrait se créer en opérant une telle démarche c’est surtout Ançar Dine qui demeure très populaire et influent dans la zone, mais qui n’a jusqu’ici jamais levé une arme contre la Mauritanie encore moins participé à une attaque la visant directement.

Est-il concevable que les forces mauritaniennes se détournent de leurs ennemis traditionnels à savoir des katibas et autres branches d’AQMI  pour aller combattre Ansar Dine qui a des objectifs locaux loin des intérêts mauritaniens? Est-il logique que les ambitions soi-disant expansionnistes de la Mauritanie sur le Mali le pousse à aller jusque dans la région de l’Adrar des Ifoghas et ignorer les zones qui lui sont proches géographiquement, socialement, culturellement et historiquement ?

Voilà entre autres, des arguments qui prouvent que l’article publié par ce mystérieux site sur la présence d’un contingent de militaires mauritaniens à Kidal, est tout simplement infondé et les allégations qu’il y évoque n’ont d’existence que dans l’imagination débordante de son auteur.