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Procès d’un des auteurs présumés du rapt des touristes allemands: l’ombre de Abderrazak Al Para

Par kibaru

Condamné à la perpétuité pour avoir sévi aux côtés des chefs terroristes, Abderrazak Al Para, Mokhtar Belmokhtar, ou encore Abou Zeid, en Algérie, au Niger, au Mali et au Tchad, où il a été détenu durant 7 ans par les rebelles tchadiens, avant d’être livré aux autorités, Moukatel Abou Jabel, de son vrai nom Amar Gharbia, a vu sa peine réduite à 20 ans de réclusion.

Après que son avocat ait appelé au témoignage de Abderrazak Al Para, en détention depuis 8 ans, en attente d’un procès. Le tribunal criminel n’a retenu que deux des quatre chefs d’accusation pour lesquels il est poursuivi, tout en lui refusant les circonstances atténuantes…

La quarantaine passée, le teint foncé et l’air hagard, Amar Gharbia fait son apparition dans la salle d’audience à la cour criminelle d’Alger, bien encadré par une escouade de policiers qui l’installent au fond du box des accusés. Il comparait pour la seconde fois, après cassation introduite contre la peine à perpétuité qu’il avait écopée.

Son coaccusé, Youcef Benmohamed, un Malien qui avait purgé ses sept années de réclusion criminelle, est absent. Moukatel avait été condamné, en 1993, à 18 mois de prison pour avoir rejoint un groupe terroriste, et en 1997, il a repris les chemins du maquis, pour n’en revenir qu’au mois de novembre 2010, à la suite des négociations avec le Tchad, où il était détenu durant sept années.

Selon l’arrêt de renvoi, il faisait partie du groupe terroriste qui activait dans la région de Sidi Khaled, à Biskra, sa ville natale, avant d’écumer de nombreuses autres régions à travers le pays et de prendre part à de nombreuses embuscades et à des assassinats, sous la direction de Mokhtar Belmokhtar, de Abou Zeid, et surtout de Abderrazak Al Para, avant de rejoindre, suite à l’enlèvement des touristes allemands vers la fin de 2003, le Mali, le Niger ou le Tchad, avec une quarantaine de terroristes armés.

Le juge l’appelle à la barre et lui demande ce qu’il pense des faits révélés par l’arrêt de renvoi. Pendant quelques secondes, l’accusé est comme dans une bulle, puis se ressaisit et répond : «J’ai fait de la prison pour une affaire de terrorisme en 1993, et en 1996, ils m’ont obligé à rallier le maquis. Ils m’ont menacé de mort. Je n’étais pas du tout convaincu de ce qu’ils faisaient. J’étais pris en otage durant 7 ans.

A part cela, tout a été inventé par les moukhabarate (services de renseignement, ndlr)…» Le juge : «Qu’est- ce qui vous a empêché de prendre la fuite entre 1996 et 2004 avant que vous ne soyez détenu par le mouvement rebelle tchadien ?» L’accusé ne cesse de répéter qu’il était «otage» du groupe et le juge tente de le piéger : «Vous auriez pu prendre la fuite, d’autant que vous aviez une arme.» L’accusé : «J’avais un fusil à canon scié. Ils me l’ont donné, parce qu’ils pensaient que j’étais vraiment des leurs. »

«J’étais l’otage du groupe de Belmokhtar»

La position de l’accusé a totalement changé par rapport à celle adoptée lors du premier procès, où il avait confirmé l’ensemble des informations contenues dans l’arrêt de renvoi et les procès-verbaux d’audition et relatives à l’enlèvement des touristes allemands, les embuscades contre les douaniers et les gendarmes, les négociations entre les rebelles tchadiens et les libyens pour le rachat de sa liberté, etc.

Le juge : «Combien étiez-vous lors de l’expédition du nord du Mali vers le Tchad ?» L’accusé : «Je ne sais pas. On m’a demandé de les accompagner.» Le juge : «Vous étiez parti pour négocier l’achat des armes…» L’accusé : «Cela ne me concernait pas.» Le juge : «Mais vous étiez du voyage et ce n’est certainement pas pour faire une omra ou un pèlerinage.

Le Tchad est bien connu pour le trafic d’armes.» L’accusé : «J’étais leur otage.» Le juge : «Lors de votre audition, vous aviez déclaré avoir été enrôlé à la mosquée Okba Ben Nafaa, par un certain Al Arkam.» L’accusé confirme, mais nie toute la liste des attentats qu’il avait reconnus lors de l’enquête judiciaire, notamment cette attaque contre les bergers et l’embuscade échouée contre des gendarmes à Djelfa sous la direction d’Al Para.

Le magistrat poursuit la lecture des procès-verbaux d’audition, où il est fait état d’autres opérations criminelles avec le GSPC, dont les vols de véhicules tout-terrain ainsi que l’assassinat de sept douaniers dépouillés de leurs tenues, des moyens de communication, de leurs armes et de leurs véhicules tout-terrain. L’accusé écoute, les yeux baissés, sans lancer un seul regard au juge, même lorsque celui-ci s’arrête pour entendre la réponse. Le magistrat tente de lui rafraîchir la mémoire. «Vous aviez dit que Belmokhtar vous a demandé de l’accompagner au Mali, pour récupérer des armes.

Vous êtes parti jusqu’à Gao, où un militaire malien vous a remis plus de 3000 munitions de kalachnikov.» Le juge continue : «Vous aviez déclaré qu’ El Para est venu avec une quarantaine d’hommes vous demander de l’aider à trouver des touristes étrangers et les acheminer vers le Mali. Vous êtes parti à Kidal, et avec vous une dizaine d’Allemands et un Hollandais, et les chefs des tribus sont venus négocier leur libération. Ils ont été relâchés après le paiement d’une rançon de 4 millions d’euros.

Vous êtes resté avec El Para au nord du Mali, durant deux mois, après il vous a demandé de l’accompagner au Tchad pour aller acheter des armes. Il vous a remis 200 euros, et en cours de route, vous êtes tombés dans une embuscade avec les militaires tchadiens et vous avez été blessé. Est-ce le cas ?» L’accusé : «Oui j’ai été touché à l’épaule…» Le juge : «Vous avez continué votre route avant d’être intercepté par les rebelles tchadiens qui vous ont mis en détention.

En 2008, le gouvernement libyen a tenté de payer pour vous libérer et ça n’a pas abouti. Vous avez été contacté par Abou Zeid qui vous a demandé de patienter, mais vous n’avez été livré qu’en 2010…» L’accusé : «Je ne sais même pas dans quel état j’étais, je ne me rappelle de rien. Quand j’ai été entendu par le juge, j’étais dans un autre monde. J’ai passé sept ans en prison dans des conditions inhumaines. Je ne me souvenais de rien. J’étais dans un état second.» Le juge : «Vous connaissez Abderrazak El Para ?»

L’accusé lâche d’une voix basse : «Non.» Le juge le regarde quelques secondes puis lui rappelle qu’il est resté 12 jours en garde à vue avant qu’il ne soit déféré devant le juge, et que le rapport de 14 pages de l’enquête préliminaire était trop détaillé et «ne pouvait être l’œuvre» de l’imagination des enquêteurs.

«Lors de votre seconde audition devant le juge, vous avez nié. Comment un juge qui a inventé, selon vous, les faits, puisse après dire que vous avez tout nié ?» L’accusé perd la voix. C’est alors que le procureur général entame son réquisitoire. Gharbia est présenté comme «un terroriste actif et non pas de soutien.

Il était avec El Para et a pris part à des actes criminels, des attentats et des embuscades. S’il est revenu sur ses propos, c’est parce que le juge a changé. Tous les faits contenus dans l’arrêt de renvoi sont avérés. Raison pour laquelle nous avons estimé que la perpétuité était peu. Il mérite la condamnation à mort, et pour protéger la société de terroristes comme lui, il lui faut la peine de mort…» Des propos qui suscitent la réaction du président du tribunal : «Ici l’accusé n’est pas terroriste tant qu’il n’est pas condamné.»

«L’accusé a agi sous les ordres d’El Para, pourquoi celui-ci n’est pas là ?»

Me Amine Sidhoum, avocat de l’accusé, n’y va pas par le dos de la cuillère. Il commence par remercier le président d’avoir rappelé le respect du principe de la présomption d’innocence, puis rappelle les quatre chefs d’accusation (appartenance à groupe terroriste, rapt, détention et commerce des armes à feu), et déclare : «On parle d’enlèvement et nous n’avons aucune identité des victimes et surtout nous ne savons pas qui est mort, qui est vivant. Qui sont ces otages étrangers ? Où sont les commissions rogatoires ? Rien dans le dossier. Moi-même j’ai plaidé sept affaires liées à cette prise d’otages.

On parle d’embuscade qui a causé la mort de douaniers, mais nous n’avons aucune information sur ces morts. Qui sont-ils ? Où sont les parties civiles ? Nous ne pouvons pas construire des accusations juste sur des conclusions toutes faites. Mieux encore. Vous dites que l’accusé agissait sous les ordres de Abderrazak El Para. Pourquoi celui-ci n’est pas là ? Pourquoi ne le ramène-t-on pas de la prison ? Les émirs sont dehors. Ils sont reçus avec les honneurs et l’un d’eux est même reçu à la Présidence.

On laisse le chef du GSPC en liberté, alors qu’il est l’instigateur des crimes les plus abjects, dont certains sont des crimes contre l’humanité et au même moment on veut condamner à mort Gharbia.» L’avocat hausse le ton. «Il est resté sept ans détenu non pas par les militaires tchadiens, mais par des terroristes financés par le gouvernement libyen et qui l’ont vendu à ce dernier, pour qu’il négocie son extradition avec l’Algérie. Gharbia a été forcé de rejoindre les terroristes, parce qu’en 1996, ou vous êtes forcé de les rejoindre ou de vous armer.

Tous les Algériens étaient des victimes. Il faut revenir au contexte de l’époque pour comprendre Gharbia. Pour le condamner il faut apporter des preuves. Il a vécu l’horreur durant les 20 jours passés dans les geôles libyennes et lorsqu’il arrive en Algérie, c’est le DRS (Département de renseignement et de sécurité, ndlr) qui fait l’enquête.

Il ne lui a pas déroulé le tapis rouge. Nous savons comment se fait l’exploitation. Gharbia était dans un autre monde», souligne l’avocat en se demandant pourquoi n’a-t-on pas confronté les propos de son mandant à ceux de Abderrazak Al Para concernant l’enlèvement des touristes allemands. «Il a été enrôlé de force et il a peut-être fait partie des expéditions au Mali, au Niger et au Tchad, mais il n’a pas pris part à l’enlèvement.

Les auteurs ont été arrêtés et leur chef, Al Para, est détenu, d’abord à Serkadji, puis à El Harrach, depuis près de 8 ans sans procès. Oui, mon mandant a été enrôlé dans un groupe de terroristes, mais aucune preuve n’a été apportée pour argumenter les autres accusations. Rendez-lui justice.» Le président donne la parole à l’accusé, qui lui plaide les circonstances atténuantes.

En milieu d’après-midi, le tribunal le condamne à une peine de 20 ans de réclusion criminelle, assortie d’une amende d’un million de dinars, après avoir annulé deux accusations à son encontre : le rapt et le trafic d’armes, mais en lui refusant les circonstances atténuantes. La même peine a été prononcée par contumace contre le Malien Youcef Benmohamed.