Sahel : l'Union africaine descend plus fort dans l'arène

Par kibaru

La décision a été prise lors du sommet de l'Union africaine début février, mais c'est seulement maintenant que l'information est rendue publique. Le commissaire de l'UA à la paix et la sécurité, Smaïl Chergui, a en effet indiqué lors d'une conférence de presse que l'organisation panafricaine comptait envoyer 3 000 soldats au Sahel. C'est un signal militaire mais aussi et surtout politique qui illustre que les États africains entendent de moins en moins sous-traiter à d'autres organisations internationales ou à d'autres pays non africains la question de la lutte contre le djihadisme terroriste. Plus que jamais donc la résolution du problème de la dégradation de la sécurité dans le Sahel est au c?ur de l'agenda de l'UA même si, en l'occurrence, les modalités et le calendrier exact du déploiement des soldats ne sont pas précisés.

L'UA main dans la main avec le G5 Sahel

Cité par l'AFP, Smaïl Chergui a indiqué que « sur la décision du sommet de travailler au déploiement d'une force de 3 000 hommes pour aider les pays du Sahel à affaiblir les groupes terroristes », c'est une décision sur laquelle l'organisation panafricaine allait travailler avec le G5 Sahel et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao). Et d'expliquer les raisons de cette décision gardée secrète un moment : «  La menace progresse et devient plus complexe. » C'est en tout cas une avancée notable sur le chemin d'une plus grande collaboration entre organisation de coopération africaine. Faut-il le rappeler ? Basé à Nouakchott, et composé de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, le G5 Sahel fournit depuis 2014 un cadre de coopération pour la sécurité et le développement de ces cinq pays sahéliens d'Afrique de l'Ouest. Depuis 2017, elle affine ses initiatives et outils. Face à la poussée des attaques djihadistes et à la sévère dégradation de la sécurité dans le centre du Mali, ainsi qu'au Burkina Faso et au Niger voisins, le G5 Sahel a réactivé son projet de force conjointe, initialement lancé en 2015. Cette force, qui doit compter à terme 5 000 hommes pour lutter contre les djihadistes dans les zones frontalières entre les pays membres, peine à monter en puissance. Les conclusions du sommet de l'UA n'ont toujours pas été publiées, mais les diplomates ont confirmé le déploiement prévu.

Modalités à préciser

Intervenant de manière plus précise sur le sujet, Edward Xolisa Makaya, ambassadeur d'Afrique du Sud auprès de l'Union africaine a précisé que ces quelque 3 000 hommes allaient être déployés « pour une période de six mois ». « C'est juste un signe ou un geste de solidarité avec les peuples du Sahel », a-t-il poursuivi, disant espérer que ce déploiement aurait lieu « dans le cours de l'année ». Cela dit, il apparaît clair que certaines modalités restent à préciser au regard du fait que, d'une part, aucun pays ne s'est encore officiellement dit prêt à envoyer des troupes, d'autre part, le mode de financement du projet n'est pas encore connu. « Bien entendu, les États membres ont été incités à faire une offre de contribution, et certains l'ont fait durant les discussions. Mais nous n'avons pas le droit de donner leur nom pour le moment », a précisé Edward Xolisa Makaya. Une intervention qui illustre que l'Afrique du Sud se veut à la man?uvre pour inaugurer le fait qu'elle a pris, lors du dernier sommet, la présidence tournante de l'UA et envisage d'accueillir un sommet extraordinaire de l'organisation panafricaine sur les questions sécuritaires en mai.

Observateurs circonspects

La nouveauté dans l'expression même de l'Union africaine ainsi que les nombreux problèmes à régler au préalable conduisent cependant certains à douter quant à la mise en ?uvre prochaine d'une telle décision. Ainsi, Elissa Jobson, experte auprès de l'International Crisis group (ICG), ne s'est pas gênée pour exprimer ses doutes sur l'efficacité de l'initiative de l'UA. « Même si c'est bien de voir que les dirigeants de l'Union africaine montrent un réel intérêt pour le conflit au Sahel et sentent qu'ils doivent faire quelque chose, le déploiement de soldats n'est pas forcément la réponse adéquate », a-t-elle estimé. Ce déploiement devrait « s'inscrire dans une stratégie politique bien conçue, qui devrait aussi inclure le dialogue avec les groupes djihadistes dans la région », a-t-elle ajouté. Pour rappel, les violences djihadistes ? souvent entremêlées à des conflits intercommunautaires ?, ont fait 4 000 morts en 2019 au Burkina Faso, au Mali et au Niger, cinq fois plus qu'en 2016, selon l'ONU, malgré la présence de forces africaines, onusiennes et internationales.

L'Union européenne aux côtés de l'Union africaine

Malgré cette réserve de certains observateurs, l'Europe semble jeter un regard favorable à l'endroit de cette initiative. En effet, lors de la même conférence de presse, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a considéré que la mesure était « très bienvenue ». Cité par l'AFP, il a indiqué avoir confiance dans la capacité de coordination logistique de l'UE et de l'UA « pour tout gérer ensemble ». Pour rappel, l'UE et ses États membres ont débloqué quelque 155 millions d'euros pour soutenir la Force conjointe du G5 Sahel depuis sa création, dont près de 70 % ont déjà été décaissés. Par ailleurs, l'UE a décidé d'un financement additionnel de 138 millions d'euros, confirmé par M. Borrell lors du sommet de Pau entre la France et le G5 Sahel le 13 janvier. Une information qui vient renforcer cette réalité que de plus en plus d'efforts sont déployés dans une logique de convergence pour faire la différence d'avec les groupes armés terroristes sur le terrain.

msn