Sortie d’«Elwan», 8e album des Touaregs enregistré loin des dunes du nord Mali. Encore une réussite d’un groupe historique, bientôt à Lausanne.
La fournaise du désert a toujours aussi été celle de la politique et de la guerre pour le groupe berbère Tinariwen, précurseur de la musique tishumaren, mieux connue sous le nom approximatif de «blues du désert». Mercredi, la lutte pour la reconnaissance touarègue. Aujourd’hui, la terreur du djihad. Alors que sort vendredi l’album Elwan (les éléphants), le destin de ce collectif a toujours partie liée avec l’actualité la plus brûlante et la plus douloureuse. Rares sont les artistes contemporains à accompagner aussi directement les soubresauts de l’histoire. Le succès de Tinariwen, évoluant qui plus est dans le registre marginalisé de la world music, n’en est que plus étonnant.
L’histoire de ce collectif ne commence pas avec sa première sortie discographique internationale, l’album The Radio Tisdas Sessions de 2001. Il faut remonter à la fin des années 1970 pour discerner les origines mouvementées du groupe fondé par Ibrahim Ag Alhabib, chanteur et guitariste du nord-est malien né en 1959. A cette époque, le musicien évolue dans le Sud algérien et se produit lors de mariages. Lui qui a assisté à l’âge de 4 ans, impuissant, à l’exécution de son père rebelle, alterne musique (croisant déjà chaâbi nord-africain et intérêts rock pour Santana ou Led Zep) et entraînement militaire dans des camps organisés par Kadhafi.
Cette alliance objective entre le colonel libyen et des Touaregs répartis de façon problématique sur plusieurs territoires nationaux (Mali, Algérie, Libye, Tchad, Niger…) leur permettra de participer, aguerris, au soulèvement rebelle contre le gouvernement malien de 1990. Le groupe n’a toutefois jamais été très précis sur son degré d’implication lors du conflit. Mais les armes automatiques seront bientôt abandonnées au profit des guitares.
Renouveau berbère
Tinariwen (du pluriel de «désert» en tamashek, la langue des Touaregs) devient la figure de proue d’un renouveau musical berbère, mêlant traditions ancestrales, pop du Maghreb et guitares blues électrifiées. Au Mali, le guitariste Ali Farka Touré avait déjà fait connaître une approche spécifiquement africaine du blues, mais la variante des Touaregs se raccorde aussi plus directement au rock. Il est d’ailleurs amusant de noter que Robert Plant, chanteur de Led Zeppelin, fera le voyage de Tombouctou pour le Festival Au Désert (auquel participe Tinariwen dès 2001) et l’on peut penser qu’il en fut influencé, notamment sur son Mighty ReArranger de 2005.
Dès les années 2000, le groupe, qui intègre des jeunes dans ses rangs, participe à des festivals majeurs, s’attire des fans prestigieux et devient l’emblème électrique du désert, suscitant des formations comme Tamikrest. Mais la réalité guerrière finit par rattraper les membres de Tinariwen.
Dès 2012, le nord du Mali redevient un lieu de combats, initiés par des indépendantistes et des djihadistes salafistes. L’un des leaders de la faction d’Ansar Dine, très remonté contre la «musique de Satan», est une de leurs anciennes relations. Cela n’empêchera évidemment pas l’un d’eux de se faire kidnapper.
Pour enregistrer Elwan et échapper à une violence omniprésente, les nomades ont dû quitter leurs dunes. Menacé, leur chant n’en est que plus poignant.
(24 heures)