"Pour parvenir à une paix durable, le Mali doit encore relever des défis"

Par kibaru

Alors que l'administration malienne devait débuter son redéploiement dans le nord du pays vendredi, gage d'un retour à une certaine stabilité, la paix est encore précaire. Interview.

Vendredi 15 juillet, deux processus déterminants pour la cessation des violences au Mali, prévus dans le cadre des accords de paix d'Alger de juin 2015 devaient commencer : le redéploiement de l'administration de l'Etat malien au Nord, et la mise en place d'autorités intérimaires dans chacune des cinq régions comprises dans cette zone septentrionale. Mais pour Philippe Hugon (directeur de recherche à l'Iris, en charge de l'Afrique) si ce redéploiement est indispensable, une paix durable dans la région n'est pas encore garantie.

L'Etat semble déterminé à se redéployer dans le Nord. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Le délai entre les accords de paix signés en juin 2015 avec les rebelles et le redéploiement effectif de l'Etat au Nord est long parce que tout n'avait pas été réglé par l'action diplomatique. Celle-ci visait alors surtout à isoler les djihadistes, pour leur nuire, en opérant une paix officielle entre la Coordination des Mouvements de l'Azawad (CMA, qui réunit la majeure partie des groupes rebelles du Nord), et l'Etat de Bamako. Mais il y a aussi d'autres questions très importantes derrière.

Il y a, de longue date, une forte opposition entre le Nord (très divers en termes ethnique: peuls, touaregs, songhais...), et le Sud (majoritairement peuplé par des bambaras) du Mali. Encore aujourd'hui, de larges questions restent en suspens. Il reste à négocier avec les divers groupes armés, parfois rivaux, qui contrôlent les territoires sur place, pour mettre en place une transition politique avec le retour de l'administration. Dans une situation où les alliances politiques se font et se défont entre ces groupes, ce processus est difficile, et lent à mettre en place. Des enjeux complexes se jouent lors des négociations, notamment parce que ces groupes souhaitent conserver une influence.

Comment vivent actuellement les populations au Nord du Mali ?

L'économie est affectée par la situation au nord du Mali, mais elle fonctionne tout de même. Les circuits de commerce fonctionnent, et il n'y a pas de risque de famine grave. L'élevage est toujours une source de revenus importante. Les populations ne sont pas considérables, mais elles vivent sur des territoires très élargis. Certains groupes isolés peuvent être exposés à des risques ponctuels de sous-alimentation (qui peut d'ailleurs être généralisée) ou de disettes. C'est surtout l'effondrement du tourisme, dû au conflit, qui a eu un impact important en quelques années au Nord du Mali.

La région septentrionale est de manière générale moins riche que le sud (doté en or et en coton). Les populations comptent sur l'installation d'une exploitation pétrolière ou d'uranium pour apporter des opportunités économiques, mais c'est un mythe. Vu la situation du Mali, qui est un pays enclavé (il n'a pas d'accès direct à la mer, donc au commerce mondial), une telle exploitation ne verra pas le jour avant au moins 50 ans. Il y a par contre des possibilités de développements économiques locaux, qui ne sont pas forcément exploitées pour le moment. 

 

Quels seront les changements réels pour les populations du Nord, avec ce redéploiement ?

Ce redéploiement de l'administration gouvernementale est indispensable : il doit permettre d'initier le retour à une situation politique stable. Avec le retour de l'Etat, c'est tout le service public qui devrait par la suite mieux fonctionner dans le Nord du Mali. Les écoles, le système de santé, la police, la justice : tout cela doit apporter une plus grande sécurité aux populations. De plus, l'Etat de droit doit permettre aux populations de se tourner paisiblement vers le développement économique. Ce que je décris ici est la situation idéale. Il faut encore que l'administration soit considérée comme légitime, et ainsi acceptée. 

Des autorités intérimaires devaient également être établies dans le Nord à partir de vendredi... 

Dans le cadre de la décentralisation, issue de lois votées en 1992, les ethnies du nord doivent pouvoir se gouverner au sein de l'administration de l'Etat. La composition des autorités intérimaires dépends des négociations et donc des rapports de force complexes entre les différents groupes souhaitant conserver leur influence locale avec l'arrivée de l'Etat. Il y a actuellement des manifestations à Gao, une ville du Nord du Mali contre leur mise en place: les habitants, qui étaient pour beaucoup contre la rébellion, ont le sentiment qu'ils seraient alors dirigés par les rebelles qui leur ont fait tant de mal. 

Le redéploiement pourrait-il mettre fin aux tensions dans le nord du Mali ?

Je ne pense pas. Les divers mouvements qui forment la fédération rebelle Coordination des Mouvements de l'Azawad (CMA) sont fortement implantés dans leurs localités. Et au sein de la CMA, il existe des tensions très importantes, notamment avec un groupe essentiellement composé de transfuges d'Ansar Dine, un groupe qui est donc djihadiste. Il y aura certainement, pendant le processus de redéploiement, des affrontements militaires avec ce groupuscule (le HCUA). Il pourrait aussi y avoir des concessions diplomatiques. 

Il y a également des tensions entre la CMA et d'autres groupes militaires non-gouvernementaux situés dans le Nord, mais loyaux à Bamako, qui sont regroupés dans le groupe La Plateforme. Même si le Mali est désormais doté d'un Gouvernement de large ouverture composé par chacune des organisations citées (à l'exception évidente des djihadistes), il est impossible de savoir pour l'instant si les tensions vont réellement s'arrêter. Je suis moi-même plutôt dubitatif par rapport à une paix durable entre ces groupes.

L'Armée malienne est-elle en capacité de faire face seule à d'éventuelles reprise des violences ?

En 2012, elle était formée directement par les Etats-Unis. Cela ne l'avait pas empêchée d'être très corrompue, et elle n'avait pas résisté aux chocs contre les assauts touaregs. Historiquement, elle n'a jamais été considérée comme une armée très performante. Elle est actuellement en processus de reconstruction, via les financements de l'Union Européenne (qui finance beaucoup d'armées africaines en reconstruction). La reconstruction de l'armée malienne est un processus très lent. Les militaires sur le terrain sont surtout français, ou issus des nations-unies (Minusma). Il y a aussi quelques forces allemandes sur le terrain. 

Le redéploiement n'est-il pas exposé à des risques majeurs face à la menace djihadiste ?

Non, ces mouvements ont été très atteints par les opérations françaises (Serval, puis Barkhane) et multilatérales. Les djihadistes ont été chassés des villes. Ils sont marginalisés et trop faibles pour atteindre le processus de redéploiement et de sécurisation de manière globale. Mais il y a toujours des risques. Après avoir essayé de marcher sur Bamako, et s'être vus fortement altérés par les attaques internationales, les djihadistes mènent une nouvelle forme de guerre : des attentats suicides au Nord, mais aussi (c'est une nouveauté) au centre et au sud du Mali, visant directement les forces internationales. Ces attentats restent à redouter, mais ils ne sont de toute manière ni de grande ampleur, ni assez fréquents, pour menacer quel processus politique de long terme que ce soit.

Jointe avec la Minusma (qui a été récemment dotée d'un mandat plus offensif) et avec les continents français, les forces armées pourraient-elles mettre fin aux violences djihadistes ?

Non, elles ne pourront pas être stoppées, parce qu'on n'éradique pas le djihadisme. On peut par contre l'endiguer, et c'est l'objectif des militaires. Ils veulent affaiblir encore plus les djihadistes, les empêcher de se regrouper. 

Pour mettre fin au terrorisme islamique, il faudrait mettre en place une action multiple, de nature socio-économique. Il faudrait en effet d'une part trouver un palliatif au non-emploi des jeunes et à l'absence d'activité économique. C'est cette inertie qui favorise l'implantation d'une idéologie djihadiste, chez des personnes qui n'ont aucune perspectives d'avenir. En même temps, il faudrait contrer l'influence religieuse wahhabite en favorisant l'émergence ou en renforçant la tradition islamique "modérée" soufi ou malékite (cette dernière étant de manière historique très populaire chez les touaregs).  

La rébellion de 2012 n'était que la dernière en date d'une longue suite historique d'insurrections touaregs contre le gouvernement de Bamako. Pensez-vous que le règlement actuel permettra de favoriser l'émergence d'une paix durable ?

Les Touaregs n'avaient pas la légitimité en 2012 de déclarer l'indépendance, dans trois régions du nord du mali, de ce qu'ils appellent "l'Azawad". Hier comme aujourd'hui, les touaregs sont en effet minoritaires sur ces territoires. Les Accords d'Alger de 2015 n'entérinent rien de plus que les lois de décentralisation des années 1990. Il n'y aura donc pas plus d'autonomie au nord, ni l'indépendance de l'Azawad. Cependant, les combattants doivent être réinsérés avec le processus onusien Désarmement Démobilisation Réinsertion (DDR). 

Pour parvenir à une paix durable, le Mali doit relever de multiples défis. L'Etat doit déjà parvenir à contrôler la totalité de son territoire immense, ce qui n'est pas gagné vu les tensions qui existent dans le nord, et l'état actuel de son armée. De plus, il y a actuellement une explosion démographique, dangereuse puisqu'elle se couple à une inertie économique assez importante, due à une insuffisance de la demande solvable. Apparaissent également des problématiques nouvelles liées à la vulnérabilité environnementale. Avec le processus de réchauffement climatique, le phénomène de désertification se renforce et le Sahara s'élargit.

Il est difficile de savoir ce que sera le futur du Mali, mais la solution se trouve dans une action en deux temps : une construction politique, un développement économique.

Propos recueillis par Louis Bonnefond

 Nouvelobs