Afrique : Cinq mesures pour limiter les conflits identitaires

Par kibaru

Environ 10,1 millions d’Africains sont morts lors des affrontements entre 1960 et 2005 selon Human Security Brief (2007). Depuis 10 ans, les situations de conflits se sont  généralisées à travers le continent touchant l’essentiel des pays. Une société en conflit est marquée par la rupture du contrat social. Dès lors, ses acteurs s’affrontent sur l’objet de leurs différences. Jusqu’ici, les solutions sont beaucoup plus exogènes, appelant à l’intervention de la Communauté internationale. Comment la gouvernance pourrait-elle contribuer à la résolution des conflits identitaires ?

Autonomiser les citoyens à la base

Plusieurs Etats africains sont actuellement fortement centralisés et il existe une certaine idéologie selon laquelle il faut rejeter les traits distinctifs pour sceller l’unité nationale. Par exemple, le Cameroun traverse depuis 2016 une crise dite anglophone née de la volonté du gouvernement central d’«harmoniser» les sous-systèmes éducatifs et judiciaires. Dans une démocratie qui se veut libérale, cette démarche était reprochable dans la mesure où l’Etat doit plutôt promouvoir le droit à la différence qui est un droit fondamental. Pour ce faire, l’Etat doit créer un cadre dans lequel les gens décident eux-mêmes de leur avenir. Cela passe par l’application du principe de subsidiarité qui assure que les décisions de construction nationale viennent du bas. La prise des décisions à la base garantit aux communautés de base la possibilité de se renouveler librement et de progresser vers autre chose sans subir le dictat des autres communautés. Aussi, cela donne la possibilité de se libérer des identités de naissance (ethnies, handicaps, etc.) au profit des identités de résidence plus opérationnelles et pertinentes pour la gouvernance sociale sur une base libre et compétitive.

Assurer l’inclusion des minorités et l’accessibilité du service public à tous

Comme le remarque Dobel (2017 : 192), certains groupes peuvent atteindre des situations de privilège à partir desquelles ils dénient aux autres tout droit ou tout statut. C’est le cas du népotisme qui sévit dans l’administration publique africaine. Face à ces velléités de ségrégation, il faut appliquer une meilleure gouvernance qui garantit l’équilibre social en préservant tous les intérêts en présence. Cela passe par l’établissement des critères transparents d’ascension sociale et d’allocation des investissements et ressources entre différentes communautés en vue d’éviter des frustrations. Par exemple, il faudrait ouvrir les postes administratifs à la concurrence comme en Suisse où cela fait ses preuves depuis plusieurs siècles et adopter une clé de répartition des recettes fiscales avantageuse pour les communautés de base. Cela permettra de réduire les inégalités géographiques, sources de tensions et de ressentiments. Ceci est le garant de la cohésion sociale afin de permettre que l’expression des différences se fasse de façon autonome sans intimidation ni violence.

Promouvoir la culture du compromis et de la tolérance

Le conflit survient lorsque le dialogue est rompu et/ou lorsque la discussion entre les parties est interrompue. Par exemple en Côte d’Ivoire, le dialogue politique au sein de la majorité présidentielle semble rompu sous fond d’une volonté d’unification politique, ce qui ouvre la voie à un nouveau conflit. Pour éviter que les discussions ne dégénèrent, il convient de promouvoir la culture du compromis et de tolérance politique. Pour ce faire, il suffit d’inscrire dans les règles de fonctionnement des différentes institutions du pays, le principe de concordance selon lequel les parties acceptent la conclusion de leurs discussions collégiales par des solutions de compromis. En effet, l’on ne va pas à la table de négociation essentiellement pour obtenir entièrement satisfaction ; on y va pour faire des concessions en vue de marquer l’acceptation et la tolérance de l’autre et donc, de sa différence, dans l’espace public.

Promouvoir la diversité comme une richesse et susciter la coopération intercommunautaire

Comme le remarque Dobel (2017 :190), «si des gens différents peuvent se quereller, se battre et se haïr, ils peuvent aussi s’aimer, s’aider et coopérer entre eux». Pour y parvenir, il faut créer des passerelles sociales. Cela passe par la présentation de la diversité comme une richesse. Pour ce faire, il faut inscrire au programme scolaire les expériences et symboles de réussite sociale en vue de permettre aux gens d’une communauté de profiter du meilleur des autres communautés. C’est le cas des références sociales comme des figures héroïques ayant transcendé le seul cadre de leur communauté. En l’état, des leaders charismatiques comme Kwamé Nkrumah, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Ruben Um Nyobé, etc., ne sont que très rarement évoqués dans les discours officiels et les manuels scolaires. Pourtant, la littérature insiste sur la dimension affective des appartenances déclarées. Dobel (2017 : 193) pense qu’il s’agit des rituels qui permettent aux individus de rattacher leurs émotions et leurs identités particulières à une sphère politique plus large. C’est l’acte d’intégration qui est un facteur de paix civile et politique.

Démilitariser le maintien de l’ordre

Le civil doit être géré par des méthodes civiles. En l’état, beaucoup de dirigeants africains massacrent leurs propres populations pour des raisons politiques. Selon la BAD, environ 17 000 Africains ont perdu la vie chaque année depuis les années 1970 dans des conflits impliquant l’Etat. Il est temps de changer de paradigme pour arrêter ces cycles de violence qui n’ont conduit qu’à exacerber la situation. A l’école de police et dans les centres de perfectionnement aux techniques de maintien de l’ordre, il faudrait introduire une nouvelle gouvernance qui consacre la protection de l’intégrité physique et morale des citoyens comme principe cardinal du recours à la force publique.

En somme, il est possible de réformer la gouvernance des Etats africains pour maintenir la stabilité sociale nécessaire au développement économique. En l’état, il manque la volonté politique. En attendant, c’est de la responsabilité individuelle de chaque citoyen d’être un modèle d’intégrité à son niveau.

Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA, Le 8 août 2018

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