En mars, une délégation de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, composée de son président, Christian Cambon, et des sénateurs Olivier Cigolotti et Ladislas Poniatowski, s’est rendue au Niger et au Mali.
Et elle en est revenue avec message « assez clair et assez pessimiste » sur la situation, en dépit des succès tactiques de la force française Barkhane sur le terrain et de la mobilisation de la communauté internationale via la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA]. « Seule une solution politique malienne pourra stabiliser le Sahel », a ainsi commenté M. Cambon.
S’agissant des « succès tactiques » des militaires français, la délégation a relevé que le « potentiel militaire des groupes terroristes », essentiellement le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS), est « désormais réduit, grâce à un effort très soutenu. » Ils « n’ont plus de sanctuaire » mais « l’insécurité s’est propagée dans le centre » du Mali, souligné M. Cambon.
L’essentiel de l’effort est porté par la force Barkhane, même si l’Union européenne et, plus largement, la communauté internationale, apportent un appui. Seulement, ce dernier souffre de lacunes.
Ainsi, EUTM Mali, la mission européenne visant à former les soldats maliens (déjà 8 bataillons instruits, sout 12.000 hommes), manque d’instructeurs francophones et le recours aux traducteurs « ne facilitent pas la meilleure compréhension entre tous les acteurs. » En outre, elle ne forme pas de sous-officiers, qui « sont le maillon faible de l’armée l’armée malienne » alors qu’ils devraient au contraire être l’élément central. Or, a insisté avec justesse M. Cambon, « apprendre aux Maliens à faire une LPM c’est bien, former leurs sous-officiers, ce serait mieux! »
Autre problème : le manque de suivi des soldats formés par l’EUTM Mali. « Les Maliens […] éparpillent les stagiaires au lieu de les projeter en unités constituées, alors même que les stages de 5 semaines de formation ont créé le minimum de cohésion qui fait si cruellement défaut à leurs unités. »
Pour autant, estime M. Cambon, l’EUTM Mali « a besoin de notre soutien : il n’y a pas d’autre solution que de reconstruire l’armée malienne, sans se décourager, même si on a parfois l’impression d’arroser le sable. »
Former l’armée malienne est l’un des impératifs pour que la Force conjointe du G5 Sahel [FC-G5S, dont les 5.000 hommes sont fournis par le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie] soit efficace. Mais sur ce plan, les sénateurs sont très prudents.
« Il ne faut pas non plus perdre de vue que le G5 s’appuie aujourd’hui sur des armées nationales parmi les plus faibles au monde. On ne peut pas en attendre des miracles dans l’immédiat », a fait valoir le sénateur Cigolotti.
« La force conjointe est survalorisée sur le plan politique. Or elle mettra des années à atteindre une véritable efficacité opérationnelle » car « si le Niger et le Tchad sont partants, la Mauritanie pour ne pas la citer est un frein réel », a-t-il expliqué. Aussi, a-t-il conclu, il ne « faut pas croire en France que c’est un ‘ticket de sortie’ à court terme pour Barkhane » d’autant plus qu’elle doit encore faire ses preuves sur le terrain. Seulement, après les opérations Haw Bi et Pangali, « aucune n’est planifiée à cout terme. »
Quant à la MINUSMA, qui est la plus dangereuse des opérations des Nations unies, elle manque toujours de moyens. « Son plafond de 13.000 hommes n’est pas atteint, et chaque contingent apportant son matériel, il manque 200 véhicules, des drones, des hélicoptères », a souligné M. Cambon. Aussi, elle est « insuffisamment protégée, en particulier contre les engins explosifs, d’où un effort pour réduire son empreinte logistique et sa vulnérabilité. Son auto-protection consomme trop de ses ressources. »
Conséquence : la MINUSMA ne « protège pas assez les populations civiles », car elle reste « confinée dans ses bases ». Qui plus est, les contingents africains, qui « sortent le plus » sont « insuffisamment préparés, formés et équipés » tandis que leurs homologues européens, pourtant mieux lôtis s’agissant des équipements, ont « parfois des restrictions d’emploi nationales qui les limitent. »
Pour autant, il n’est pas concevable de se passer de cette mission de l’ONU. « Tout retrait au Nord, aujourd’hui occupé par la MINUSMA, s’assimilerait à un succès idéologique et de territoire pour les groupes terroristes et leur permettrait de se renforcer au Centre (car les donneurs d’ordre sont principalement localisés au nord et coordonnent les éléments présents dans le Macina) », a expliqué M. Cambon.
Quant au processus politique, initié par les accords d’Alger, signés en 2015, il est au point mort. « Les mouvements signataires ne nous ont pas donné non plus l’impression de vouloir jouer pleinement le jeu de l’accord de paix. C’est à se demander si les représentants de ces mouvements que nous avons rencontrés à Bamako ne donnent pas le change à la communauté internationale, tandis que dans le nord du Mali, les ‘affaires’ continuent comme avant. Chacun connaît dans le nord du Mali le poids des trafics, de drogue en particulier », a déploré M. Poniatowski.
En outre, a-t-il dit, « l’Algérie joue un rôle ambigu pour la mise en oeuvre de l’accord de paix dont elle est pourtant garante. Au-delà de la collaboration de façade sur le dossier malien, certains se demandent quel est son engagement réel pour le retour de la stabilité politique et la lutte contre le terrorisme. » Pour autant, estime-t-il, il faut « travailler à une collaboration plus active avec » Alger.
Sur le plan sécuritaire, et en dépit, encore une fois, des succès tactiques de Barkhane, le sénateur Poniatowski a décrit une situation « très préoccupante » dans le centre du Mali. « Deux groupes terroristes, majoritairement composés de Peuls, y sont particulièrement actifs : la Katiba Macina d’Ansar Eddine et Ansar-ul-Islam, qui agit de part et d’autre de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. En deux ans, les attaques quasi-quotidiennes et meurtrières ont répandu un climat de terreur parmi les populations », a-t-il affirmé. Et les « différentes tentatives de l’État pour reprendre pied dans cette zone considérée comme le ‘verrou vers Bamako’ ont jusqu’ici été un échec et la situation menace de dégénérer. »
« Suite à la pression mise sur eux par Barkhane dans le Nord du pays, les groupes terroristes ont changé de stratégie en tentant de s’enraciner dans de nouvelles zones (le centre et sud-est) où ils profitent de l’absence de l’État et des forces internationales et exploitent la pauvreté et les frustrations de la jeunesse : 50 % de la population malienne a moins de 16 ans et le pays est parmi les plus pauvres du monde », a expliqué le sénateur. Du coup, « la situation sécuritaire » s’y dégrade « rapidement ». Et, a-t-il continué, « en 2013, les terroristes étaient à Kona, à 400 km de Bamako, aujourd’hui ils sont à 100 km!. »
D’où la conclusion du président Cambon : « On voit bien le piège pour Barkhane : celui de l’enlisement. Une action politique et diplomatique vigoureuse est nécessaire. Je me propose de faire passer ce message très directement à l’exécutif français. Attention à ne pas mettre un espoir excessif dans le G5-Sahel. Si Barkhane s’en va, la région sera à nouveau menacée".
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