Dans les travées d’un marché artisanal de Bamako, une dizaine de Touaregs ont les yeux rivés sur leurs ouvrages. Méthodiquement, ils frappent le cuir tanné avec un marteau et un pic en métal. Une enfilade de motifs arrondis apparaissent sous les coups. Avec la régularité du métronome, les artisans confectionnent boîtes à bijoux après boîtes à bijoux. A côté, des forgerons fondent de l’argent. « C’est pour faire des passeports touaregs, explique Abdoul Aziz Ag-Yacouba. Ça symbolise ton appartenance à la communauté. C’est un morceau d’argent taillé en demi-lune. »
Assis à ses côtés, Abderamane Ag-Mohammed soupire. « A Tombouctou, c’est vrai qu’on faisait ce genre de choses. Mais c’était rare, parce qu’il y avait tellement de touristes qu’on n’avait pas le temps de faire des breloques. »
Avec nostalgie, l’ancien guide touristique se remémore les balades à chameau, les couchers de soleil en bordure du désert et les nuitées dans les campements touaregs. Adberamane, comme Abdoul Aziz avec qui il partage la boutique, a dû quitter Tombouctou, faute d’argent.
« J’ai fait guide pendant dix ans. Avec les touristes, on pouvait gagner jusqu’à 40 000 francs CFA par jour [60 euros]. Ici, sur le marché, on se bat seulement pour nourrir la famille. » Abdoul Aziz lui, est à Bamako depuis deux mois. Il est resté jusqu’au bout dans la Cité des 333 saints, espérant que « ça allait repartir ». En vain.
Descente aux enfers
A Tombouctou, le tourisme faisait vivre plus de 70 % de la population, affirme t-on de concert du côté de l’association Timidwa, qui regroupe des artisans de la ville, et le ministère de l’artisanat et du tourisme malien. Mais, depuis 2012, « le coup d’Etat, le contre-coup d’Etat, la descente des djihadistes et l’occupation », il n’y a plus personne.
Du sud au nord, le Mali dispose d’atouts touristiques indéniables, avec plus de dix sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Tombouctou et Djenné, la plus grande mosquée en terre du monde, font partie des lieux les plus prisés.
En 2011, un an avant la descente aux enfers, le Mali comptabilisait près de 200 000 entrées liées au tourisme. « Aujourd’hui, peut-être 10 000 », avance prudemment Nina Wallet Intalou, la nouvelle ministre chargée du secteur. « En fait, je ne sais pas vraiment. On a plus de chiffres ». Son secrétaire général ne sera pas plus à même de fournir une estimation. Lui préfère se rappeler le festival « au désert », qui attirait chaque année plusieurs milliers de personnes à Essakane, à deux heures de piste de Tombouctou.
Côté économie, difficile d’estimer réellement ce que pouvait représenter le secteur, dont une grande partie était informelle. Les dernières données de l’annuaire statistique du Mali corroborent son estimation. Ils font état de près d’un milliard de francs CFA de recettes touristiques (environ 540 000 euros). Un chiffre que la ministre affirme « largement sous-estimé ».
Insécurité grandissante
Au marché de Bamako, Abdoul Aziz Yacouba est lucide : la sécurité à Tombouctou n’existe pas. « La situation est critique. Il y a des braquages, des vols, tous les jours. Et la rumeur impute ça à des djihadistes encore présents aux alentours. Même la population a peur. Alors, évidemment, les ambassades déconseillent aux touristes de venir ici. »
Sur la carte « Conseils aux voyageurs » éditée par le Quai d’Orsay, Tombouctou est en zone rouge. Ces dernières semaines, l’ambassade de France avait renforcé sa vigilance après des menaces d’enlèvement visant les Occidentaux dans cette ville.
Depuis quelques mois, les attaques revendiquées par des groupes djihadistes se multiplient. Fuyant la présence de la force « Barkhane » au nord, les terroristes s’attaquent aux forces de l’ordre maliennes, dans le centre du pays. Pas une semaine ne s’écoule sans une nouvelle incursion avec, à la clé, son lot de victimes. Le gouvernement lui, promet sans convaincre « une opération militaire dans le centre et dans le nord aussitôt suivi de la réinstallation des autorités étatiques ».
Nina Wallet Intalou préfère se lancer dans un plaidoyer pour l’assouplissement des zones rouges, notamment à Tombouctou et à Mopti. « Pour qu’au moins on ait un tourisme d’affaires qui puisse revenir. » Mais la ministre avoue ne pas avoir de garanties suffisantes pour assurer la sécurité. « Il faudrait que “Barkhane” et la Minusma nous aident à former une sorte de cordon autour de ces villes touristiques. » Au vu de la situation sécuritaire, difficile à mettre en œuvre.
Tout le monde a les yeux rivés sur le sommet Afrique-France qui se profile en janvier 2017. « Là, ça va être deux semaines à fond. Il va falloir prouver que les gens peuvent revenir au Mali. »
Même constat sur le marché artisanal de Bamako. Les vendeurs attendent avec impatience les « Américains grosses têtes ». Comme partout dans ce genre de lieu, les prix sont à la tête du client. « Avec les Américains, on peut vendre un objet quatre ou cinq fois plus cher que son prix normal. Souvent, ils ne discutent même pas », sourit un artisan. Maigre consolation
LEMONDE