La migration et l’asile constituent un défi majeur pour les États européens et africains. Ces questions requièrent un plan d’action global le long des routes migratoires assorti de réponses cohérentes et concertées, des efforts sur le long terme et une responsabilité partagée pour remédier aux causes profondes de la migration irrégulière et aux atteintes aux droits de l’Homme auxquelles les migrants sont confrontés, tout en apportant notre protection à ceux qui en ont besoin et sans compromettre notre soutien à la contribution de la migration régulière bien organisée au développement durable et à la croissance solidaire. La migration irrégulière organisée par les passeurs appelle une réaction ferme et résolue afin de préserver la sécurité et la stabilité dans les pays d’origine, de transit et de destination, ainsi que la vie, la santé et le bien-être des migrants eux-mêmes. L’asile représente une valeur fondamentale pour les pays africains et européens engagés à respecter la Convention de Genève.Déterminés à endiguer la migration irrégulière et à améliorer l’application des règles en matière d’asile, les chefs d’État et de gouvernement d’Allemagne, d’Espagne, de France et d’Italie ainsi que la Haute Représentante/Vice-Présidente de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi que les chefs d’État et de gouvernement du Niger et du Tchad, et le Président du Conseil présidentiel libyen se sont réunis aujourd’hui pour débattre des dernières évolutions concernant la route méditerranée et les routes migratoires qui y mènent en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne.
Pour progresser, ils sont convenus des éléments suivants :
1- Principes fondamentaux :
• Notre approche est conforme au droit international et repose sur le plan d’action adopté au Sommet de La Valette par l’Union européenne et l’Union africaine, qui appelle à une responsabilité partagée entre les pays d’origine, de transit et de destination ;
• La migration est un phénomène transnational qui ne peut pas être abordé par un État seul, qui exige un haut degré de coordination au sein de l’Europe et entre les pays européens et africains, et qui nécessite une réponse de long terme en matière de développement ;
• Notre action est dirigée à l’encontre des réseaux de passeurs et de leur modèle économique que nous avons l’intention de briser afin de limiter les migrations irrégulières vers l’Europe et de protéger les migrants contre les atteintes aux droits de l’Homme et les conditions dégradantes qu’ils subissent.
• Les besoins en matière de protection humanitaire conformes aux règles en matière d’asile et en particulier à la Convention de Genève doivent être pris en compte, en accord avec nos engagements internationaux et européens en matière d’asile.
• Les migrants irréguliers qui ne peuvent prétendre à aucune forme de protection internationale doivent être reconduits dans leur pays d’origine, dans la sécurité, l’ordre et la dignité, de préférence sur une base volontaire, en tenant compte de la législation nationale et dans le respect du droit international. Une migration et une mobilité bien organisées sont mutuellement bénéfiques aux pays d'origine, de transit et de destination.
2- Mesures à prendre :
2-1 Envers les pays d’origine
2-1.1. Les chefs d’Etat et de gouvernement soulignent l’effort financier considérable déployé par l’Union européenne envers les pays d’origine, qui prend notamment la forme du fonds européen de développement et, plus récemment, du fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique, ainsi que son rôle déterminant dans la mise en œuvre du plan d’action conjoint de La Valette et dans sa contribution à la résolution des causes profondes de la migration irrégulière. Il est indispensable que des moyens soient mis à disposition du fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique.
2-1.2. Ils conviennent d’œuvrer ensemble pour tenter de renforcer la coopération avec les pays d’origine afin de s’attaquer aux causes profondes, de prévenir les départs et d’améliorer la capacité à permettre le retour des migrants clandestins dans leur pays d’origine, ainsi que pour permettre une meilleure application des pactes migratoires existants. De nouveaux instruments pour intensifier et faciliter les retours volontaires et la réintégration, en complément de ceux déjà existants au niveau national, européen et international, pourraient être étudiés, tout comme le renforcement de l’intégration socio-économique des migrants rentrant dans leur communauté d’origine. Le partenariat UE-OIM pour l'Afrique de l'Ouest et la Libye adopté dans le cadre du Fonds Fiduciaire d'urgence pour l'Afrique permet d'assurer, tout au long de la route méditerranée centrale, la protection, le retour volontaire et la réintégration des migrants dans leur pays d'origine.
2-1.3. Ils soulignent leur détermination à travailler avec les pays d’origine et les pays de transit afin de mieux coordonner la lutte contre les réseaux de passeurs en s’appuyant sur les instruments communautaires existants et en les renforçant.
2-2 Envers le Niger et le Tchad
2.2-1 L’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, ainsi que l'UE réitèrent leur détermination à endiguer les flux d’immigration irrégulière bien avant qu’ils n’atteignent les côtes méditerranéennes. Elles se félicitent de la coopération du Niger et du Tchad et saluent les résultats déjà obtenus par ces deux pays dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière et du trafic d’êtres humains. Conformément à la Déclaration sur la solidarité et la sécurité adoptée à Rome le 6 juillet 2017, et conjointement avec l’UE, l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie ont l’intention de continuer de soutenir ces pays à développer leur capacité dans ce domaine :
- En appuyant la présence accrue de structures gouvernementales au nord du Niger et du Tchad, notamment en leur permettant d’être mieux à même de secourir les individus en danger dans le désert.
- En renforçant les programmes existants visant à améliorer le contrôle de leurs frontières, notamment au Nord avec la Libye. L’exécution en temps opportun du projet GAR-SI ainsi qu’un soutien d’EUCAP Sahel Niger permettront d'appuyer cet effort.
- En renforçant les mesures de sécurité et de lutte contre la traite des êtres humains, les trafics de stupéfiants et d’armes, notamment à travers l'appui à la force conjointe du G-5 Sahel. Les forces déjà déployées dans la zone devraient aussi contribuer dans les domaines de la surveillance, du renseignement et de la protection.
- En soutenant la mission EUCAP SAHEL Niger avec les moyens et le personnel suffisants pour la mise en œuvre de son mandat de soutien, par le biais du conseil et de la formation. Le renforcement rapide d’EUCAP Sahel Niger est nécessaire pour soutenir l'action des forces de sécurité et de défense nigériennes sur l'ensemble du territoire et en particulier dans les espaces frontaliers, en complément de la gestion des flux migratoires traversant la frontière méridionale du pays. L’adaptation des activités d'EUCAP lors de la révision de son mandat doit être considérée pour faire face aux nouveaux défis, notamment la gestion des flux migratoires dans les zones frontalières.
- En accélérant la régionalisation des actions européennes de sécurité et de défense commune au Sahel, ainsi que le renforcement de la coopération entre EUCAP Sahel Mali, EUCAP Sahel Niger et EUBAM Libye afin de renforcer les capacités nationales pour lutter contre la migration irrégulière et les trafics.
- En soutenant la résilience des communautés d’accueil et en offrant des modèles de développement économique alternatifs.
- En renforçant la mise en œuvre du Plan Régional de Protection et Développement volet Afrique du Nord contribuant ainsi au renforcement des capacités du gouvernement du Niger.
- En soutenant la mise en œuvre du Plan national de lutte contre la migration irrégulière présenté par le Niger au Sommet de la Valette de novembre 2015, dans ses deux volets, à savoir le développement économique et social et le renforcement des capacités des Forces de défense et de sécurité.
2.2-2. Elles comptent également soutenir le Niger et le Tchad dans le domaine judiciaire, y compris en renforçant les capacités de l’Équipe conjointe d’investigation (ECI) basée actuellement à Niamey, en coopérant avec le Niger et le Tchad pour améliorer la surveillance des réseaux financiers utilisés par les passeurs et les démanteler, en lançant des programmes de formation dans le domaine de la procédure pénale et en poursuivant le soutien actuel aux ministères de la justice nigérien et tchadien.
2.2-3. Les chefs d’Etat et de gouvernement et la Haute Représentante sont déterminés à soutenir les personnes qui sauvent des vies sur les routes traversant le désert du Sahara, en particulier l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et les unités de protection civile nigériennes. Ils s’efforceront d’appuyer le développement des activités de recherche et de sauvetage dans la région.
Ils reconnaissent l’importance des retours volontaires assistés organisés par l’OIM. Ils continueront d’appuyer les activités conduites au titre du Partenariat UE-IOM pour l'Afrique de l'Ouest et la Libye adopté dans le cadre du Fonds Fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, notamment les centres de protection créés tout au long de la route.
Ils reconnaissent la nécessité, une fois la migration irrégulière organisée par les passeurs réduite, d’organiser la réinstallation des personnes ayant besoin d'une protection internationale, qui sont particulièrement vulnérables. Tout en soulignant l’importance de la réinstallation depuis les autres pays de la route méditerranée centrale et la nécessité de poursuivre la réinstallation depuis les autres routes migratoires, en coopération étroite avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et conformément aux priorités de l’UE, l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie sont convenues de mener des missions de protection au Niger et au Tchad, en étroite concertation et en accord avec leurs gouvernements (voir le non papier joint) en vue de la réinstallation de réfugiés. La lutte contre les trafics d’êtres humains et le renforcement des possibilités de réinstallation devraient aller de pair. Dans le cadre des engagements européens, le nombre de réinstallations sur la route migratoire de la Méditerranée centrale sera défini par chaque Etat membre participant.
2.2-4. L’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et la HR/VP sont convenues d’une mission conjointe au Niger et au Tchad pour examiner les conditions de mise en œuvre des décisions susmentionnées, ainsi que pour identifier tous autres types de coopération pratique qui permettraient à ces pays de relever le défi de la migration irrégulière.
2.2-5. Elles reconnaissent qu’il est nécessaire que l’Union européenne (en particulier à travers le Fonds européen de Développement) et les Etats membres augmentent leur aide au Niger et au Tchad.
2.3. Envers la Libye
2.3-1. Les chefs d’État et de gouvernement et la HR/VP se sont mis d’accord sur une évaluation commune des migrations irrégulières via la Libye, étant entendu qu’aucune solution durable ne pourra être mise en œuvre en l’absence d’une transition politique inclusive en Libye et de la stabilisation du pays. Ils réaffirment leur soutien à la mise en œuvre de l’accord politique inter-libyen et au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Ghassan Salamé. Ils se félicitent des initiatives telles que la réunion de la Celle-Saint-Cloud qui viennent appuyer son action.
2.3-2. En partenariat avec l’Union européenne, l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie continueront d’améliorer la coopération économique avec les communautés locales se trouvant sur les routes migratoires en Libye, afin de créer des sources de revenu alternatives, d’accroître leur résilience et de les rendre indépendantes de la traite des êtres humains. À cet égard, le projet italien de coopérer avec 14 communautés locales sur les routes migratoires en Libye est très opportun, ainsi que les projets financés par le fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique. La lutte contre la traite des êtres humains et la mise en place des conditions pour changer le modèle économique des communautés locales en Libye de manière à le rendre soutenable aux plans humanitaire et social sont des objectifs cruciaux de notre stratégie commune. L’Allemagne, l’Espagne et la France sont prêtes à soutenir cette approche.
2.3-3. Les chefs d’État et de gouvernement et la HR/VP soulignent qu’il est aussi important de renforcer les capacités de contrôle des frontières au sud de la Libye et d’améliorer la coopération avec le Niger, le Tchad et d’autres pays africains tels que le Mali. À cet égard, ils soutiennent le projet mené par l’Italie en coopération avec la Commission européenne pour renforcer la gestion intégrée des frontières et des migrations en Libye. En outre, ils soutiennent la mise en œuvre de l’Accord de paix signé à Rome le 31 mars 2017 par les tribus du sud de la Libye, qui constitue un outil supplémentaire pour lutter contre les trafics illégaux dans la région.
2.3-4. Les efforts visant à décourager les migrations irrégulières en mer doivent s’accompagner de mesures destinées à améliorer la protection des droits de l’Homme et des conditions de vie des migrants en Libye. L’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, ainsi que l’Union européenne, apporteront un soutien accru aux précieux travaux du HCR et de l’OIM en Libye afin de mettre en place une infrastructure humanitaire pour les réfugiés et les migrants. Elles encouragent le Gouvernement d’entente nationale à intensifier sa coopération avec le HCR et l’OIM en Libye, pour améliorer, en respectant des normes strictes, la situation des migrants dans le pays, en particulier ceux qui sont secourus par les garde-côtes libyens. Cela suppose de mettre en place des structures répondant aux normes humanitaires adaptées, d’encourager intensivement les retours volontaires de migrants dans leur pays d’origine, et d’organiser la réinstallation de ceux qui ont besoin de protection.
2.3-5. Les chefs d’État et de gouvernement et la HR/VP encouragent la Libye, le Niger, le HCR et l’OIM à poursuivre la prise en charge des personnes les plus vulnérables pouvant bénéficier d’opportunités de réinstallation ou d’une aide au retour volontaire.
2.3-6 Les chefs d’État et de gouvernement se félicitent des efforts déployés par le Gouvernement d’entente nationale pour contrôler ses eaux territoriales, renforçant ainsi la protection des vies humaines et affaiblissant le modèle économique des réseaux de traite des êtres humains. Ils reconnaissent qu’il est important d’équiper et de former de manière adéquate les garde-côtes libyens, en faisant porter l’accent sur la protection des droits de l’Homme.
La récente prolongation du mandat de EUNAVFORMED Sophia offre des garanties de l’engagement constant de l’UE pour améliorer l’appréciation de la situation et la sûreté maritime en Méditerranée centrale. EUNAVFORMED Sophia devra continuer à bénéficier du soutien des Etats membres pour la mise en œuvre de son mandat.
2.3-7 La mission EUBAM Libye a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2018 en vue de de continuer et approfondir dans la mesure du possible l'assistance aux autorités libyennes, en particulier dans le domaine de la police, gestion de frontières et justice criminelle.
2.3-8 L’Union européenne poursuivra la mise en œuvre d'une approche politique cohérente et intégrée auprès des pays voisins du sud de la Libye, en vue de renforcer les initiatives existantes dans le domaine de la gestion des frontières et des flux migratoires, en mobilisant tous les instruments à sa disposition (diplomatie, développement et sécurité). L'UE a accru ses efforts pour soutenir la gestion des migrations par les autorités libyennes, en particulier à ses frontières sud.
2.4. En mer et au sein de l’UE
2.4-1. Le sauvetage en mer demeure une priorité. L’Allemagne, la France, l’Espagne et la HR/VP se félicitent des mesures prises par l’Italie, État membre en première ligne sur la route de la Méditerranée centrale, dans le plein respect du droit international. Le code de conduite en matière d’opérations de sauvetage en mer constitue une avancée bénéfique permettant d’améliorer la coordination et l’efficacité des sauvetages. Les chefs d’État et de gouvernement appellent toutes les ONG opérant dans la zone à signer le code de conduite et à s’y conformer.
2.4-2. L’Allemagne, l’Espagne et la France sont résolues à continuer de soutenir l’Italie, en particulier en intensifiant les relocalisations et en fournissant le personnel nécessaire à Frontex et au bureau européen d’appui en matière d’asile. L’Allemagne, l’Espagne et la France sont disponibles pour envoyer en Italie des équipes d’examen afin d’accélérer le processus de relocalisation des personnes ayant un besoin manifeste de protection internationale.
2.4-3 L’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie et la HR/VP se félicitent de la coopération et des efforts déployés par le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie dans la lutte contre les réseaux de passeurs et la gestion des flux migratoires en provenance d’Afrique sub-saharienne. Elles encourageront le renforcement de la coopération financière, technique et matérielle de l’UE avec ces pays de transit des migrations irrégulières en provenance d’Afrique sub-saharienne pour leur permettre de mieux protéger leurs frontières et de mieux lutter contre les passeurs.
2.4-4. Les chefs d’État et de gouvernement demeurent attachés à l’établissement d’un nouveau régime d’asile européen commun qui doit trouver l’équilibre entre responsabilité et solidarité avec les États membres qui gèrent une frontière extérieure et assurer la résilience aux futures crises. À cette fin, les conclusions du Conseil européen de juin 2017 doivent être mises en œuvre dès que possible. Dans cet esprit, les chefs d’État et de gouvernement insisteront pour que tous les États membres contribuent de manière adéquate à la politique d’asile.
2.5. Équipe opérationnelle pour la mise en œuvre
Pour assurer la mise en œuvre des actions communes arrêtées dans la présente déclaration, l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie décident de créer une équipe opérationnelle de coordination, en associant leurs partenaires africains notamment la Libye, le Niger, le Tchad et le Mali. Cette équipe opérationnelle travaillera en étroite concertation avec la HR/VP et avec le Commissaire européen pour la migration.
Paris, le 28 Août 2017