Depuis mars, la crise sanitaire a entraîné le gel de certaines demandes de visa pour la France, dont celles émanant des familles d'étrangers résidant légalement dans l'Hexagone. Les intéressés jugent cette mesure "discriminatoire".
En France depuis 17 ans, Mustapha Belhadj ne s'était jamais vu comme "différent" dans ce pays. Cet Algérien de 50 ans en situation régulière, amateur de course à pied, est investi dans des associations et travaille comme conseiller auprès des éleveurs de volaille. "Dans mon esprit, je ne me considère même pas comme un étranger", dit ce résident d'Ancenis, en Loire-Atlantique.
Ces derniers mois, pourtant, Mustapha Belhadj a constaté une différence de traitement. Marié depuis avril 2019 avec une Algérienne, il ne parvient pas, depuis août, à faire venir en France son épouse. Cette dernière est dans l'incapacité d'obtenir un visa auprès du consulat français malgré la validation de leur demande de regroupement familial à l'issue de l'instruction de leur dossier.
Crise sanitaire due au Covid-19 oblige, certaines procédures de demandes de visas pour la France venant de zones où la circulation du virus est considérée comme active ont été bloquées en mars. Mais depuis l'été, à la faveur de la réouverture des frontières, quelques-unes ont pu reprendre, concernant des catégories de personnes précises, dont les conjoints et enfants de ressortissants français, les étudiants, les enseignants et certains salariés étrangers, comme les saisonniers.
Les demandes déposées par les familles de résidents étrangers installés légalement en France restent, elles, bloquées par les administrations. Des centaines de personnes sont actuellement dans ce cas.
"Mon mari n'a pas vu son fils depuis sa naissance, il y a bientôt 2 ans"
Pour Mustapha Belhadj, c'est la douche froide. "C'est très pesant de ne pas avoir sa moitié à ses côtés. Pour moi, c'est de la discrimination. On travaille, on est contribuables : on devrait avoir les mêmes droits que toute personne vivant sur le sol français. Alors, pourquoi pas nous?", enrage-t-il.
Dans le flou, lui et quelques autres personnes dans la même situation rencontrées sur les réseaux sociaux se sont constitués en collectif. Sur le groupe Facebook "Regroupement Familial Conjoints de Résidents", suivi par près de 7 000 personnes, certains internautes expliquent sombrer dans le désespoir face à la lenteur et à l'opacité du processus. "Moi je commence à perdre espoir de retrouver mon mari qui n'a pas vu son fils depuis sa naissance, mon fils va avoir bientôt 2 ans", écrit l'une d'elles, de nationalité algérienne.
Si la plupart de ces gels de visa concernent des Algériens, plusieurs autres nationalités, comme des Marocains, des Tunisiens, des Sénégalais, des Maliens, des Ivoiriens, entre autres, sont aussi touchés par ces blocages.
"Atteinte disproportionnée à plusieurs droits fondamentaux"
La situation apparaît d'autant plus intolérable pour certains d'entre eux que la pandémie de Covid-19 semble avoir justifié une lenteur qui était déjà bien présente, jugent-ils. C'est le cas de Mohamed. Ce Marocain de 31 ans, salarié en CDI en tant qu'expert comptable en région parisienne, s'est marié dans son pays d'origine en 2017. "Je remplis les conditions matérielles pour accueillir ma femme et notre demande de regroupement familial a été autorisée en 2019", expose-t-il. Avant la pandémie de Covid-19, donc. Depuis, rien.
"Tous les jours, je vois des Français qui obtiennent des visas alors que pour nous, rien ne bouge. Si l'idée est de se protéger du Covid, alors pourquoi délivrer des visas aux familles de Français?", lance-t-il. "Ma femme craque, elle me dit : 'J'ai l'impression qu'on ne va jamais être réunis'. Et moi, je ne dors pas. Psychologiquement, je vais mal."
Le 16 décembre, neuf associations, dont la Ligue des droits de l'Homme, se sont emparées de cette affaire et ont saisi le juge des référés du Conseil d'État. "Cette décision (...) porte une atteinte disproportionnée à plusieurs droits fondamentaux en particulier, le droit d’asile, le droit de vivre en famille et le droit au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant", ont estimé les associations dans un communiqué, dénonçant le "mur des ambassades et consulats".
Mohamed, lui aussi, a saisi le juge des référés dans l'espoir de débloquer sa situation. "Nous avons essuyé un refus, comme beaucoup d'autres. Notre situation ne représente pas une urgence, selon le juge", regrette-t-il.
Contacté par InfoMigrants, l'Ofiis'est contenté de rappeler que la liste des priorités concernant les bénéficiaires de visas était déterminée par le centre interministériel de crise du ministère de l'Intérieur et que la situation sanitaire ralentissait les procédures, avec notamment les fermetures de certains consulats.
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