La MINUSMA ferme ses derniers camps et quitte le Mali Des manœuvres diplomatiques au Mali

Interview du Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao: "Je pense que beaucoup de choses ont été faites pour pacifier la région, pour protéger les populations et pour renforcer la cohésion sociale"

Par kibaru

Mikado FM
Bonjour M. Mohamed El-Amine SOUEF. Vous êtes le Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao. Pourriez-vous nous faire une mise à jour sur la situation sécuritaire et socio-politique dans la région de Gao ?
Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

Il faut savoir que le bureau de Gao, à l'instar des autres bureaux régionaux, essaie de représenter la Mission au niveau local. Il y a le Mandat, il y a aussi l'Accord de paix qui a été signé en 2015. Vulgariser cet Accord et faire en sorte que le Mandat confié à la MINUSMA par le Conseil de sécurité soit exécuté dans de très bonnes conditions. Gao certainement n'est pas Kidal, Gao n'est pas Mopti car, c'est la zone des trois frontières. Ce qui arrive au Niger, arrive au Mali. Ce qui arrive au Burkina, arrive au Mali. Autrement dit, par exemple, s'il y a des terroristes qui commettent des actes au Niger et qu'ils veulent prendre la fuite, ils viennent dans la région de Gao. Même chose pour ceux qui sont au Burkina Faso. Donc, cela fait qu'il y a beaucoup d'actes qui sont perpétrés dans notre région, qui n'ont pas été comptabilisés ou bien appréhendés avant. Et du coup, nous avons beaucoup de personnes déplacées. Nous avons beaucoup de réfugiés qui sont venus du Niger et qui sont venus du Burkina Faso. Cela augmente les risques d'insécurité.

La Mission ou le Bureau régional, essaie de prendre en compte tous ces éléments, sachant pertinemment que le Bureau occupe une position stratégique, tout comme Gao occupe une position stratégique. On est lié à travers Labezzanga avec le Niger du côté nord, on est lié à l'Algérie de l’autre côté vers Tombouctou. Cela donne une dimension vraiment internationale, c’est à dire qu’il faut avoir un œil partout.

Sur le plan local et sur la situation politique. A Gao, les gens ne sont pas trop passionnés. Les gens essaient de prendre les choses à leur juste valeur. Un certain nombre de dispositions ont été prises avec l'appui des différents acteurs, que ce soient les mouvements mais aussi et surtout le gouverneur et les autorités locales, en coordination avec la MINUSMA. Ce qui fait qu'il n'y a pas beaucoup de tensions ici au niveau politique. Au niveau socioéconomique, si vous regardez un peu l'histoire de Gao en 2014, 2015, voire 2016, il y avait beaucoup de tensions.

Mais nous avons réussi, dans le cadre de nos activités, dans le cadre de la cohésion sociale, à mettre en place des structures qui travaillent en étroite collaboration avec le cadre de concertation des notables, des oulémas, de la société civile et cela a permis de réduire les tensions. Aujourd'hui sur le plan communautaire, je pense que la situation est plus ou moins maîtrisée.

Sur le plan sécuritaire, c'est dommage, nous avons noté une recrudescence de l'insécurité, que ce soit à Tessit, que ce soit à Gabéro, que ce soit à Ouatagouna, où il y a eu des carnages. Les autorités travaillent en étroite collaboration. La MINUSMA a multiplié les patrouilles. La MINUSMA a établi des bases temporaires, que ce soit à Tessit, que ce soit à Ouatagouna ou bien récemment à Talataye, pour prévenir ces actes terroristes ou de banditisme qui font en sorte que les populations se déplacent.

Je dirais que la situation est plus ou moins maîtrisée. Cela est dû à la franche collaboration entre les autorités au niveau de la région et la MINUSMA.

Mikado FM
Le mandat actuel de la MINUSMA arrive presque à son terme. Quelles sont les principales réussites dans sa mise en œuvre ?

Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

Beaucoup de choses parce que nous avions comme mission principale la protection des civils. Certaines personnes croient que la protection civile, il faut positionner des gendarmes et des policiers devant chaque maison ou dans chaque bureau. Ce n'est pas cela. Par exemple, pour vous Madame, j'ai eu l'honneur, le privilège de voyager avec vous, pour aller dans une des localités reculées, à Afa-Lawlaw. Là-bas, nous sommes allés remettre aux populations de l'eau, un projet réalisé par la MINUSMA. C'est un forage équipé, qui permet aux éleveurs et aux femmes de développer des activités génératrices de revenus. Dans le cadre de la protection des civils, c'est important parce que les femmes, au lieu de marcher des kilomètres pour aller chercher de l'eau, nous avons amené l'eau dans la localité. Cela contribue à la protection des civils, mais aussi au retour de l'autorité de l'Etat, la restauration de l'autorité de l'Etat. Nous avons innové, nous avons établi ce que nous appelons les colonnes foraines. Nous sommes partis sur le terrain avec le gouverneur, avec les préfets, les sous-préfets, pour y voir quels sont les besoins et pour permettre aux autorités, autrement dit les maires et les sous-préfets, de revenir. Nous avons réhabilité un certain nombre d'infrastructures pour permettre aux autorités de revenir.

Dans ce même cadre des colonnes foraines, il y a les audiences foraines. Aujourd'hui, nous nous déplaçons avec les juges, nous nous déplaçons avec le procureur pour aller dans les milieux les plus reculés, nous sommes allés à Bourem, nous sommes allés à Ansongo, nous sommes allés à Tessit pour organiser des audiences foraines. Tant qu’on ne lutte pas contre l'impunité, il y aura toujours le désordre et il y aura toujours de l'insécurité.

Je pense que beaucoup de choses ont été faites pour pacifier la région, pour protéger les populations et pour renforcer la cohésion sociale, cette entente entre les différentes communautés. Avant quand un Arabe faisait quelque chose, la communauté se positionnait automatiquement derrière cette personne. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas, c'est le droit, rien que le droit.

Mikado FM

Toutes ces actions que vous venez de mentionner ont pour objectif bien sûr, le retour de la paix, de la réconciliation dans la région de Gao. Vous pouvez faire l'état des lieux du processus de paix et de réconciliation.

 

Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

Je pense que le processus, comme je l'ai dit, nous, en tant que MINUSMA, nous avons le mandat et nous avons l'Accord d'Alger. Je pense que la région de Gao a toujours été pionnière. Les premiers actes qui ont été posés, ils l’ont été ici à Gao. Je pense au MOC, je pense aux patrouilles mixtes, je pense à l'installation des autorités intérimaires, je pense au DDR, je pense aux forces reconstituées. Donc tout cela, c'est Gao qui a été pionnier et Gao est conçu comme étant une sorte de laboratoire. Je pense que beaucoup de choses ont été faites. Tout cela, c'est pour ramener la paix, la sécurité, la stabilité, la quiétude, pour qu'il y ait un développement durable dans la région.

 

Mikado FM

Dans certaines localités du Mali, on sait qu'il y a des quiproquos entre la population et la MINUSMA. Qu'en est-il à Gao ? Quelle est votre collaboration, la relation que vous entretenez avec les autorités et les communautés locales ?

 

Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

La MINUSMA, ce n'est pas X ou Y. La MINUSMA, c'est tout le monde car elle représente les Nations unies. Le Mali est une partie intégrante des Nations unies depuis les années 60, juste après l'indépendance et le Mali a toujours joué un rôle important dans le cadre de la paix et de la sécurité dans le monde. Aujourd'hui, nous disons aux frères et sœurs maliens qui sont ici, que la MINUSMA, ce n’est pas Monsieur X ou Monsieur Y qui est venu de tel pays. La MINUSMA, c'est nous tous. À l'intérieur de cette organisation, nous avons des Maliens qui travaillent, des contractuels, nous avons des compatriotes, des fonctionnaires réguliers qui y travaillent. Nous avons des prestataires qui viennent tous les jours. Notre réussite, c'est leur réussite. On ne peut qu’établir des relations de confiance, de partenariat gagnant-gagnant entre les communautés, les prestataires et la MINUSMA, entre guillemets, que ce soient les contingents, que ce soient les fonctionnaires.

 

Donc, nous avons des relations qui sont au beau fixe. J'ai été très impressionné parce qu'il y a trois semaines, nous avons, en présence de Monsieur le Gouverneur de la région et des autorités locales, remis à la jeunesse de la région de Gao, du matériel, des équipements, des projets que nous avons réalisés à leur profit. Nous savons que les jeunes sont les piliers de la paix et de la réconciliation. Ici, surtout à Gao, les jeunes et les femmes ont joué pendant la résistance un rôle important qu'il faut toujours saluer. À cet effet, nous avons entendu des discours émanent de jeunes qui ne cachent pas en général leur colère. Ils ont exprimé toute leur gratitude et ont salué et rendu hommage à la MINUSMA et à ses actions. Ils ont parlé de l'engagement personnel du Chef de la MINUSMA, Monsieur El-Ghassim WANE qui, depuis son arrivée il y a moins d'un an, a visité Gao plus de quatre fois. Il est allé à Ménaka plus de trois fois. Il est allé à Ansongo deux fois. Il est à Kidal, il est partout. Ici, à Gao, les gens prennent note. Récemment, il a amené une délégation des ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité pour venir s’imprégner, vivre la réalité et échanger avec les autorités locales, la société civile. Quelqu'un qui est à Bamako ou à New-York, ne peut ressentir la même chose que quelqu'un qui est ici à Gao. Je pense que c'est cela la cerise sur le gâteau par rapport à nos relations avec les communautés d’ici.

 

Mikado FM

Le projet dont vous parliez tout à l'heure, a coûté à la MINUSMA au moins plus de 40 millions de FCFA. Et vous êtes régulièrement en contact avec la population de Gao. Quelle est sa perception de la Mission des Nations unies ?

 

Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

Quand je regarde ou entends ce que les gens disent, je ne saurais prendre pour argent comptant ce qui est publié à travers les réseaux sociaux mais je vais à la rencontre des populations. Tous les samedis et dimanches, je suis au marché, à l'hôpital, j'entends les gens. Je les rencontre et discute avec eux. Nous organisons des activités qui permettent aux jeunes de venir échanger avec le personnel de la MINUSMA. Nous organisons des compétitions sportives. Souvent, les jeunes de Gao viennent jouer contre nos contingents. S'il n'y avait pas ces liens et ces relations de confiance déjà établies, cela n'allait pas se produire. Partout où nous allons, nous avons le soutien des autorités et des populations. On ne nous a jamais interdit de nous rendre dans une localité quelconque pour mener notre mission. On le fait en partenariat, en concertation avec les autorités, mais aussi avec l'appui des différentes franges de la société civile.

Mikado FM

Que dire des réalisations de la Mission dans la région à l'approche de la fin de son Mandat. Avez-vous des exemples concrets, de projets qui vous ont vraiment marqué personnellement ?

Mohamed El-Amine SOUEF, Chef du Bureau régional de la MINUSMA à Gao

Bien sûr qu’il y en a. Mais, une chose est à clarifier parce que les gens confondent la MINUSMA qui est une Mission de maintien de la paix et le PNUD ou encore l'Unicef, ou ONU-Habitat. Ce sont des agences qui sont chargées du développement. Nous, nous sommes une mission de la paix. Pour faire la paix, il y a les Maliens en première ligne c’est-à-dire, les différentes organisations de la société civile, les différents acteurs politiques, les partis politiques. C’est eux qui font la paix et nous venons en appui dans ce sens. Nous avons bâti des relations d'amitié et de fraternité avec les populations que nous devons préserver. C'est pourquoi le chef de la mission, El-Ghassim WANE, qui s'est rendu compte que dans les régions du Nord, les gens sont confrontés à des problèmes d'eau, a misé sur la réalisation de beaucoup de projets d’adduction d’eau un peu partout. Nous sommes allés récemment à Ansongo où des projets d’une valeur de deux milliards de Francs CFA ont été réalisés. Le montant des projets en cours de réalisation tourne autour de la même somme. Ce sont des projets réalisés ça et là. Comme je l'ai dit, nous n'allons pas nous substituer aux autorités, encore moins aux agences de développement des Nations unies. Nous essayons d'apporter notre pierre à l’édifice. Nous avons beaucoup misé sur : l’eau, l'autonomisation des femmes et des jeunes, la sécurisation de la ville de Gao. L’un de nos objectifs, c'est de pouvoir réhabiliter le bac de Léléhoy parce qu’il contribuera beaucoup au développement de la région, mais aussi à la sécurité des populations.

 

Mikado FM

Un dernier mot à la population de Gao et à vos collègues de la MINUSMA ?

 

Mohamed Souef, Chef de Bureau de la MINUSMA à Gao

À nos collègues de la MINUSMA, je veux dire qu’il faut être patient, vigilant et persévérant. Il faut savoir que si nous arrivons à apporter quelque chose pour la paix ici dans la région, si nous avons la paix au Nord, nous avons la paix au Mali. Et le Mali a toujours été un pays pionnier, un pays phare. Donc s'il y a la paix au Mali, il y aura la paix au Burkina, en Côte d'Ivoire et il y aura la paix en Afrique. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour nous-mêmes. Nous ne le faisons pas seulement pour les Maliens, mais nous le faisons pour nous-mêmes. Aux populations, je dirais que nous sommes des frères, nous sommes des partenaires. On ne peut pas être prophète chez soi. Nous avons des Maliens bien instruits qui jouent un rôle important au Congo, au Soudan du Sud, au Kosovo pour la paix et la sécurité de ces pays et du monde. Nous sommes là pour eux et nous sommes à leur écoute. Les bureaux de la MINUSMA sont ouverts à tout moment. Jour et nuit, ils sont toujours les bienvenus. Nous sommes à l'écoute et ce que nous pouvons faire, nous le ferons. Ce que nous ne pouvons pas faire directement ici, nous ferons le plaidoyer au profit des populations.