Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le guide spirituel de l’association musulmane Ançar Dine non moins président du Groupement des leaders spirituels musulmans, Chérif Ousmane Madani Haïdara plaide pour la mise en œuvre rapide de l’accord de paix pour davantage isoler les groupes terroristes. Il nous parle de la tolérance religieuse et de la nécessité de vulgariser le véritable message apporté par le prophète Mohamed (PSL) pour l’émergence d’une société basée sur l’amour, le pardon et la justice sociale. Il exhorte les autorités maliennes à adopter une loi pouvant régir la pratique des prêches afin de mieux l’organiser. Enfin, il se prononce sur les récents drames de Minah et invite la Oumah islamique à s’impliquer dans l’organisation de ce pilier important de l’islam.
Kibaruu.ml : Malgré la signature de l’accord de paix, des problèmes persistent rendant la mise en œuvre souvent difficile. Quelle lecture faites-vous de cette situation quand on sait que vous êtes un acteur clé pour le retour de la paix ?
Chérif Ousmane Madani Haïdara : Je rends grâce à Dieu et à son prophète (PSL). Le Mali est « un et indivisible » et nous prions Dieu pour qu’il en soit ainsi. Les dignitaires religieux et la société civile se sont mobilisés non seulement au Mali mais aussi en Europe pour porter le message de paix et de justice auquel notre population reste profondément attachée. Nous avons démontré à travers la délégation homogène ayant en son sein toutes les communautés du pays et les confessions religieuses qu’il n’y a pas de problème ethnique encore moins religieux au Mali. Nous avons nourri un immense espoir lorsque l’accord de paix qui n’a pas, faut-il le rappeler, fait l’unanimité au sein de la population a été signé par les différents groupes armés à l’issue des pourparlers d’Alger. Mais nous, les composantes religieuses du pays, estimons que cet accord est le moindre mal qui permettra à notre pays d’asseoir son intégrité territoriale. Toutefois, malgré la signature de l’accord, des frictions et quelques divergences de vues ont souvent refait surface compromettant parfois la mise en application des dispositions de ce document. Nous avons approché le chef de l’Etat afin qu’il s’implique davantage pour que l’accord soit sauvé. Nous avons même eu des rencontres avec la Commission de l’Union européenne pour l’exhorter à nous aider dans la mise en œuvre rapide de l’accord. Ce document a besoin du concours de tous y compris les partenaires et l’ensemble des Maliens. Nous devrons tous nous convaincre que l’application de son contenu permettra d’isoler les ennemis de la paix. Notamment les groupes qui s’activent actuellement et qui prétendent vouloir tout remettre en cause. Enfin, l’intégrité territoriale du pays ne peut être effective qu’une fois l’accord mis en œuvre.
Kibaruu.ml : On assiste à l’émergence de groupes extrémistes qui prétendent instaurer la Charia. Cette démarche va à l’encontre de la tolérance religieuse que vous prôniez et qui est propre à l’écrasante majorité des Maliens. Quel message avez-vous à l’endroit des tenants d’une telle idéologie fanatique ?
Ousmane Madani Haïdara : La pratique de la religion musulmane est unique au Mali. Le port du voile, la construction des mosquées, l’utilisation des cinq piliers de l’islam ne nous ont pas été imposés sous la menace des armes. Ces principes sont scrupuleusement respectés au Mali depuis des lustres. Pour la petite histoire, ce sont des commerçants maliens en déplacement au Maroc depuis plusieurs siècles qui ont introduit l’islam dans notre pays. C’est pour vous dire que nos mères, nos épouses et nos filles ont accepté par exemple le port du voile par vocation. Ainsi, ceux qui disent vouloir « islamiser » le Mali à travers la charia qu’ils acceptent de déposer les armes et qu’ils approchent les érudits pour engager un débat autour de la question. Ce n’est pas par la violence encore moins sur les dépouilles humaines que l’on enseigne le message divin. Les tenants d’une idéologie fanatique n’ont pas encore dévoilé leur agenda caché. Sinon rien ne justifie tant de tragédies de leur part. Puisqu’ils disent instaurer la charia. Du vivant du prophète Mohamed (PSL) en passant par ses quatre califes, entre quatre et six personnes ont eu les mains coupées pour avoir volé. Ces personnes ont été jugées et reconnues coupables à l’issue d’une enquête rigoureuse. Aussi, les cadis (juges) se sont employés à connaitre les raisons qui ont motivé ce vol ou si la personne mise en cause est sainte d’esprit ou encore si elle n’est pas affamée. La faim peut pousser une personne à voler. Chaque fois que les juges ont été opposés à une situation pareille, le coupable a toujours bénéficié d’une circonstance atténuante. Sous le règne du calife Omar, il y a eu une grande famine. Toutes les personnes qui ont été drainées devant lui ont été finalement élargies. L’islam n’est pas une religion d’obscurantiste. C’est une religion éclairée et clairvoyante qui a toujours souci de l’autre, qui cherche à le préserver et non à le nuire. C’est la religion qui pardonne même à ceux qui prétendent ternir son image.
Les terroristes qui disent défendre l’islam sont de par leurs actes à l’encontre des préceptes de la religion que Mohamed (PSL) nous a légués. Au nord du Mali, ils ont démoli des familles, certaines ont été contraintes de quitter leurs villages ou même leur pays. Des jeunes filles ont été marquées à vie, des vies ont été brisées, des personnes ont été tuées au motif qu’elles ont volé. Ceux qui brandissent les armes sont venus d’ailleurs. Pourquoi ils n’ont pas essayé d’imposer la charia dans leur pays. Nous ne voulons pas de cet islam violent et funeste aux ordres des armes à feu…
Kibaruu.ml : Vous prônez la tolérance religieuse face à la recrudescence des actes cruels que certains disent revendiquer au nom de la religion musulmane, ne pensez-vous pas qu’il serait important d’adopter des lois pour une bonne régulation des prêches ?
Ousmane Madani Haïdara : Je suis d’accord avec vous. Malheureusement, au Mali, il n’y a pas encore une telle loi pour mieux organiser les prêches. Il y a certains individus qui deviennent prêcheurs parce qu’ils veulent apporter le message de Dieu, faire comprendre la religion au plus grand nombre de fidèles. Alors que d’autres font des prêches pour se faire de l’argent. Pire, certains prêcheurs sont instrumentalisés pour insulter ou s’attaquer à d’honnêtes personnes. C’est vous dire toutes les difficultés que nous rencontrons pour organiser ce secteur. Nous avons, maintes fois, attiré l’attention des autorités sur cette question. Sans succès. Lors du récent congrès du Groupement des leaders spirituels musulmans, nous avons échangé avec le premier ministre Modibo Kéïta. Nous comptons au Mali deux principaux courants religieux. Il y a les sunnites et les soufis. Il n’y a pas de problèmes religieux entre nous. Nous avons des rapports très étroits. Chacun défend son courant sans porter atteinte à l’autre. Nous pouvons avoir parfois des divergences de vues qui au contraire n’entament en rien notre foi à Dieu et la pratique de notre religion. Il n’y a jamais eu de problèmes religieux entre nous. Mais l’égocentrisme et la méchanceté font que certains ne peuvent pas s’entendre et vous conviendrez avec moi que ces traits de caractère n’ont rien à voir avec l’islam. Ce sont des problèmes personnels.
Kibaruu.ml : Le récent pèlerinage à la Mecque a été endeuillé par la mort de milliers de personnes dont plus de 300 Maliens à la suite, dit-on, d’une bousculade. N’est-ce pas une situation inquiétante pour l’accomplissement du 5ème pilier de l’islam ?
Ousmane Madani Haïdara : Le drame survenu en Arabie Saoudite nous incite à quel que niveau que ce soit à une certaine réflexion. C’est ce pays qui abrite le Hadj et l’on sait qu’aujourd’hui, le monde est devenu un village planétaire en raison des progrès scientifiques et techniques. L’Arabie Saoudite, à elle seule, ne peut plus organiser le pèlerinage. Ce pays a besoin de l’implication et du concours de chacun des pays participants. Il nous a été dit que des pèlerins ont trouvé la mort des suites d’une bousculade parce que deux groupes se sont rencontrés quand l’un avait fini sa lapidation alors que l’autre voulait s’y rendre. Je crois savoir qu’une fois ce rituel accompli, on n’a plus la possibilité de rebrousser chemin, on continue. Par ailleurs, il se trouve que tous les pèlerins n’ont pas trouvé la mort lors de la bousculade, certains ont simplement été privés d’air au moment de l’incident. En tout cas, cela suscite une certaine interrogation de notre part. L’Arabie Saoudite est dans une région où les attaques terroristes sont souvent régulières. Ce pays a parfois fait l’objet de menaces. Tous ces aspects doivent faire l’objet de réflexion pour les pays qui participent au Hadj afin qu’ils comprennent que l’Arabie Saoudite, à elle seule, ne peut plus faire face aux flux de pèlerins. Tous les pays musulmans doivent mutualiser leurs forces pour assister le pays hôte du Hadj.