Dans un taxi que j’empruntais pour rentrer à la maison, le chauffeur après une longue causerie s’écria : « Si j’avais su plus tôt que tu étais Yacouba, tu ne te serais jamais assise à l’arrière de mon taxi pour que je te conduise comme un chef, alors que tu es mon esclave ! Mais… les Yacouba même ne valent rien quoi! »
Je compris tout de suite que ce chauffeur devait être soit Sénoufo soit Peuhl. Mais vu son accent, il ne pouvait-être que Peulh ! Je répliquais donc : »Il faut être un Diallo pour parler comme ça à son chef! C’est pourquoi vous serez toujours chauffeur de taxi pour conduire les Yacouba dans ce pays ! »
Lorsque j’eus réglé la course, le chauffeur de taxi me dit d’un ton ferme: « Tu dois payer un double tarif à ton chef ! » Ce à quoi je répondis: « Quoi ? Toi le chef, tu demandes de l’argent à ton esclave maintenant? Vraiment les Peuls c’est pas la peine quoi ! » Sur ce, il adoucit le ton : « Bon… Pardon… mets quelque chose dessus quand même pour que ton chef puisse déjeuner demain matin !! » Lorsque j’eus satisfait sa requête, il démarra en s’écriant : « Les Yacouba, seront toujours esclaves des Peuls car ils ne valent rien !!! »
Cette petite scène très cocasse recueillie sur ce blog est appelée « parenté à plaisanterie ». Il s’agit d’une coutume malicieuse permettant de blaguer et de railler les autres ethnies, dans le but d’éviter les conflits et de maintenir la paix. Prenons l’exemple du Burkina Faso, un petit pays niché au centre de l’Afrique de l’Ouest où cohabitent une soixantaine d’ethnies différentes. Les diverses chamailleries et blagues ethniques permettent un climat de convivialité et de détente, propice à la cohésion sociale. Outre le Burkina Faso, cette coutume existe dans plusieurs pays d’Afrique occidentale dont le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou encore le Niger.
Lors de ces joutes théâtrales quelque peu déconcertantes pour les non-avertis, on se traite de paresseux, d’esclave, de voleur, de mangeur d’arachide ou d’alcoolique, sur un ton très sérieux avant d’éclater de rire.
La tradition orale de la parenté à plaisanterie remonterait à la fondation de l’empire du Mali par Soundiata Keita, bien que selon certains historiens des traces antiques auraient été retrouvées dans la vallée du Nil. Ce système de cousinage existe entre divers clans, ethnies et personnes de générations différentes, liés par un pacte ancestral prohibant les conflits, guerres et autres agressions.
La parenté à plaisanterie se pratique en tous lieux et à tous moments, que ce soit au travail ou dans la rue, au quotidien ou dans les occasions spéciales (mariages, enterrements ect…).
Une richesse culturelle africaine au service de la fraternité et de la paix sociale.
nofi