La lutte contre l’esclavage en Mauritanie : Une cause juste, mais trop instrumentalisée

Par kibaru

Comme un peu partout dans le monde, l’esclavage est un phénomène ancien qui remonte à des temps immémoriaux. Par le passé, la Mauritanie comme les diverses sociétés humaines a malheureusement connu ce phénomène. Mais, ce temps est maintenant révolu, car ce pays est passé d’une société d’esclavagiste à celle de citoyenneté. Une situation qui fait que tous les citoyens sont égaux en droits et devoirs au vu de l’article 19 de la Constitution mauritanienne dans son alinéa 2 qui stipule que « Les citoyens jouissent des mêmes droits et des mêmes devoirs vis-à-vis de la Nation. Ils concourent également à l’édification de la Patrie et ont droit, dans les mêmes conditions, au développement durable et à un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Ce qui n’exclut évidemment pas la possibilité de trouver ça et là des cas isolés relevant surtout des séquelles de ce phénomène d’un autre âge, qui doit être constamment combattu. Ces cas isolés peuvent être considérés comme les exceptions à la règle.

 

Par ailleurs, dans le même ordre d’idée des modifications ont été introduites dans la loi fondamentale du pays en mars 2012 qui consacrent l’esclavage comme un crime contre l’Humanité. C’est ainsi que les dispositions de l’article 13 stipulent que « Nul ne peut être réduit en esclavage ou à toute forme d’asservissement de l’être humain, ni soumis à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces pratiques constituent des crimes contre l’Humanité et sont punis comme tels par la loi ». Par rapport à cela, différentes lois ont été adoptées pour criminaliser cette pratique et des peines prononcées à l’encontre de leurs auteurs. En 1981, une ordonnance a été adoptée abolissant l’esclavage en Mauritanie. En 2003, une loi interdisant la traite des personnes a été adoptée et en 2007 une loi qui incrimine l’esclavage et punit ses auteurs a été promulguée. En mars 2014, le gouvernement mauritanien a adopté en collaboration avec l’ONU, une feuille de route pour l’éradication de l’esclavage dans une période d’un à deux ans, comprenant 29 mesures. Elles vont de l’amendement de la loi 2007-048 incriminant l’esclavage à l’obligation de promouvoir des projets pour l’insertion des victimes, leur indemnisation par les auteurs d’actes esclavagistes, l’accès à la propriété foncière, l’exécution des décisions de justice, la création d’une institution de haut niveau chargé de lutter contre les séquelles de l’esclavage, l’assistance aux victimes, l’accès des enfants des anciens esclaves à l’école, l’instauration d’une journée de lutte contre l’esclavage, l’implication de la société civile, le renforcement des moyens des ONG, la création d’une commission de suivi ou l’évaluation périodique du travail accompli.

En visite dans le pays, le 6 mars dernier, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’esclavage Gulnara Shahinian a considéré cet acte «  comme un tournant dans la lutte contre l’esclavage en Mauritanie  » et se dit «  confiante que le gouvernement, en étroite coopération avec la société civile, va déployer tous les efforts nécessaires pour mettre pleinement en œuvre la feuille de route  ».

 

C’est dans ce cadre que les moyens de l’agence nationale de lutte contre les séquelles de l’esclavage, d’insertion et de lutte contre la pauvreté (ANLSILP) créée en 2013, ont été considérablement augmentés. Ce qui lui a permis de réaliser d’énormes progrès en matière de lutte contre les séquelles de l’esclavage ou d’autres inégalités sociales. Mais quelles que soient les réalisations faites en la matière, il restera toujours des choses à faire puisque c’est une œuvre humaine, donc perfectible. Ce sont là, des acquis qui ont été obtenus grâce à une volonté politique affichée par les plus hautes autorités du pays qui sont résolument engagées à mettre fin à ce phénomène. A l’actif de cette lutte acharnée contre les séquelles de l’esclavage, il faut préciser que tout cas relevant de ce phénomène transmis aux autorités du pays, a été convenablement traité.

 

Par ailleurs, on enregistre également dans le pays la présence de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme. Elles exercent leur mission dans la légalité et sans être inquiétées. Dans le sillage des défenseurs des droits de l’homme, on note bien sûr la présence des descendants d’anciens esclaves.

IRA, bien que n’étant pas reconnue s’active dans ce domaine et son président Biram Ould Dah Ould Abeid a toujours eu des démêlées avec les autorités mauritaniennes qui considèrent certaines de ses positions comme trop extrémistes et versant dans l’atteinte à l’unité du pays. En 2014, il a décidé d’abandonner volontairement la sphère de l’activité apolitique (défense des droits de l’homme à travers IRA) au profit de celle de l’activité politique et la conquête du pouvoir en présentant sa candidature à la magistrature suprême de son pays.

 

Après une campagne électorale intense au cours de laquelle il a sillonné le pays, Biram a réalisé un score de 8,67% des suffrages, le plaçant deuxième après le candidat à sa propre succession, Mohamed Ould Abdel Aziz qui défendait un bilan très appréciables. En choisissant de mener le combat politique et en présentant un dossier pour la constitution d’un parti politique, Biram doit se rappeler que ses actes ne peuvent plus être comptabilisés parmi ceux posés par les défenseurs des droits de l’homme. Le mieux pour lui serait de laisser d’autres collaborateurs à lui qui n’ont pas encore versé dans le jeu politique poursuivre le combat qu’il a initié pour continuer à défendre cette cause. Et ce, d’autant plus qu’au cours d’une conférence de presse tenue la veille de sa nouvelle arrestation en novembre dernier, il avait déclaré son intention de « continuer son intérêt pour la politique » et qu’il proposait une trêve à l’actuel pouvoir. Il est temps pour lui de comprendre qu’on ne peut vouloir une chose et son contraire. De ce fait, il doit choisir entre la poursuite de son combat politique, et pour cela, ce ne sont pas les cadres qui manquent (majorité, CAP, FNDU, etc.) ou s’inscrire définitivement dans la dynamique d’un défenseur des droits de l’homme comme il prétend l’avoir été par le passé.

 

Il convient de rappeler qu’une organisation des droits de l’homme outre le fait que par essence est apolitique, doit être indépendante des pouvoirs politiques et économiques. Son rôle est d’être un contre-pouvoir dévolu à la société civile pour contribuer à renforcer chez les dirigeants et les peuples des Etats la culture démocratique et de respect des droits et libertés. La fonction d'un dirigeant d'une organisation de défense des droits de l'homme est incompatible avec celle d'un dirigeant d'un parti politique.

 

L’opinion internationale gagnerait à être plus vigilante et regardante par rapport à ce genre de prise de position. Elle doit certes, dénoncer toute atteinte contre les droits de l’homme, mais se garder en revanche  d’encourager ou  soutenir l’instrumentalisation d’une noble cause à des fins purement politiciennes. Car, cela pourrait être perçu comme une ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain.