Près de deux ans après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, et alors que la période transitoire touche à sa fin, en juin, le Mali se trouve de nouveau à un tournant, a expliqué au Conseil de sécurité, ce matin, le Représentant spécial du Secrétaire général pour le Mali et Chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), M. Mahamat Saleh Annadif.
M. Annadif a évoqué les progrès notables accomplis, en dépit des divergences de vues existantes et de tensions communautaires, dans la mise en œuvre des mesures provisoires de l’Accord. Affirmant que « le Mali revient de loin », le représentant de ce pays, M. Abdoulaye Diop, a souligné les énormes efforts consentis par le Gouvernement, avec la coopération des autres parties signataires et l’appui des partenaires du pays.
Néanmoins, ces progrès ne sont pas irrévocables car l’insécurité se propage dans le pays et au-delà, ont averti les deux hommes, avant de présenter chacun leur vision du rôle de la MINUSMA dont le mandat sera réexaminé avant la fin du mois. La Mission ambitionne de renforcer sa présence dans la région du centre, tandis que le Mali insiste pour qu’elle soit dotée de moyens matériels, financiers et humains adéquats et pour que le déploiement de la force conjointe du G5 Sahel soit autorisé par le Conseil.
« L’année dernière, à la même époque, nous nous inquiétions des lenteurs dans la mise en œuvre de l’Accord », a rappelé M. Annadif, en présentant le rapport* du Secrétaire général sur la situation au Mali. Malgré les réunions régulières du Comité de suivi de l’Accord (CSA), l’atmosphère était alors caractérisée par un déficit de dialogue entre les parties.
Évoquant « un contexte réellement apaisé », il a expliqué que les progrès tangibles dans la mise en œuvre de l’Accord avaient pu être réalisés grâce aux bons offices de la médiation internationale et de la MINUSMA, et surtout grâce aux concertations permanentes des parties signataires autour du Haut Représentant de la République.
Le Représentant spécial a constaté que la Conférence d’entente nationale s’était tenue dans des conditions satisfaisantes, indiquant en outre que la charte pour la paix, l’unité et la réconciliation était en voie d’élaboration. De plus, les autorités intérimaires ont été installées dans les cinq régions concernées.
« Les différents mécanismes opérationnels de coordination et les patrouilles mixtes sont sur les rails », a-t-il poursuivi, tandis que le processus de la réforme du secteur de sécurité, de désarmement, démobilisation et réintégration se poursuit, même si le rythme est lent.
Ce sont, selon M. Annadif, « autant d’évolutions positives qui s’ajoutent aux réformes institutionnelles et politiques qui sont à mettre au crédit du Gouvernement ».
Toutefois, a-t-il averti, ces évolutions positives risquent d’être annihilées par la tension qui existe depuis un certain temps entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme, qui s’est transformée en un conflit communautaire.
D’après le Représentant spécial, « une mise en garde sévère mérite d’être adressée aux responsables militaires et politiques de ces deux mouvements pour mettre une fois pour toutes un terme aux tueries des populations innocentes et désarmées ». De son côté, la MINUSMA, seule présence dans ces régions, fait tout son possible pour protéger ces populations tout en usant de ses bons offices pour arrêter le conflit.
Ces pratiques font malheureusement le lit des terroristes et autres extrémistes qui se renforcent entre eux, tant au niveau de leur mode opératoire qu’au niveau de la sophistication du matériel utilisé, a signalé M. Annadif. Plus grave, ils étendent leurs zones d’action et leur influence.
La Mission ambitionne donc de renforcer sa présence dans la région du centre, a-t-il annoncé, dans le cadre d’une approche intégrée et multidimensionnelle en partenariat avec d’autres acteurs tels que l’Union européenne. Le déploiement prévu prochainement de la force de réaction rapide fait partie de ce dispositif.
En outre, grâce au mandat robuste que le Conseil de sécurité a donné à la MINUSMA par la résolution 2295 (2016), « nous avons réajusté nos règles d’engagement », a expliqué M. Annadif, expliquant que la MINUSMA avait pu intensifier ses patrouilles et anticiper certaines menaces en menant des opérations proactives et préventives pour la protection des populations civiles et de son personnel.
L’autre innovation de cette résolution, a-t-il relevé, c’est le soutien que la MINUSMA doit apporter aux Forces de défense et de sécurité maliennes (FDSM), qu’il faut maintenant concrétiser.
De plus, il a perçu le renforcement de la sécurité passive et active des installations de la MINUSMA et des opérations sur le terrain « comme une condition sine qua non pour permettre à la Mission d’assumer ses responsabilités ». Le fait qu’il manque un bataillon d’escorte de convois, ainsi que le déficit en hélicoptères d’attaque et de transport, constituent des handicaps majeurs, selon lui.
M. Annadif a ensuite décrit les objectifs qu’il souhaite pour la MINUSMA: accélérer son soutien à l’application de l’Accord; amplifier son rôle de bons offices et exercer les pressions nécessaires sur les parties; contribuer à soutenir les efforts de la médiation internationale; et renforcer son partenariat avec les FDSM en vue d’optimiser leurs capacités opérationnelles et leur redéploiement dans tout le pays.
Prenant la parole en fin de séance, le représentant du Mali, M. Abdoulaye Diop, s’est félicité que le Secrétaire général ait reconnu, dans son rapport, le leadership et l’engagement personnel du Président malien, M. Ibrahim Boubacar Keita.
Au titre des progrès majeurs réalisés, il a fait observer que les autorités intérimaires et les collèges transitoires étaient désormais opérationnels dans les cinq régions du nord, à l’exception de Kidal, où il a fait état de la persistance de difficultés d’ordre technique. Il a également mentionné des progrès dans le domaine des patrouilles mixtes, malgré la modicité des moyens disponibles.
Par ailleurs, suite aux recommandations de la Conférence d’entente nationale tenue du 27 mars au 2 avril 2017, l’avant-projet de Charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale est désormais prêt, a annoncé M. Diop. Pour sa part, l’Assemblée nationale a adopté le projet de révision de la Constitution présenté par le Gouvernement, qui prévoit des innovations importantes pour renforcer la démocratie, notamment la création d’un Sénat. Le texte sera soumis à referendum le 9 juillet prochain.
Parallèlement à ces processus, le Gouvernement poursuit la fourniture de services sociaux de base à la population, ainsi que la relance de l’économie locale, là où les conditions de sécurité le permettent.
« Les autorités intérimaires poursuivront la mise en œuvre de l’Accord », a assuré M. Diop en citant notamment les efforts du Gouvernement en matière de désarmement, démobilisation et réintégration, de réforme du secteur de la sécurité, d’opérationnalisation des patrouilles mixtes et de fourniture des dividendes de la paix aux populations affectées par la crise.
« Le processus de paix au Mali est dans un dynamique positive grâce au retour progressif de la confiance entre toutes les parties prenantes maliennes », a donc affirmé le représentant. M. Diop a toutefois rappelé que ces progrès, encore fragiles, ne devaient pas faire perdre de vue les « défis réels et multiples » auxquels le processus de paix reste confronté.
M. Diop a donc réitéré l’appel de son gouvernement à tous les partenaires afin qu’ils honorent les engagements pris en faveur du processus de paix. Dans ce contexte, il a regretté de voir que les « innovations majeures » apportées au mandat de la MINUSMA par la résolution 2295(2016) du Conseil ne s’étaient pas traduites dans les faits sur le terrain.
Alors que la Mission était dotée d’un mandat robuste et se voyait demander d’adopter une posture plus proactive, celle-ci a conservé une « posture statique et de défense », a affirmé M. Diop en expliquant que cela avait facilité la liberté de mouvement des groupes terroristes et extrémistes, qui ont su profiter.
C’est pourquoi le Gouvernement du Mali souhaite qu’à l’occasion du renouvèlement de son mandat, la MINUSMA soit « dotée de moyens matériels, financiers et humains adéquats » pour renforcer sa capacité opérationnelle. Le représentant a relevé que la conférence des pays fournisseurs de contingents tenue les 22 et 23 mai 2017 permettaient d’espérer que ces défis seraient bientôt relevés.
Le représentant malien a également insisté sur le renforcement de la coopération entre la MINUSMA et les Forces nationale maliennes. Il a souhaité que la question du retour de l’administration et des Forces de défense nationales à Kidal soit au cœur du nouveau mandat de la Mission, de même que l’effectivité du processus de cantonnement, de désarmement, démobilisation et réintégration et de réforme du secteur de la sécurité.
Par ailleurs, il a transmis au Conseil les « vives préoccupations » du Président Keita, qui est aussi le Président en exercice du G5 Sahel, face aux difficultés rencontrées par le Conseil pour adopter une résolution autorisant le déploiement immédiat de la force conjointe du G5, dont la création a été décidée le 6 février dernier par les chefs d’État de ce groupe qui comprend le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger.
Pour le Mali, l’adoption d’une telle résolution par le Conseil enverra un signal fort aux groupes terroristes et trafiquants de tous ordres dont les activités sont responsables de la détérioration constante de la sécurité au Mali et au Sahel. M. Diop a rappelé que le concept d’opération de la force avait été élaboré en partenariat avec les partenaires régionaux et internationaux, sachant que des mécanismes de coordination avec toutes les autres forces présentes dans la région avaient été prévus. Il a également assuré le Conseil que la force opérerait en respectant les considérations de genre et les droits de l’homme et qu’elle favoriserait l’accès humanitaire.
Dans le domaine des droits de l’homme, M. Diop a constaté que le rapport du Secrétaire général reprochait aux Forces nationales maliennes des allégations de violations de ces droits « dans un contexte complexe de lutte contre le terrorisme et d’attaques asymétriques ». Il a rappelé que la majorité des cas mentionnés étaient commis dans des zones où les services judiciaires et d’enquête sont absents du fait de l’insécurité, tout en reconnaissant « une différence d’approche et de qualification des faits constitutifs d’abus des droits de l’homme » entre son pays et la Division des droits de l’homme de la MINUSMA. Le représentant a néanmoins assuré que tous les cas de violations allégués faisaient systématiquement l’objet d’une enquête et le cas échéant, de sanctions.
M. Diop a dit que la paix au Mali et la stabilité au Sahel devaient être envisagées par le Conseil de sécurité de manière holistique et dans le cadre de quatre piliers: la détermination de la partie malienne à accélérer la mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation, l’action de stabilisation de la MINUSMA dans le cadre d’un mandat renforcé, l’appui reçu de la part de la force française Barkane, et enfin l’action de la force du G5 Sahel sur laquelle le Conseil se penche actuellement.
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