Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du MSA sur Kibaru : « les querelles et chamailleries à Kidal sont insensées car tôt ou tard, ces communautés sont appelées à vivre ensemble »

Par kibaru
Moussa Ag Acharatoumane au milieu de ses combattants

Dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé, le secrétaire général du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), Moussa Ag Acharatoumane a déploré les conflits répétitifs qui surviennent dans la région de Kidal. Pour lui, il est important de mettre fin à cette situation puisque les communautés qui s’opposent sont appelés à vivre ensemble. Par ailleurs, il a également fustigé les retards enregistrés par la mise en œuvre de l’accord qui, à ses yeux n’a connu aucune avancée concrète. Au cours de cet entretien, il est aussi revenu sur d’autres questions brulantes de l’actualité.

www.kibaru.ml : Quelle appréciation faites-vous de la mise en œuvre de l’accord après les derniers événements de Kidal ?

Moussa Ag Acharatoumane : Malheureusement, dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, je pense que le constat est partagé par tout le monde. Nous avons pris beaucoup de retard et chaque jour qui passe, le scepticisme et le pessimisme gagnent du terrain. Pas grand-chose n’a été réalisé depuis la signature de l’accord, il y a de cela plus de deux ans. Avec les récents événements qui se sont produits à Kidal et ailleurs ainsi que les attaques des groupes terroristes sur l’ensemble du territoire et qui débordent dans d’autres pays frontaliers, nous constatons que l’accord est très mal parti. De ce fait, il n’y a pas grand-chose qui marche à part quelques régions qui font cas d’exception. D’une manière générale, l’accord n’avance pas parce que tout simplement, les acteurs qui sont censés le mettre en œuvre à savoir la CMA, la Plateforme et le gouvernement malien au lieu de conjuguer leurs efforts, passent leur temps à se tirer dessus. Lorsque ces derniers n’arrivent pas à s’entendre, ne se donnent pas la main et ne font pas les choses ensemble, l’accord ne pourra pas être appliqué.

www.kibaru.ml: La région de Ménaka avait suscité quelques espoirs avec la réalisation de certaines avancées. On peut citer entre autres, le retour de l’administration, de l’armée, l’opérationnalisation de patrouilles mixtes, les autorités intérimaires… Est-ce que cette dynamique n’a pas connu un coup d’arrêt avec l’entrée de la CMA dans la ville suite au départ précipité du GATIA ?

Moussa Ag Acharatoumane : Comme vous l’avez si bien dit, Ménaka fait figure d’exemple dans le cadre du retour à la normalité. L’administration est présente à travers le gouverneur et ses préfets. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui gèrent l’intérieur de la ville de Ménaka et non les mouvements armés. Les autorités intérimaires sont fonctionnelles. Et nous avions même initié des patrouilles mixtes avec Barkhane, la MINUSMA et l’armée ainsi que les forces de l’entente. C’est vrai que les derniers événements survenus à Kidal ont été ressentis à Ménaka. Heureusement pour nous, il n’y a pas eu de problème majeur à gérer puisqu’aucun coup de feu n’a été tiré à Ménaka. C’est vrai que nos amis du GATIA sont partis de la région. C’est vrai aussi qu’il y a quelques Ménakois parmi les combattants du MNLA et du HCUA qui sont juste rentrés chez eux. A part cela, il n’y a pas eu d’autres problèmes. C’est vrai qu’au départ, tout le monde était paniqué, mais par la suite, certains ont fini par comprendre qu’il n’y a pas eu de problème majeur à Ménaka. La preuve, l’administration est toujours en place, de même que les FAMAs aussi et le MSA. Toutefois, il y a quelques voitures appartenant au MNLA et au HCUA qui sont à l’extérieur de la ville. La dynamique en tant que tel qui consiste à ce que les communautés de Ménaka soient unies au sein de ce nous appelons « l’entente des communautés de Ménaka », existe toujours. Il convient de signaler que la société civile de la région continue à jouer pleinement son rôle. Nous essayons de maintenir cette dynamique prouvant qu’à Ménaka, la paix est possible et elle est en train de se mettre en place. Nous avons franchi des pas importants et nous continuons à sauvegarder et à entretenir cette dynamique qui ne peut qu’être salutaire pour nous, nos populations et notre région. De ce fait, la région de Ménaka est calme et il n’y a pas eu de problème malgré ce qui s’est passé à Kidal.

Je tiens à préciser que nos amis du GATIA à la suite de ces événements sont partis bien avant l’arrivée de la CMA. Ceci étant, nous sommes sûrs que bientôt les choses rentreront dans l’ordre. La dynamique que nous avons initiée jusqu’à preuve du contraire, n’a pas changé. Elle a été un peu ralenti par ces événements, mais elle ne s’est pas arrêtée.

www.kibaru.ml: On vous accuse d’avoir sacrifié l’entente que le MSA avait avec le GATIA. Pourquoi vous ne l’avez pas défendu malgré l’arrivée de la CMA ?

Moussa Ag Acharatoumane : Personnellement, je ne pense pas avoir sacrifié quoi que ce soit. Pour nous, cette entente entre les communautés de Ménaka est toujours une réalité. Et elle est active. La commission d’entente des communautés de Ménaka est toujours fonctionnelle. Au sein de cette commission, toutes les communautés sont représentées. Par ailleurs, suite aux affrontements entre la CMA et le GATIA dans la région de Kidal, les troupes de ce dernier ont quitté Ménaka dès qu’elles ont appris que la CMA a commencé à se rapprocher. Donc, les troupes du GATIA n’ont pas été chassées de Ménaka, mais elles ont préféré se retirer. A son arrivée à Ménaka, la CMA n’a trouvé que le MSA, des militaires maliens et des casques bleus de la MINUSMA. Il n’y a donc pas eu d’affrontements.

Par rapport à notre entente avec le GATIA, elle remonte aux assises d’Anefis en 2015, et c’est une entente qui lie encore la communauté Imghade et celle des Dossak. Par le passé, nos communautés ont eu à traverser des crises, raison pour laquelle nous nous sommes donné la main pour ramener la paix, la cohésion et l’entente entre nos deux communautés puisque nous sommes voisins et vivons sur le même espace. C’est donc, cette dynamique qui a continué depuis Anefis, jusqu’à Ménaka et même au-delà. C’est une dynamique qui existe toujours et elle consiste à cultiver un bon voisinage, la paix et la réconciliation entre nos deux communautés et tous nos voisins avec lesquels nous partageons cet espace. Nous nous donnons la main aussi pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Les bras armés des communautés Dossak ou les Imgad sont respectivement le MSA et le GATIA. Raison pour laquelle nous nous sommes donné la main pour apporter la paix et la sécurité au profit de nos populations. C’est une chose qui va rester inchangée et nous ne voyant aucune raison de la changer puisque pour nous il n’y a rien de nouveau par rapport à ce qui est en train de se passer aujourd’hui.

Quant à ces querelles répétitives entre la CMA et la Plateforme, pour moi il n’y ni vainqueur ni vaincu. Par contre, les plus grands perdants ce sont nos populations, nos communautés, les futures générations. Pour moi, c’est une guerre qui est insensée et injustifiée. Aujourd’hui, nous devons nous donner la main, nous réconcilier et s’accepter mutuellement. Parce que nous ne pouvons rien résoudre si l’on ne s’accepte pas et l’on ne cohabite pas dans l’égalité, la fraternité et l’équité. C’est la seule solution, autrement nous n’allons jamais nous en sortir.

www.kibaru.ml: Que faites-vous pour lutter contre le terrorisme qui sévit à Ménaka et dans d’autres régions du Mali ?

Moussa Ag Acharatoumane : Vous savez Ménaka est une zone frontalière et  qui parle de frontière parle de problèmes interminables. Il y a toujours eu des problèmes le long de cette frontière. Autant les Ménakois en sont victimes autant côté nigérien aussi il y a des victimes aussi bien civils que militaires.

Dans ces localités, il y a des individus mal intentionnés qui s’organisent pour remettre en cause nos efforts. Pour moi, c’est juste une mafia et des bandits de grands chemins qui traversent les frontières de part et d’autre. Ils essaient de perturber la quiétude de ces populations. Raison pour laquelle nous nous sommes dit qu’il est nécessaire de rassembler toutes les forces, c’est-à-dire celles qui sont dans la région pour qu’ensemble nous essayons de contrer ce banditisme qui est en train de perturber la quiétude de nos populations. Pour nous, il faut que tout cela passe par la réconciliation parce que si les communautés ne s’entendent pas et ne cultivent pas ce travail de complémentarité, on ne pourra rien réussir. Raison pour laquelle à Ménaka, nous avons créé cette entente entre toutes les communautés de la région pour qu’elle serve de support aux forces de sécurité. Une étape nécessaire pour aider celles-ci à sécuriser nos populations et leurs biens. C’est grâce aux efforts consentis que ces mafias et ces bandits ont été contraints à se cloitrer dans une zone qui est bien connue. Une situation qui a permis d’épargner les grandes agglomérations telles que Ménaka, Anbderraboukan, Talatay et autre de ce fléau. De l’autre côté, les Nigériens aussi se sont mobilisés le long de leurs frontières et essaient de contrôler petit à petit cette menace. Voilà comment nous nous organisons dans la région de Ménaka pour combattre ce phénomène.

www.kibaru.ml: Qu’en est-il de ceux qui estiment que c’est l’Etat nigérien qui vous soutient dans cette lutte ?

Moussa Ag Acharatoumane : Vous savez le Niger c’est notre voisin immédiat. Et nous avons un ennemi commun que sont ces bandits qui s’en prennent autant au Niger qu’à nous et nos populations. C’est vrai qu’il y a des contacts de part et d’autre pour voir comment mieux sécuriser le long de cette frontière. Mais çà s’arrête à ce niveau. Il n’y a pas un soutien particulier que l’Etat nigérien nous apporte. Les patrouilles que nous avons menées dans cette région et la mobilisation remontent bien avant ces allégations. Ce sont des moyens mobilisés par nos populations qui nous ont permis de réaliser certains acquis tels que les patrouilles qui ont duré parfois plusieurs mois. Le Niger gère ses frontières et nous en faisons autant. Ensemble, nous avons un ennemi commun que sont ces bandits qui perturbent le bien-être et la quiétude de nos populations du côté de la frontière commune.

www.kibaru.ml: Est-ce que les difficultés liées à la reconnaissance de votre mouvement par la CMA sont réglées ?

Moussa Ag Acharatoumane : La naissance du MSA a été mal comprise par une bonne partie de nos amis qui sont restés dans nos anciens mouvements. De ce côté, c’est toujours la frustration qui n’a pas encore été réglée jusqu’à preuve du contraire. Le MSA est incontestablement composé d’une partie de la CMA que nous avons créé militairement et financièrement. Depuis que nous avons créé le MSA, il n’y a pas eu de réunions entre les responsables des deux côtés pour aplanir les divergences. Le MSA est dans l’accord comme tous les autres mouvements parce que nous sommes représentés dans les différents organes et mécanismes de mise en œuvre. A Ménaka, c’est l’un de nos éléments qui occupe la présidence du collège transitoire. Donc, j’ignore ce qu’il faut demander de plus. Pour moi, le MSA est dans l’accord et nous travaillons dans la région pour poser des actes qui prouvent que nous sommes favorables à cet accord. D’ailleurs, il nous arrive de prendre même de l’avance par rapport à la mise en œuvre de cet accord. Quant à l’entité CMA jusqu’à présent il n’y a pas eu de concertation pour mettre un terme à ce différend. Ceci dit, il n’y a pas un autre problème particulier qui nous oppose et je comprends l’attitude de la CMA et l’incompréhension de certains de ses leaders. De même que je souhaite qu’ils comprennent ce qui a poussé ces populations et ces combattants à en arriver là. Certes, ce n’est pas encore le cas, mais ce n’est pas si grave puisque cela n’entrave pas notre participation à l’accord dans lequel nous contribuons concrètement plus que beaucoup d’autres mouvements. En tout cas, Ménaka est un exemple illustrant et frappant dans le cadre de l’application de cet accord.

www.kibaru.ml: Concrètement, que faire pour accélérer la mise en œuvre de l’accord ?

Moussa Ag Acharatoumane : Dans un pays quand les choses ne vont pas bien c’est au gouvernement à sa tête le chef de l’Etat d’agir. Quels que soient les reproches faits aux mouvements, la première responsabilité dans la mise en œuvre de cet accord revient à l’Etat malien. Il faut qu’il prenne ses responsabilités, tape du poing sur la table pour faire avancer les choses. La mise en œuvre de cet accord a également besoin d’une certaine complicité, voire une complémentarité entre les acteurs. C’est vrai que le gouvernement est le premier responsable, mais à lui seul il ne pourra pas faire appliquer l’accord s’il n’est pas aidé par la CMA et la Plateforme. C’est malheureusement, cette complémentarité qui manque. Tous les acteurs censés mettre en œuvre l’accord se tirent dessus.

Nous sommes face à une contradiction continuelle qui nous empêche de progresser concrètement. Il faut que les acteurs se donnent la main, ce n’est que par cette voie que l’accord pourra être mis en œuvre. Pour moi, la responsabilité première doit revenir au gouvernement lequel doit être épaulé, aidé, accompagné et soutenu dans ses démarches par la CMA et la Plateforme. Ce, conformément aux dispositions de l’accord. Malheureusement, c’est ce qui manque aujourd’hui. Tant qu’on n’arrivera pas à cette situation, il sera difficile de réussir quoi que ce soit. Tout le monde reconnait que cet accord jette les prémices d’une régionalisation, donc pour sa bonne mise en œuvre, il faut le régionaliser. C’est-à-dire si une région réalise des avancées dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, il faut accompagner cette dynamique. Je ne comprends pas le souci de certains partenaires qui estiment qu’à Ménaka les choses se font sans un accord du CSA. Je pense que c’est une chance de voir les Ménakois s’organiser, se réconcilier et mettre en place des patrouilles mixtes pour lutter contre le banditisme dans cette région. Alors que des moyens colossaux ont été investis dans le MOC de Gao dont les patrouilles n’ont jamais rien réussi et ne sont pas encore sorties de la ville. Pendant ce temps à Ménaka, le MOC local que les populations elles-mêmes ont mis en place avec leurs propres moyens, a réalisé des avancées incontestables. Une dynamique qui mérite d’être accompagnée et saluée pour servir d’exemple dans toutes les autres régions. Il faut aussi qu’on arrête de penser que les gens de Kidal vont dicter aux Ménakois leur conduite, ou que ces derniers en fassent de même aux Tombouctiens, etc. C’est pour cela qu’il faut aller vers la régionalisation de cet accord pour que les populations s’investissent dans cette dynamique. Chacun doit d’abord balayer devant sa porte. C’est ce qui manque aujourd’hui. Il y a certains individus qui n’ont aucune assise dans les régions qu’ils prétendent contrôler et veulent dicter leur conduite aux autres. C’est çà la problématique qui affaiblit les grands ensembles.

www.kibaru.ml: Où en est-on avec le désarmement des combattants ?

Moussa Ag Acharatoumane : Il faut que les conditions sécuritaires soient réunies pour démarrer ce processus. Aujourd’hui, je ne sais pas comment désarmer des mouvements ou des communautés alors qu’en face d’eux, il y a des groupes qui ne se reconnaissent pas dans l’accord et qui sont armés. Il faut que les DDR soient accompagnés par cette réflexion relative au traitement des groupes qui ne sont pas dans l’accord et qui ont des armes avec lesquelles ils s’en prennent aux autres. Dans ce contexte, désarmer quelqu’un dans cette zone voudrait dire lui signer son arrêt de mort.

www.kibaru.ml: Le mot de la fin…

Moussa Ag Acharatoumane : Il faut que les gens comprennent qu’aujourd’hui pour sauver ce pays, il faut que les gens se donnent la main. Ensemble nous pouvons tout réussir, mais diviser nous ne parviendront à rien. Il faut qu’on arrête de penser que d’autres viendront faire ce pays, construire nos régions et réconcilier nos communautés à notre place. Tout ce travail revient à nous et il ne se fera que lorsqu’on est ensemble. Par exemple, les querelles et chamailleries à Kidal sont insensées à mes yeux puisque tôt ou tard, ces communautés sont appelées à vivre ensemble. Aujourd’hui, la ville de Ménaka appartient à toutes ses communautés. C’est valable pour toutes les autres régions du Mali. Il faut que les gens s’acceptent et cohabitent dans le respect, l’équité et la fraternité. Même cette Communauté internationale, elle est certes présente aujourd’hui avec nous, qui sait si demain elle sera encore là ? Il faut aller vite parce qu’il y a d’autres dossiers dans le monde. Il est tant que tout le monde se donne la main pour sauver ce qui reste, car demain il sera sûrement trop tard.