Il n’y a pas de doute que les solutions militaires n’ont pas porté leurs fruits dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. La leçon afghane des Américains aurait dû amener la communauté internationale à se rendre à l’évidence : les kalachnikovs, seules, ne vaincront pas une idéologie ou ne régleront les problèmes structurels qui nourrissent la radicalisation des jeunes rejoignant Boko Haram ou encore l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).
Après plus de 15 années passées en Afghanistan, les Américains n’ont pas pu défaire les talibans, qui ont même fait des émules. L’opération française Serval a vécu le temps d’une libération spectaculaire des griffes des djihadistes des villes du nord du Mali, alors occupées, avec le mérite d’avoir, tout de même, empêché que le verrou de Konna ne cède et, ainsi, barrer la route de Bamako en janvier 2013 à des assaillants déterminés. Mais l’opération Barkhane est, aujourd’hui, incapable d’en finir avec les terroristes au nord du Mali, de même que dans les confins du Niger sur l’axe de tous les risques entre les confluences libyennes et les incertitudes sahélo-sahariennes.
Les groupes terroristes prospèrent dans le Sahel, arrivent à coordonner des actions, même de moyenne ampleur. Au même moment, dans une grande dispersion, on note une multiplicité des acteurs internationaux jusqu’au sein de la « famille » européenne dans laquelle l’Allemagne cherche, dorénavant, à devenir un acteur de premier plan, complètement sortie de sa timidité sahélienne et ouest-africaine.
Le terrorisme étend ses tentacules
Le front terroriste s’élargit aussi bien au Mali, devenu l’épicentre, que dans le reste de la région. Le centre du Mali devient la zone de toutes les tensions qui ont pu déborder jusque dans le Soum et l’Oudalan au Burkina Faso voisin. Dans une telle configuration où nombre d’analystes perdent leurs repères, on réalise, a posteriori, que les attaques de Ouagadougou, en août 2017 et mars 2018, avaient signé la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest. On se rend compte aussi que l’attentat de Grand Bassam (Côte d’Ivoire), en mars 2016, tel un avertissement, avait inauguré une nouvelle ère : celle de l’absurdité même de la prévision.
On ne peut plus nier que les solutions militaires sont un mal nécessaire pour endiguer la menace grandissante et soulager les pays sous haute pression sécuritaire. Mais, les expériences du passé, de même que les réalités quotidiennes des populations des zones frontalières, prouvent qu’elles ne sont ni vraiment efficaces encore moins durables.
En outre, elles inspirent et alimentent la propagande des groupes terroristes. Ces derniers sont conscients de la portée des manipulations de symboles sur les esprits surchauffés de populations en désarroi entre les mesures sécuritaires draconiennes qui tuent les économies locales et l’insécurité quotidienne au milieu d’impressionnants arsenaux militaires.
Et, malheureusement Abul Walid Al-Sahraoui, aujourd’hui tête pensante de l’État islamique au Grand Sahara, avait vu « juste » dès la fin de l’opération française Serval : finies les stratégies globales et de coordination logistique complexe. Il avait théorisé la création et la multiplication des zones d’instabilité, l’instrumentalisation de l’ethnicité et des conflits intercommunautaires auxquels il fallait trouver de « simples » couvertures « islamiques ».
Selon lui, cela suffira pour, à coup sûr, à susciter l’intervention occidentale. Cette dernière demeure le meilleur argument de propagande du discours djihadiste qui sait si bien jouer de ses ratés et de ses éventuelles bavures nourrissant les pires frustrations nécessaires au recrutement de nouveaux combattants !
Le nouveau dilemme sahélien
La force conjointe du G5 Sahel aurait pu être une alternative à l’image d’un Sahel parsemé de bivouacs dont les couleurs renvoient au drapeau français ou de bases sur lesquelles flotte, discrètement, le drapeau américain. Mais son opérationnalisation bute sur le déficit de ressources malgré les nombreux engagements financiers, restés sans suite. La situation sécuritaire au Sahel appelle, nécessairement, à une reconsidération des paradigmes qui, jusqu’ici, ont guidé l’option strictement militaire qui a montré ses limites. D’ailleurs, l’Allemagne chercherait à faire son entrée en scène sur une corde raide qu’elle semblerait prendre par le bout du développement.
En plus d’une crise sahélienne qui s’aggrave, il y a aujourd’hui, un vrai conflit de perception du conflit avec un hiatus entre approches internationales globales et perceptions locales.
Il est temps de donner toute leur dignité de « solutions » aux possibilités et stratégies endogènes. L’enlisement sahélien qui se dessine pour l’option du « tout militaire » est doublé d’un dilemme. Ce nouveau dilemme sahélien réside ainsi dans la difficile position des États de la région et de leurs partenaires internationaux. Dans les solutions proposées pour lutter contre le terrorisme, on a presque perdu le sens des priorités. Nous en sommes arrivés à de profondes interrogations entre l’impératif de gestion des urgences sécuritaires et la nécessité d’un changement de paradigmes face à l’échec patent du « tout militaire ».
La stratégie des terroristes : intensifier les conflits intercommunautaires
Pendant que l’on s’interroge, les groupes terroristes redéfinissent leur stratégie en parasitant et en intensifiant les conflits intercommunautaires. Cette stratégie leur ouvre deux perspectives : la multiplication des zones d’instabilité dans la région et la pression sur la communauté internationale. Celle-ci en est réduite à des interventions militaires, elles-mêmes sources de radicalisation et alimentant la rhétorique djihadiste.
Les attaques similaires à celles de Yirgou Fulbé, dans la commune de Barsalogho, dans le centre-nord du Burkina Faso, tout début janvier 2019, vont, malheureusement, se multiplier et auront un impact certain dans les pays voisins après avoir replacé le centre du Mali au cœur de toutes les préoccupations. Le Burkina Faso est entré dans un cycle de violences attisées par des conflits intercommunautaires qui, au début, n’avaient rien de religieux mais plutôt une dimension silvo-agro-pastorale.
Pendant que les stratégies internationales non coordonnées se multiplient, les groupes terroristes arrivent à étendre leur champ d’action dans les pays de la région. Cet acharnement inédit sur le Burkina Faso vise à faire sauter le dernier verrou sahélien vers l’Afrique côtière.
Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour faciliter l’installation de l’État islamique au Grand Sahara, surtout au Burkina Faso, région tampon entre l’Afrique côtière et le Sahel, notamment dans des zones comme Gorom Gorom et Markoye, dans la province de l’Oudalan.
Une nouvelle grille de lecture s’impose
Mais le plus étonnant est que, dans l’évocation des faits au Sahel, les analystes des pays occidentaux sont restés emmurés dans le paradigme djihadiste avec un vocabulaire encore fleuri de termes comme « groupes islamistes », « nébuleuse djihadiste », « radicalisation ».
Or depuis un bon moment, il y a eu une hybridation de la menace et un glissement significatif vers des conflits de type intercommunautaire. Même dans la rhétorique des groupes terroristes, la dimension religieuse fait de plus en plus place à l’exacerbation des tensions communautaires.
On est passé, sans conteste, de l’ère d’un djihadisme idéologique avec un discours se nourrissant du référentiel religieux à une situation où les populations locales elles-mêmes évoquent du « banditisme », de la « criminalité ».
Les populations locales ont certainement réalisé, avant les « spécialistes » et les chercheurs qui en font leur objet d’étude, que la région est, subrepticement, entrée dans une ère qui, à défaut d’une qualification pour l’heure établie, annonce le post-djihadisme.
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