Témoignage: "Les gardes libyens m’ont tiré sur les deux pieds car j'ai tenté de m’enfuir de prison"

Par kibaru
Alpha a été blessé par balles dans un centre en Libye. Crédit : DR

Alpha* est un Guinéen de 25 ans bloqué en Libye. Après avoir tenté de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée, il a été intercepté par les garde-côtes libyens et renvoyé en prison. Il raconte à InfoMigrants comment en tentant de s’échapper du centre de détention, les gardes lui ont tiré sur les deux pieds. Témoignage.

 

"Le 30 mai dernier, j’ai tenté, avec une centaine d’autres personnes dont des femmes enceintes et des jeunes enfants, de traverser la Méditerranée depuis la Libye. Après trois jours en mer sans boire ni manger et alors que l’embarcation prenait l’eau, les garde-côtes libyens sont finalement venus nous récupérer.

Ils nous ont fait monter sur leur navire et nous ont dépouillés : ils ont pris tous nos objets de valeurs comme les téléphones et l’argent qu’on avait sur nous. Ils étaient armés et nous ont dit que si nous résistions ils nous tabasseraient. De toute façon, nous n’avions pas assez de force pour nous opposer à eux.

Révolte en prison

Ensuite, ils nous ont ramenés au centre de Zaouia [à 45 minutes à l’ouest de Tripoli, ndlr]. Dans cette prison, les conditions de vie sont très difficiles. On ne mange pas à notre faim, les portions de nourriture sont insuffisantes. Le matin, les Libyens nous donnent une soupe avec un morceau de pain et des pâtes le soir. Nous n’avons pas d’eau, nous devons boire celle non potable des robinets dans les toilettes".

 

Alors que j’étais dans le centre depuis seulement quelques jours, des détenus soudanais se sont révoltés et je me suis joint à eux. Nous tapions sur les murs et les portes en criant : ‘On a faim, on a soif’ mais rien n’a changé. C’était notre seul moyen de se faire entendre.

Le lendemain, alors que les gardes distribuaient les repas, plusieurs personnes ont tenté de s’enfuir. Moi aussi, je suis parti en courant mais les gardes nous ont pourchassés en nous tirant dessus. J’ai finalement fait demi-tour pour revenir à la prison car je ne savais pas où aller et je savais qu’ils me chercheraient, me retrouveraient, et me tueraient.

Deux balles dans les pieds

Au moment où je suis revenu dans le centre, un des Libyens m’a tiré deux balles dans les deux pieds. J’ai crié de douleur mais ils ont continué à me battre en me mettant des coups dans la tête et le ventre.

Deux autres personnes ont été blessées ce jour-là : l’une a eu une balle dans la cuisse, une autre au mollet et une dernière est décédée après avoir reçu une balle dans le ventre.

J’ai été envoyé à l’hôpital où je suis resté trois jours. Ils m’ont retiré les balles et j’ai été renvoyé en prison [le centre de détention, ndlr].

J’ai réussi à en sortir en fin de semaine dernière car un ami Camerounais basé à Tripoli a payé ma rançon qui s'élevait à 2 500 dinars libyens [un peu moins de 1 600 euros, ndlr].

J’ai appelé des amis qui m’ont envoyé un taxi et je les ai rejoints dans leur appartement à Tripoli. Ils m’ont acheté des béquilles car je ne peux pas marcher, j’ai les deux pieds dans le plâtre.

J’ai des douleurs insupportables mais je n’ai pas de médicaments. Je ne sais même pas si je pourrais réutiliser mes pieds un jour."

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.

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