Depuis plusieurs semaines, les Canaries font face à une recrudescence des violences perpétrées contre des migrants, accusés de tous les maux par les habitants. Human rights watch parle d'une situation "prévisible", qui s'explique selon l'ONG par "l'incapacité du gouvernement à gérer humainement et rationnellement l'augmentation des arrivées" dans l'archipel.
L'île de Grande Canarie est depuis plusieurs semaines la cible d'attaques racistes. Ce qui avait commencé par des discours anti-migrants s'est transformé au fil des jours par des menaces et des violences physiques envers des exilés, rapportent les médias espagnols.
La semaine dernière, au moins quatre manifestations ont eu lieu sur l'île pour dénoncer la présence des migrants dans l'archipel espagnol, qui provoque selon eux, une montée de l'insécurité. Les manifestants estiment qu'ils doivent protéger leurs femmes, leurs enfants et leurs biens contre une "invasion". Dans plusieurs villes de Grande Canarie, "des citoyens armés se font désormais justice eux-mêmes", signale le quotidien espagnol El Pais.
Dans certains centres d'hébergement, la tension est telle que les migrants n'osent plus en sortir, de peur d'être agressés par des résidents de l'île. Dans une école du quartier d'El Lasso à Las Palmas, transformée en lieu d'accueil, au moins sept personnes originaires du Maroc ont été prises à partie par des locaux en seulement quatre jours.
"Assez de menaces"
"Mardi après-midi, nous sommes allés chercher de l'argent que ma famille m'avait envoyé. Une voiture avec quatre personnes à l'intérieur nous a arrêtés au milieu de la rue. Ils ont brandi des gros couteaux et ont tiré en l'air avec des pistolets à plomb. Nous n'avons pas eu d'autre choix que de nous enfuir", explique à El Pais Monsiffe, un Marocain de 24 ans.
La Fondation Cruz Blanca, qui gère la structure, a dénoncé à plusieurs reprises les menaces qu'elle reçoit. "Assez de jeter des pierres sur le centre. Assez de voir nos nouveaux voisins crier 'terroristes'. Assez de menaces. Assez d'agressions", a déclaré l'ONG dans un communiqué publié mercredi 27 janvier.
Les violences envers les migrants se sont accentuées au gré des rumeurs et d'agressions commises par des exilés qui restent extrêmement "rares", selon la police. D'après des jeunes Canariens, rencontrés par El Pais, un Marocain aurait agressé sexuellement une habitante de Grande Canarie. Quelques jours plus tard, un Maghrébin a été violemment battu par des résidents de l'île. "Nous ne savons pas s'il a fait quelque chose ou non. Mais il a eu le malheur de se perdre", a raconté l'un des jeunes. "Les Moros [nom péjoratif donné aux Maghrébins, ndlr] vont avoir du mal [à rester sur l'île]. Si l'un d'entre eux se présente ici, il va se réveiller soit dans une unité de soins intensifs, soit dans un cercueil", a-t-il ajouté.
Ouverture d'une enquête
Face à la recrudescence des violences, les patrouilles de police ont été intensifiées dans plusieurs quartiers de Grande Canarie.
Lundi 1er février, la procureure de Las Palmas, Beatriz Sanchez, a annoncé l'ouverture d'une enquête contre plusieurs membres d'un groupe de discussion WhatsApp qui tentaient de s'organiser pour intimider ou agresser des migrants. La justice s'intéresse particulièrement à plusieurs messages échangés il y a deux semaines appelant les participants au groupe à se rendre dans le sud de Grande Canarie afin d'attaquer des exilés hébergés dans des complexes touristiques, temporairement utilisés comme centre d'accueil, a indiqué l'agence de presse espagnole Efe.
Felipe Gonzalez Morales, le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'Homme des migrants, a demandé lundi qu'une "enquête approfondie soit menée" sur les tentatives d'agressions subies par plusieurs exilés, "afin que la situation ne dégénère pas".
Une situation "prévisible"
Les Canaries font face à un important afflux de migrants depuis l'an dernier. En 2020, plus de 20 000 personnes ont débarqué dans l'archipel situé au large des côtes ouest-africaines - contre moins de 3 000 en 2019. Le gouvernement espagnol procède bien à quelques transferts vers le continent mais ils sont très rares. La plupart des exilés se retrouvent ainsi piégés sur ce petit territoire perdu au milieu de l'Atlantique. L'archipel est devenu une véritable prison à ciel ouvert pour ces migrants désireux de s'installer en Europe. On compte environ 7 000 exilés sur l'île de Grande Canarie.
"Le maintien [des migrants] sur les îles contribue à l'intolérance et aux violences croissantes (...) Il n'y a jamais d'excuses pour justifier la xénophobie, mais il y a une explication : l'incapacité du gouvernement à gérer humainement et rationnellement l'augmentation des arrivées", a affirmé sur Twitter Judith Sunderland, de l'ONG Human rights watch, pour qui cette situation était "prévisible".
infomigrants