En répondant à une question sur les accusations de mauvais traitements des migrants clandestins portées contre l’Algérie, M. Bedoui déclare : «Notre pays a exprimé son refus d’ouvrir des centres de rétention pour les migrants illégaux. Je pense qu’on a été clair. La position de l’Algérie est connue. Elle a été exprimée par le ministre des Affaires étrangères.»
Puis il explique : «Tout le monde voit que nous déployons beaucoup de moyens et nous prenons beaucoup de mesures dans un cadre humanitaire conforme aux valeurs universelles et internationales. Il est donc exclu que l’Algérie ouvre une quelconque zone de rétention.» Les précisions ne sont pas fortuites.
Elles viennent en réponse aux fortes pressions exercées par certains Etats sur l’Algérie pour qu’elle ouvre ses portes aux migrants clandestins, qu’elle les accueille dans des centres de rétention, installés sur son territoire et dont la gestion serait confiée à des ONG internationales.
Ces pressions ont coïncidé avec des arrivées massives de migrants illégaux qui se sont multipliées ces dernières années grâce aux réseaux de passeurs installés au Niger. De nombreux enfants se sont retrouvés enrôlés par des réseaux de mendiants, alors que des femmes sont prises en otages dans des circuits de prostitution.
A la demande de Niamey, des opérations de rapatriement, aux frais de l’Algérie, sont menées depuis 2014, et ont permis le transfert jusqu’à Agadez de près de 70 000 Nigériens. Néanmoins, le phénomène de migration clandestine n’a pas pour autant reculé. Et malgré les moyens colossaux mis en place pour leur rapatriement, de lourdes accusations de maltraitance des migrants sont dirigées contre Alger.
Au mois de février dernier, profitant d’une visite au centre de transit de migrants ouest-africains d’Agadez (Niger), géré par l’OIM (Organisation internationale des migrations), le ministre de l’Intérieur nigérien, Mohamed Bazoum, a exprimé sa colère contre l’Algérie en disant : «Nous avons 770 jeunes en transit, dont une écrasante majorité sont des jeunes Africains retournés d’Algérie (…). Nous sommes prêts à accueillir tous les Nigériens que les Algériens ne souhaiteraient plus voir sur leur territoire. Cela ne nous pose aucun problème.
Et aussi longtemps qu’ils en renverront, nous serons disposés à les accueillir à la frontière et à les ramener, chacun chez lui (…). Nous avons eu de longues discussions avec les autorités algériennes à plusieurs reprises, au cours desquelles nous leur avons demandé de ne plus nous renvoyer des jeunes du Mali, de Guinée et d’autres pays. Nous avons dit aux autorités algériennes de cesser de nous envoyer des jeunes Africains.
La Guinée est plus proche du Mali que du Niger, mais ils nous renvoient les Maliens, ils nous renvoient les Guinéens, ils nous renvoient les Sénégalais… Cette situation est déplorable, elle n’est plus supportable.»
Le pavé dans la mare du ministre de l’intérieur nigérien
L’Algérie se retrouve au banc des accusés au moment où le CBF (Comité bilatéral frontalier) algéro-nigérien (créé en 1997) commençait à connaître sa vitesse de croisière, avec l’organisation de quatre sessions, tenues alternativement à Alger et à Niamey.
La dernière a eu lieu les 30 et 31 juillet 2015 (à Niamey), avec comme recommandations la nécessité de «juguler le phénomène de l’immigration illégale, le renforcement des moyens de lutte contre la contrebande et l’insécurité, l’organisation de patrouilles simultanées, coordonnées au niveau des frontières communes avec des points de jonction pour l’échange d’informations».
Au mois de mai dernier, c’est le HCDH (Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme) qui emboîte le pas au ministre de l’Intérieur nigérien en appelant l’Algérie «à cesser les expulsions collectives de migrants, notamment originaires d’Afrique subsaharienne».
Hier, à l’ouverture des travaux de la 6e session du Comité bilatéral frontalier algéro-nigérien, les discussions tournaient autour de cette question de gestion de l’immigration clandestine. A l’ordre du jour de cette réunion, plusieurs dossiers relatifs au renforcement de la coopération sécuritaire et socioéconomique au niveau des zones frontalières.
Présidée par le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, et le ministre nigérien de l’Intérieur, de la Sécurité publique, de la décentralisation et des affaires coutumières et religieuses, Mohamed Bazoum, la réunion a vu la mise en place d’un groupe de travail, composé de représentants de la direction générale de l’aménagement et de l’attractivité territoriale et de l’Agence nationale à l’aménagement et à l’attractivité territoriale et les instances homologues au Niger, dont la mission est de «traiter les questions liées au développement socioéconomique au niveau des régions frontalières, mais aussi celles ayant trait à la sécurité et à la circulation des personnes, notamment la sécurisation des zones frontalières, le renforcement des relations entre les services de sécurité des deux pays, le renforcement de la lutte contre la criminalité sous toutes ses formes, la facilitation de la circulation des personnes et des biens dans le cadre légal et de prévenir l’immigration clandestine».
Pour Noureddine Bedoui, la zone frontalière entre les deux pays constitue «un pont pour la promotion de la fraternité, de la coopération et de la complémentarité», mais, précise-t-il, «elle fait face à des contraintes sécuritaires multiples, dues essentiellement à la présence de groupes terroristes qui s’alimentent des fléaux connexes dont en particulier le narcotrafic». Si M. Bedoui insiste sur le volet sécuritaire, notamment le problème de l’immigration clandestine, son homologue nigérien ne semble pas avoir les mêmes préoccupations.
Ni son discours d’ouverture ni sa déclaration face à la presse n’ont fait référence à ce fléau, préférant parler des «progrès substantiels» dans «certains» domaines de coopération comme «le démarrage des travaux de construction de la voie Arlit-Assamaka (255 km), la tenue de la 68e session du comité de liaison de la route transsaharienne, le forage de 12 ouvrages hydrauliques et la réalisation de la dorsale transsaharienne de la fibre optique sur 205 km».
Le ministre nigérien plaide néanmoins pour «des mesures d’accompagnement» pour «améliorer notre performance de mise en œuvre des recommandations qui seront issues de la 6e session», suggérant au passage, «la nécessité de la création d’un cadre d’échange et de concertation entre les forces de sécurité intérieure et des douanes des deux pays».
Il rappelle, enfin, l’octroi par l’Algérie «de bourses aux étudiants nigériens, l’assistance de solidarité de la partie algérienne à travers des dons en produits alimentaires, fournitures scolaires et tentes au profits des populations vulnérables des régions frontalières».
En évacuant le problème de l’immigration clandestine, M. Bazoum ne fait qu’exprimer le désaccord de son pays avec l’Algérie sur cette question.
Aujourd’hui, le comité achèvera ses travaux, avec des recommandations dont l’application reste peu probable, si le différend entre les deux pays n’est pas assaini.
SALIMA TLEMCANI
El WATAN