Lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel: La faiblesse de la gouvernance au cœur du problème

Par kibaru

Lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel

La faiblesse de la gouvernance au cœur du problème

Depuis plus d’une décennie, les pays du Sahel notamment ceux situés dans le Liptako Gourma (Mali, Burkina Faso et Niger) font face à une montée sans précédent de l’extrémisme violent. Cette situation a créé une grande insécurité dans la zone entrainant des milliers de décès, le déplacement forcé de millions de personnes ainsi qu’une crise grave crise humanitaire. Les Etats de la région tente tant bien que mal de venir à bout du phénomène mais les stratégies mises en place jusqu’ici peinent à porter leurs fruits.

Selon une étude menée par l’Institut d'études de sécurité (ISS) « en un an, de janvier 2020 à janvier 2021, la crise sécuritaire a fait près de 6 500 victime au Mali, au Burkina Faso et au Niger. De plus, la violence et l’insécurité qui la caractérisent ont engendré une grave crise humanitaire contraignant plus de 2,7 millions de personnes à  fuir leurs foyers dans l'ensemble de la région. A cette situation s’ajoute le fait qu’elles sont près de 15 millions de personnes au Mali, au Niger et au Burkina Faso à avoir besoin d'une aide humanitaire cette année, soit quatre millions de plus qu'il y a un an, selon l’ONU.

A noter que les pays du Liptako Gourma ont tenté de mettre en œuvre des approches de sécurité plus globales. Toutefois, ces stratégies n’ont toujours pas apporté les résultats escomptés pour barrer la route à l’extrémisme violent. Très souvent, les Etats de la région optent pour les réponses militaires négligeant les liens entre sécurité, gouvernance et développement. Sans ces stratégies holistiques, il sera difficile voire impossible de venir à bout du fléau de l’extrémisme violent. Preuve que ce phénomène est en pleine expansion, on dénombre une dizaine d’organisations extrémistes violentes composées de groupes djihadistes et de milices communautaires opérant dans la région. L’extrémisme violent est donc un phénomène qui menace la sécurité de la région, la stabilité et la consolidation de la démocratie, et, en fin de compte, la qualité de vie des citoyens « ordinaires » dans toute la région de Liptako-Gourma.

Des approches à dominante militaire et sécuritaire

En tout état de cause, il est loisible de constater que la propagation de ce fléau est difficile à contenir, et les méthodes utilisées pour le contrer, avec des approches à dominante militaire et sécuritaire, se sont avérées incompatibles avec les réalités du terrain ; au point d’être considérées comme contre-productives vu l’accroissement du ressentiment au sein des communautés, et de l’existence d’une défiance envers les autorités.

Un avis partagé par Abdoul kassim Fomba, coordinateur de de l’organisation « Think Peace » voulant dire « Pensons paix » en anglais. Il s’agit d’une organisation qui intervient sur des questions de gestion des conflits surtout au niveau inter et intra-communautaire ainsi que tout ce qui est lié à la prévention et à la radicalisation violente notamment en milieu carcéral. Selon lui, tous les facteurs de ce phénomène sont d’abord liés à la gouvernance globale. A ses yeux, les services offerts par l’Etat aux communautés ne sont pas adéquats. D’où l’intervention des groupes terroristes profitant de ces défaillances pour construire des discours qui ont des échos auprès des communautés.

Dans la foulée, il a également souligné le cas des opérations militaires entrainant parfois des dégâts collatéraux qui peuvent toucher des personnes qui ne sont pas forcément concernées. Un autre aspect, selon Fomba, qui peut favoriser l’expansion de l’extrémisme violent c’est surtout le besoin de certaines personnes d’être valorisées en se voyant confier des responsabilités lorsqu’elles intègrent ces groupes. Parfois, ce rôle est attribué aux personnes jugées « moins importantes » ou négligées dans la communauté. Ce qui l’amène parler des problèmes de castes qui sont aussi des griefs exploités par les terroristes. A l’en croire, les questions pécuniaires ne sont pas forcément la raison principale.

La stratégie du déni

Quant au chercheur Ibrahim Maïga, il a cité plusieurs facteurs tels que les perspectives économiques, la mauvaise gouvernance de l’Etat et souvent une volonté de vengeance pour des personnes frustrées pour avoir subi des abus ou perdu des proches au cours des opérations militaires. Selon lui, la zone où ces terroristes sévissent le plus ce sont notamment les bandes frontalières où la présence de l’Etat notamment au niveau des pays du Liptako Gourma ; n’est pas aussi effective. Ce sont des zones où la criminalité transnationale organisée est fortement développée devenant ainsi un terreau fertile pour ces terroristes de développer leurs activités. Pour lui, ces positions sont adoptées pour des raisons éminemment politiques  puisque les Etats tenaient plus à leur image plutôt que de prendre à bras le corps les causes profondes de l’expansion de l’extrémisme violent dans leurs pays. Selon Ibrahim Maïga, ce manque d’anticipation ou déficit d’investissements important dans la prévention a aussi contribué à l’expansion de l’extrémisme violent dans les pays du Sahel.

Eviter d’exposer les personnes ou communautés

S’agissant des solutions, Abdoul kassim Fomba reconnait l’utilité de la réponse militaire et sécuritaire, toutefois il souligne la nécessité d’éviter autant que faire se peut les dégâts collatéraux. Par ailleurs, il estime aussi nécessaire que les interventions militaires soient accompagnées par un retour effectif des services de l’Etat afin de ne pas créer de vide. Une situation qui pourrait aussi mettre en danger les communautés ou les personnes ayant accepté de collaborer avec l’armée.

Gestion de la problématique des frontières

Pour sa part, le chercheur Ibrahim Maïga estime qu’il existe plusieurs niveaux d’intervention. A ses yeux, ce que chaque pays doit faire c’est d’améliorer d’abord la réponse militaire. Même si à ses yeux, cela n’est pas suffisant, il permet au moins de créer un rapport de force favorable à d’autres types de réponse. Pour lui, la situation a atteint un tel niveau de dégradation qu’il est inenvisageable de faire d’autres types d’action sans un minimum de sécurité. Il a aussi avancé la nécessité d’améliorer la qualité de la réponse militaire en tenant compte des réalités et dynamiques locales ainsi que la collaboration avec les populations. Pour faciliter cette collaboration, il met l‘accent sur la nécessité d’éviter de commettre des exactions et des abus lors des opérations militaires. S’y ajoute la nécessité pour lui, d’une profonde introspection pour savoir comment les Etats gouvernent les populations et les espaces frontaliers qui constituent le point de départ de l’extrémisme violent. Par ailleurs, il a également insisté sur l’amélioration de la gouvernance au niveau local et central. Selon lui, il faut une gouvernance qui réponde aux besoins de ces populations.

Maciré DIOP