Depuis le vote de la loi Asile et immigration, l’application des "interdictions de retour en France" (IRTF), délivrées aux migrants qui doivent quitter le sol français, est plus stricte. Les IRTF non respectées empêchent toutes les futures tentatives de régularisation partout sur le sol européen. Explications.
Depuis le vote de la loi Asile et immigration en France, les mesures d’éloignement ont été modifiées. Selon la Cimade, l’association qui vient en aide aux étrangers, elles se sont considérablement "durcies".
Entrée en vigueur le 1er janvier, la nouvelle loi précise que, désormais, les personnes qui doivent quitter le territoire "immédiatement" reçoivent automatiquement une interdiction d’y revenir.
En termes plus juridiques, cela signifie que les personnes visées par une une obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec effet immédiat, appelé "obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire"*, sont aussi sous le coup d’une "interdiction de retour sur le territoire français" (IRTF).
Les IRTF peuvent aller de 1 an à 5 ans maximum. La durée dépend de la préfecture en charge de votre dossier.
"L’IRTF n’expire pas tant que le migrant n’est pas sorti du territoire"
Les ONG d’aide aux migrants déplorent non seulement le "package" OQTF/IRTF mais elles s’insurgent surtout contre son mode d’application. "L’IRTF ne se déclenche que le jour où le migrant quitte la France", explique Steve Irakoze, juriste à la Cimade. En effet, c’est désormais l’exécution de la mesure d’éloignement qui prévaut – et non plus sa simple notification par réception d'un courrier postal (ou remise en mains propres, après un passage au commissariat, par exemple).
"L’IRTF n’expire pas tant que le migrant n’est pas sorti du territoire. Par exemple, explique la Cimade, si je suis Malien et que je reçois une OQTF assortie d’une IRTF de deux ans, je dois impérativement prouver que je suis sorti d’Europe pendant deux ans, avant d’y revenir".
Pour apporter la preuve de sa sortie du territoire français, un migrant doit présenter le tampon de la douane sur son passeport, par exemple. Mais là encore, selon la Cimade, la procédure est complexe. "Il faut expliquer à la personne renvoyée qu’une fois dans son pays, elle doit envoyer la photocopie de son passeport au consulat français pour prouver que son IRTF a bien été respectée. C’est vraiment très compliqué…", déplore Steve Irakoze.
"On va créer des clandestins à vie"
La loi s’assure que les fraudeurs seront toujours perdants et que rien ne sert de se cacher pendant la durée de son IRTF. "Si je reçois une IRTF de 1 an, et que je me cache pendant un an, je suis bloquée. Mon IRTF n’aura pas expiré puisque, techniquement, elle n’aura pas commencé. L’IRTF commence le jour de la sortie de l’UE", répète Steve Irakoze. "Vous pouvez vous cacher 2 ans, 3 ans, 10 ans… Si vous n’êtes pas parti, l’État Français aura toujours la mention ‘interdiction de revenir’ dans votre dossier."
La préfecture qui réexaminera le dossier aura toujours besoin d’une preuve que le débouté a quitté le territoire.
"Le gouvernement va donc créer des clandestins à vie", dénonce la Cimade. "Les migrants qui n’auront pas effectué leur IRTF sont bloqués indéfiniment. Ils ne pourront plus se régulariser - même s'ils ont d'autres éléments à faire valoir (état de santé, vie privée ou familiale...) - ils ne pourront plus avoir une chance de s’intégrer."
"Cette mesure [...] est un formidable outil pour briser des vies en les rendant illégales à jamais", écrit la Cimade dans un communiqué.
Selon un rapport du ministère de l’Intérieur, 25 445 interdictions de retour ont été prononcées en 2017 contre 4 798 en 2016.
Peut-on tenter sa chance dans un autre pays ?
Les "interdictions de retour" délivrées en France s’appliquent à tout le territoire européen. Les IRTF sont inscrites et enregistrées dans le Système d’Information Schengen (SIS). Pendant la durée d’une IRTF, un migrant est interdit de poser le pied dans l’espace Schengen.
Un migrant qui a reçu une IRTF en France, ne pourra donc pas déposer une demande de régularisation en Espagne ou en Italie, par exemple.
"L’IRTF entraîne une alerte dans tout l’espace Schengen. Et quand l’IRTF prend fin, il y a normalement un effacement du signalement dans le fichier européen", explique la Cimade.
En France, en cas de contestation, seul le préfet a le pouvoir d’abroger une IRTF.
Les OQTF sans IRTF
Lorsque le refus d’accorder l’asile est signifié à un migrant, la préfecture lui fait parvenir une obligation de quitter le territoire français (OQTF) par lettre recommandée avec accusé de réception.
Vous avez - à compter de la date de réception de l’OQTF - un mois pour partir par vos propres moyens. C’est ce qu’on appelle une OQTF "avec délai de départ volontaire".
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