Neuf Occidentaux, dont deux Français, sont actuellement otages dans différentes zones du Sahel où sévissent des groupes jihadistes. Pourtant, ni l’opinion publique ni la diplomatie ne semblent vraiment se préoccuper de leur sort.
Qui connaît Sophie Pétronin ? Son nom, ou encore son visage ? Il ne s’affiche pas en vignette au journal de 20 heures ou sur une affiche déroulée devant la façade d’une mairie, comme ce fut un temps l’habitude pour manifester la solidarité de la France avec ses otages à l’étranger. Désormais, on les oublie plus facilement. Ils sont devenus invisibles, on pourrait les croire inexistants. Outre Sophie Pétronin, un autre Français est otage au Sahel – il a été enlevé fin mars au Tchad. Un Français a par ailleurs été enlevé début mars en république démocratique du Congo (RDC).
«Il n’y a plus d’otage français à l’étranger», avait déclaré François Hollande en décembre 2014, au lendemain de la libération de Serge Lazarevic, détenu pendant trois ans au Mali. Mais en janvier cette année, lors du sommet Afrique-France dans la capitale malienne, Bamako, le Président n’aura pas un mot pour la Française Sophie Pétronin, enlevée à peine quinze jours plus tôt.
Mystérieux
Agée de 72 ans, Sophie Pétronin gérait depuis seize ans une ONG d’aide à l’enfance, très active à Gao au Nord Mali, lorsqu’elle a été enlevée devant les locaux de son association, le 24 décembre 2016 par trois hommes masqués et armés, à bord d’un pick-up. «Et depuis plus rien. Ni revendication, ni preuve de vie», soupire son fils Sébastien, qui attend chaque jour un message des mystérieux ravisseurs de sa mère. Incapable d’attendre «sans rien faire», Sébastien Pétronin s’est déjà rendu deux fois à Gao. Ce ne fut jamais simple, pour des questions de sécurité évidentes, et il lui a fallu forcer bien des réticences. Désormais il est également décidé à sortir de son silence. Parmi les familles d’otages, il n’est pas le seul à être écartelé entre un «coming out» médiatique qui pourrait compliquer les négociations et la crainte de voir un proche retenu en otage sombrer dans l’oubli.
Au Sahel, vaste zone désertique où la France est en guerre contre les forces jihadistes, ce cercle des otages disparus concerne aujourd’hui neuf Occidentaux, dont personne ne parle, ou si peu. Certains n’ont jamais donné signe de vie après leur enlèvement. Comme Sophie Pétronin ou l’Américain Jeffery Woodke, un humanitaire de 56 ans, installé au Niger depuis plus de vingt ans, qui a été enlevé dans la petite ville d’Abalak le 14 octobre 2016, puis emmené au Mali voisin, et dont on reste depuis sans nouvelles.
C’est aussi le cas de la religieuse colombienne Gloria Cecilia Argoti, emmenée de force le 7 février 2016 par cinq hommes en armes qui avaient pénétré dans l’enceinte de sa congrégation de Karangasso, dans le sud du Mali. Sans oublier, le mystérieux otage français enlevé à Goz Beïda, dans le sud-est du Tchad, le 23 mars, et dont ni les autorités tchadiennes ni l’entreprise minière qui l’employait officiellement, Tekton Minerals, contactée en vain par Libération, n’ont voulu dévoiler l’identité. Il serait aujourd’hui retenu dans une zone difficile d’accès du Soudan voisin, aux mains d’un groupe rebelle local, selon la presse tchadienne. D’autres se sont exprimés, dans des vidéos distillées en fonction des stratégies opaques de leurs ravisseurs. Beatrice Stockly, une Suisse, protestante militante, était revenue à Tombouctou après y avoir déjà été enlevée une première fois pendant neuf jours en avril 2012, peu après la prise de la ville par les jihadistes. Elle sera à nouveau enlevée dans cette ville du Nord Mali, en janvier 2016. Dans une première vidéo, envoyée peu après, le porte-parole de ses ravisseurs – qui curieusement s’exprimait dans un anglais sophistiqué – l’accusait d’être «une religieuse en guerre contre l’islam» et exigeait la libération de jihadistes emprisonnés en échange de l’otage. Mais aucune revendication n’accompagne la vidéo la plus récente, diffusée en janvier, qui la montre épuisée, la tête recouverte d’un voile noir.
«En coulisses»
Pas de revendication exprimée non plus pour Iulian Ghergut, qui apparaît pourtant sur une vidéo en novembre. Ce Roumain, responsable de la sécurité d’une mine de manganèse, a été enlevé le 4 avril 2015 à Tambao, dans le nord du Burkina Faso. Trois mois auparavant, un couple d’Australiens octogénaires avait été enlevé dans cette région frontalière du Mali. Ce 15 janvier 2015, leur kidnapping, revendiqué rapidement par le groupe jihadiste malien Ansar Dine, était pourtant passé quasi inaperçu : le jour même, des attentats sanglants décimaient pour la première fois la capitale burkinabé, Ouagadougou faisant une trentaine de victimes. Jocelyn Elliott sera libérée un mois plus tard. Mais pas le docteur Arthur Kenneth Elliott, 82 ans, le seul médecin de la localité de Djibo où il avait créé une clinique en 1972. En novembre 2016, les autorités burkinabé lui ont offert la nationalité in absentia, après avoir affirmé que ce médecin très populaire «n’était pas détenu au Burkina».
La piste des otages mène souvent vers ce Nord Mali, où la menace jihadiste n’a jamais été évacuée. C’est aussi là que se trouve certainement Stephen McGowan. En découvrant la dernière vidéo envoyée par ses ravisseurs, en décembre 2015, sa famille s’était réjouie. Le visage couvert d’une grande barbe, le routard sud-africain remerciait les discrets négociateurs qui œuvraient à sa libération. «Mais depuis nous n’avons plus aucune nouvelle. Les négociations se déroulent en coulisses, souvent sans tenir les familles informées», explique d’une voix lasse Malcolm McGowan, le père de Stephen, contacté à Johannesburg en Afrique du Sud. Son fils est prisonnier du désert depuis 2011. Après avoir travaillé un temps à Londres, ce jeune marié avait décidé de rentrer chez lui en Afrique du Sud, en traversant le continent à moto. Il aura suffi d’une pause à la terrasse d’une guest house de Tombouctou, dans le nord du Mali, pour que le destin soudain bascule.
Cinq ans séparent l’enlèvement de Stephen McGowan de celui de Sophie Pétronin. Quand le premier a été contraint de monter dans un pick-up sous la menace d’hommes en armes, le 25 novembre 2011, les jihadistes n’avaient pas encore conquis la partie septentrionale du Mali. Il y avait même encore des touristes à Tombouctou. Comme Stephen. Comme le Suédois Johan Gustafsson et le Néerlandais Sjaak Rijke, enlevés en même temps que lui, alors qu’un jeune Allemand qui tentera de résister sera abattu à bout portant. Sjaak Rijke sera finalement libéré par hasard, lors d’une opération des forces spéciales françaises contre une maison suspecte près de Tessalit en avril 2015. Ses deux compagnons d’infortune sont désormais les plus anciens otages occidentaux du Sahel.
Cinq ans plus tard, quand Sophie Pétronin est kidnappée à son tour à la veille de Noël, les jihadistes ont officiellement perdu le contrôle du Nord. Gao, la ville où vivait Sophie, accueille désormais la plus grande base de Barkhane, l’opération militaire française qui couvre le Sahel. «Je ne peux m’empêcher de penser que son enlèvement est un pied de nez à la France», soupire son fils Sébastien. La poursuite de la guerre dans le Sahel ne facilite pas le sort des otages occidentaux et a fortiori français. «Sarkozy acceptait de payer des rançons… Officiellement avec Hollande, on ne paye plus. Même si les dernières libérations incitent à se poser des questions. Mais le problème c’est qu’en France, la réponse ne dépend que d’un seul homme, le président de la République», constate Laurent Bigot, spécialiste du Sahel, longtemps diplomate au Quai d’Orsay, actuellement en disponibilité.
Ses propos, souvent jugés iconoclastes, ne lui ont pas attiré la faveur de son administration d’origine. Fin février, à la suite de ses commentaires dans une émission d’Envoyé spécial consacrée à la libération des otages d’Areva en 2013, une procédure disciplinaire a même été déclenchée contre lui par le Quai d’Orsay. «Des propos pourtant très banals», s’étonne l’intéressé, qui fait remarquer combien l’enquête diffusée sur France 2 fin janvier révèle un «malaise» sur l’opacité des circuits impliqués dans les négociations : «Les journalistes ont eu accès à des notes confidentielles. Lesquelles ont été forcément fournies par des fonctionnaires insatisfaits», note l’ancien diplomate.
En principe, la justice française, systématiquement saisie à chaque prise d’otage, devrait pouvoir faire la lumière. «Mais l’instruction s’éteint dès qu’il y a décès ou libération, alors que l’infraction est toujours d’actualité. Résultat, c’est la justice du talion qui s’impose : on apprend parfois qu’un ravisseur a été « neutralisé », c’est-à-dire tué. En réalité, on ne veut pas savoir la vérité et une démocratie en guerre se retrouve à tolérer des assassinats ciblés», constate encore l’ancien diplomate, qui s’insurge également contre la loi du silence imposée aux familles d’otages : «Le silence ne sert à rien. La pression médiatique sur les otages est la seule chose qui fait bouger le pouvoir politique en France».
Liberation