Entretien exclusif avec Mahamadou Cissé, président du CNJ-France de retour de Kidal: « Ma visite était destinée à m’imprégner d’autres réalités de mon pays »

Par kibaru
Mahamadou Cissé (à droite) en compagnie de Algabass Ag Intalla (HCUA)

Mahamdou Cissé, est le président du Conseil national de la jeunesse malienne de France. Il a fait des études de commerce dans de prestigieuses écoles en France. Ce qui l’a amené à lancé une startup dénommée « Fikaso » qui est un nouveau service de livraison de Plats et de courses de tous les restaurants de Bamako. Il revient de Kidal où il a effectué une visite à l’invitation des jeunes de cette ville. Il a bien voulu accorder au site www.kibaru.ml cet entretien dans lequel il revient sur les raisons de ce déplacement et les perspectives pour la jeunesse de son pays.

www.kibaru.ml ? Vous revenez de Kidal où vous avez récemment effectué une mission qui s’achève au moment où l’armée reconstituée opère son redéploiement dans cette ville. Quel était l’objet de votre déplacement ?

Mahamadou Cissé : Ce déplacement a été effectué suite à une invitation que m’a adressée la jeunesse de Kidal. J’y ai répondu favorablement en allant à leur rencontre. C’était une manière pour moi de découvrir cette partie de mon pays que je n’ai pas encore eu l’occasion de voir. J’avais fait toutes les régions sauf celles du Nord et quand l’occasion s’est présentée je n’ai pas hésité. Premièrement, je considère que ce sont des jeunes Maliens comme moi qui y sont, donc c’était un honneur pour moi d’aller à leur rencontre. Puis, c’était une occasion pour moi de m’imprégner en tant que jeune malien du sud et surtout de la diaspora, sur certaines réalités de cette zone. Mes impressions sont assez complexes dans le sens où c’est la première fois que je rentre dans une ville où il n’y a pas l’armée régalienne. Et ensuite, c’était un peu étrange pour moi de voir d’autres drapeaux différents de celui que j’ai l’habitude de voir. Donc, à première vue, on a l’air bizarre.

Après, on s’intéresse aux gens pour échanger avec toujours notre petit regard de jeune sans coloration politique et sans jugement. Je voulais juste comprendre les raisons évoquées par ces jeunes. Durant mon séjour, j’étais avec un jeune de 25 ans qui appartient à la CMA. Il m’a raconté avoir commencé ses études supérieures ici à Bamako. Mais il a fini par rejoindre la rébellion. Je me suis donc intéressé aux raisons qui l’ont poussé à cet âge-là, à prendre cette décision. Il m’a raconté son parcours. Je ne pouvais donc pas savoir certaines réalités si je n’avais pas effectué ce déplacement et que je n’étais pas en contact direct ces jeunes. Je suis aussi allé à la rencontre d’autres personnes comme le chef de village, des dignitaires et des responsables. Tous m’ont aussi parlé de leurs réalités étant donné que nous sommes dans une ville aux mains de groupes armés surtout de la CMA. L’occasion  m’a donc été offerte de rencontrer Bilal Ag Acherif à son domicile où nous avons eu 30 minutes, voire plus, d’échanges qui ont essentiellement porté sur la jeunesse. Il a également eu des messages d’encouragement à mon endroit. Pour lui, ce n’était pas évident de voir un jeune de la diaspora prendre son courage à deux mains pour venir rencontrer ses camarades jeunes de Kidal pour parler d’avenir et de perspective.

Pour ma part, tout cela me donne l’espoir de dire que tout n’est pas perdu. Même si nos aînés et dirigeants n’y arrivent pas, le fait que cette jeunesse puisse se parler, se comprendre et apprendre à se connaître c’est le début de quelque chose. Je pense que des deux côtés, on doit encourager ce genre d’initiative. Ce qui m’a encore été confirmé par Algabass Ag Intalla, secrétaire général du HCUA qui était très surpris de me voir à Kidal. Pour lui, si on parle d’un Mali un et indivisible, il ne faut pas que çà soit de simples slogans, mais des actes. A ses yeux, chaque malien devrait se déplacer sur l’ensemble du territoire national sans être inquiété. Il a dit que le déplacement que j’ai effectué illustre le Mali un et indivisible. Il espère que c’est un message fort pour les autres jeunes du Mali ou de la diaspora.

Mes impressions sont donc assez mitigés et partagés, mais j’ai bon espoir que les choses vont aller mieux. Déjà, on parle du redéploiement de l’armée reconstituée. J’en parlais même avec ces jeunes pour avoir leur avis. Certains sont très favorables à ce retour. Pour moi, cette situation va aussi permettre un retour des services sociaux de base. A Kidal, je n’ai pu voir qu’un CSCOM où j’ai eu des échanges avec le personnel. J’ai demandé aux jeunes de Kidal ce qu’ils en pensaient de ce retour de l’armée. Çà a été des débats francs et ouverts. J’ai aussi pu me rendre compte qu’il y avait beaucoup de femmes et de jeunes qui sont encore très hostiles au retour de l’Etat malien. Je pense qu’il faudra bien travailler la communication à ce niveau. Il ne pas commettre un faux pas ou un couac qui pourrait aggraver la situation. Mais à Kidal, on a comme l’impression d’être dans une ville morte. La journée on ne voit pratiquement personne et à une certaine heure c’est le couvre feu. A 13 heures, apparemment c’est l’heure où il y a plus de bandits. Un jeune m’a dit que quand tu ne vois pas la MINUSMA ou Barkhane faire des patrouilles, c’est à ce moment qu’il faut s’inquiéter. Heureusement qu’il ne s’est rien passé.

www.kibaru.ml : Au terme de ce déplacement, est-ce que les questions que vous vous posiez ont eu des réponses et que les équivoques ont été levées ?

Mahamadou Cissé : Oui comme tout jeune Malien surtout issu de la diaspora. Nous sommes au front. L’armée malienne est au front sur le terrain. Le deuxième front c’est surtout les Maliens de la diaspora qui sont les premiers à envahir les plateaux de télé, les radios, les rues pour manifester. Dès fois, on a même l’impression que la diaspora est plus consciente de ce qui se passe que ceux qui sont à Bamako. Forcément, j’avais beaucoup de questions et d’interrogations. Certaines parmi elles ont trouvé des réponses par moi-même en constatant les choses mais aussi à travers les échanges que j’ai eus avec les uns et les autres. Je n’avais quasiment aucun préjugé parce que je ne connaissais vraiment pas le nord et je n’ai pas beaucoup d’amis qui viennent de ces contrées non plus. Souvent, on a comme l’impression qu’au nord ils sont autosuffisants et qu’il y a tout là-bas. On est loin d’imaginer qu’il y a la pauvreté aussi, des gens qui souffrent par le manque d’eau et d’électricité. 

Je me suis arrêté dans le quartier le plus grand de Kidal pour échanger avec un vieux chef de quartier qui était sur son jardin maraicher. Il m’a fait visiter les lieux et il était tellement content qu’il ne m’a pas laissé repartir les mains vides en me remettant la cueillette qu’il venait de faire pour la maison. Je ne voulais pas mais il m’a dit qu’à Kidal on ne dit pas « non ». Il m’a parlé de certaines difficultés que je ne pouvais imaginer sans ce déplacement sur place. Beaucoup ignorent sans doute qu’à Kidal, il y a des gens qui souffrent, qui manquent d’eau, de soin et d’électricité et beaucoup aussi manquent de travail parce qu’il n’y a pas d’activités génératrices de revenus.

www.kibaru.ml : Avez-vous l’impression selon laquelle la jeunesse de Kidal partage les mêmes préoccupations que dans les autres régions du Mali ?

Mahamadou Cissé : Comme partout dans le monde, dès qu’on parle de jeunesse, la question qui revient le plus c’est celle de l’employabilité. La préoccupation que nous partageons tous en tant que jeune c’est le problème d’emploi. Maintenant, chaque localité a aussi ses spécificités, d’où certaines différences. Mais j’ai vu aussi des jeunes qui cherchent du travail, qui veulent ce contact avec le Mali. Ce qui était formidable dans ce déplacement c’est que j’étais avec des gens favorables au Mali, d’autres hostiles et un troisième groupe composé de personnes indécises. Nous avons échangé dans la plus grande courtoisie et sans aucune forme d’animosité. On voyait même un jeune qui avait appartenu au groupe djihadiste Ançar Dine. Au final, entre jeunes, on se retrouve tous autour de cette même problématique qui est l’employabilité. Après l’emploi, l’autre grande préoccupation c’est l’éducation. Moi j’étais loin de penser trouver à Kidal des gens analphabètes parce qu’on nous a fait croire que tous ceux qui sont dans cette zone sont instruits. On voit certains qui ne savent ni lire ni écrire. Ce qui fait d’eux des proies faciles pour les groupes armés et les terroristes.

www.kibaru.ml : Quelles sont les perspectives de cette visite à Kidal que vous venez d’effectuer ?

Mahamadou Cissé : Cette visite comme je vous l’ai, est une initiative des jeunes de Kidal. Je ne suis pas allé en touriste ou en fanfaronnant pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Je suis parti en toute humilité pour rencontrer d’autres jeunes qui peuvent avoir les mêmes réalités que nous et échanger là-dessus. Forcément, il y a des perspectives. J’ai rencontré des jeunes, des femmes et des personnes âgées. Déjà, on est en train de préparer un forum à Paris qui s’intitule « la paix par le biais de la culture ». C’est l’apport des jeunes de la diaspora pour la stabilité du pays. C’est sans doute une suite logique au dialogue national inclusif où il y avait des propositions sur différentes thématiques. Notre apport c’est un forum axé sur la paix. A cette rencontre, j’ambitionne de faire venir des jeunes de Kidal pour nous parler de leurs réalités. Je programme d’organiser ce forum au mois de mars qui sera une suite logique de cette visite. C’est aussi une manière de dire aux Maliens d’apprendre à se connaître pour casser les barrières. Nous ne sommes pas inconscients par rapport aux dangers et à la situation que nous traversons, mais est-ce une raison de rester les bras croisés ? Ce statu quo ne nous arrange pas parce que c’est notre avenir qui est engagé. Notre avenir c’est maintenant et on ne va pas attendre que demain arrive pour récolter ce que nous n’avons pas semé. C’est dès maintenant que nous devons être des acteurs du changement. Nous posons ainsi de petits actes qui auront l’air d’être insignifiants mais on aura eu le mérite d’avoir tenté quelque chose.

www.kibaru.ml:  A vos yeux et à la lumière de ce que vous avez vu, l’espoir est-il permis ?

Mahamadou Cissé : Vous savez jeunesse doit rimer avec espoir. Quand il n’y a plus d’espoir c’est que nous n’avons plus de raison de vivre. Cet espoir est symbolisé par la visite que je viens d’effectuer en toute modestie.  Je suis juste un jeune de la diaspora qui s’est rendu à Kidal. L’espoir c’est aussi l’invitation que les jeunes m’ont adressée. C’est donc une fenêtre à explorer. Il faut croire à la jeunesse. Parce que quand on regarde cette crise, elle est répétitive et on ne va pas attendre que çà revienne dans 10 ans. Ce sont ces jeunes qui peuvent tout changer. Dans 10 ans, ce sont ces mêmes jeunes qui iront soit vers une paix définitive ou refaire la rébellion. C’est dès maintenant qu’il faut agir. L’espoir est permis parce que c’est cette jeunesse commence à se parler et à se comprendre. Cette jeunesse m’a invité en tant que jeune de la diaspora pour aller donner mon avis et regarder les choses. Ils m’ont écouté et surtout permis de poser des jalons pour des actions concrètes que nous aurons à faire ensemble. Dans cette collaboration, les choses vont se mettre en place et on va espérer aller vers un pays apaisé et la volonté des autorités d’envoyer l’armée reconstituée vient conforter cet espoir que je nourris d’avoir un Mali uni, indivisible et en paix. Çà sera surement dans les prochains jours, mais l’espoir est permis. Il faut donner la parole aux jeunes et s’appuyer sur eux pour ramener la paix.

www.kibaru.ml: Un mot de la fin…

Mahamadou Cissé : Je remercie la jeunesse de Kidal pour l’invitation et l’accueil qui m’a été réservé. Je leur remercie aussi pour l’ouverture d’esprit lors des débats et échanges. Il ne faut pas que ma visite soit perçue comme un effet de mode. Tout jeune qui ambitionne d’aller dans une zone armée, ne doit pas prendre des risques démesurés. Il ne faut pas chercher à prouver quelque chose. Souvent, jeunesse rime avec fougue. Si un jeune veut aller à Kidal ou ailleurs, on estime que c’est possible parce que c’est le Mali avant tout. Il faut tout simplement que ce déplacement soit préparé et réfléchi et que çà ait un but. J’ai bon espoir que la diaspora continuera à se battre pour le Mali et multipliera les actions dans cette partie du territoire national pour que les manquements constatés soient comblés par nos actions et nos projets.