Un groupe de chercheurs mettent en lumière l’impact du réchauffement climatique sur le transport aérien ; l'Afrique, où ce secteur connaît des difficultés importantes, pourrait en pâtir.
Ainsi, du fait du réchauffement climatique, les avions seront amenés dans les décennies à venir à réduire de 0,5% à 4% leur charge utile au décollage, en période de fortes températures. Cette réduction de la charge utile peut s’appliquer aussi bien au nombre de passagers qu'au volume du fret ou à la quantité du carburant transporté.
Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont étudié le comportement de cinq des avions les plus utilisés du moment (Boeing 737-800, Boeing 737-300, Boeing 787-8, Airbus A320 et Airbus A380) dans 19 aéroports situés en Amérique, en Europe et en Asie.
Et ils en déduisent que ces modifications s’appliqueront à 10 à 30% des vols programmés au moment des températures maximales quotidiennes.
Publiée dans la revue Climatic Change1, l’étude explique cette situation par le fait qu'à "mesure que la température de l’air augmente à pression constante, la densité de l’air diminue, ce qui entraîne une baisse de la portance des ailes d’un avion à une vitesse donnée, susceptible d’imposer des restrictions de poids à l’appareil au décollage".
Déjà présentée dans la plupart des études comme le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique, l’Afrique sera-t-elle aussi la plus touchée par ces restrictions ?
"Pas nécessairement", répond Ethan Coffel, chercheur spécialiste de l'impact du changement climatique à l’université de Columbia et auteur principal de l'étude.
Il précise dans une interview aà SciDev.Net que les chercheurs n'ont pas analysé d'aéroports en Afrique, mais en général ceux qui sont situés à haute altitude et avec des pistes courtes verraient vraisemblablement les plus grands changements dans les restrictions de poids, en particulier pour les vols long-courriers".
"Cela dépend de la combinaison de la longueur de la piste, de la température et du type de vols décollant de l'aéroport", précise-t-il.
Cependant, ni l’étude, ni son principal auteur n’indiquent un seuil de température à partir duquel lesdites restrictions pourront être observées. Ethan Coffel se contente de rappeler qu'il n'y a "pas de seuil qui cause une restriction de poids ; il varie selon les aéronefs et l'aéroport. Mais en général, ce sont les jours les plus chauds de l'année qui sont concernés."
Doug Alder, porte-parole de Boeing, explique pour sa part que "du fait de la faible densité de l'air lorsque la température dépasse 120°F (48,8°C), il est plus difficile pour les avions de prendre rapidement de l’altitude".
Décollage et atterrissage
Quoi qu’il en soit, la situation décrite par cette étude ne sera pas tout à fait nouvelle pour les professionnels de l’aviation civile en Afrique.
Pierre Tankam, ingénieur de l’aviation civile hors échelle et ancien directeur général de l’autorité de l’aviation civile au Cameroun, souligne qu'il est "de notoriété aéronautique que la chaleur, mesurée par la température, impacte directement les performances opérationnelles des aéronefs au décollage et à l’atterrissage."
Celui qui fut également le représentant de l’ASECNA2 au Cameroun confirme que "la température affecte la distance nécessaire au décollage et à l’atterrissage ; celle-ci sera plus longue ou plus courte selon que la température sera plus élevée ou moins élevée".
Il poursuit en disant que "lorsque la longueur de la piste est une contrainte d’exploitation, la forte chaleur affecte directement la charge de l’avion ; et le non-respect de cette donne peut compromettre la sécurité aérienne".
D’ailleurs, estime Pierre Tankam, "les perturbations du transport aérien causées par les changements climatiques sont légion" en Afrique.
Joshua Osih, aviateur camerounais et responsable d’une compagnie aérienne locale se charge d’illustrer : "Deux des aéroports où l’on expérimente le plus ce problème en Afrique sont ceux de Nairobi au Kenya et de Johannesburg en Afrique du Sud", dit-il.
Aéroport de Johannesburg
Parlant de l’aéroport de Johannesburg, il rappelle qu'il est situé à 1 700 mètres d’altitude et qu’il y fait très chaud.
Selon lui, c’est pour faire face à l’effet de cette forte chaleur couplée à l’altitude que cet aéroport a l’une des plus longues pistes d’atterrissage au monde, soit plus de 4 400 mètres.
En effet, explique Doug Alder, "un moteur à réaction est moins efficace par temps vraiment chaud et il faut également une piste plus longue pour que l'avion puisse décoller. Donc, si un aéroport donné a une piste courte et s'il y a des montagnes trop proches de la piste, on devra annuler les vols pour certains avions jusqu'à ce que la température baisse".
"Si la piste disponible n'est pas assez longue, certains vols devront peut-être réduire leur poids à travers la diminution du nombre de passagers ou du volume de fret afin de pouvoir décoller", renchérit Ethan Coffel.
L’organisation du trafic aérien sur le continent africain essaie d’ores et déjà de contourner ce problème d’une autre façon.
Car, renseigne Pierre Tankam, "dans les régions à très fortes températures comme les zones sahélo-sahariennes ou les zones désertiques, les activités aéroportuaires sont planifiées en dehors des tranches horaires de la journée où la chaleur est excessivement élevée".
Adaptation
Toutefois, dans la perspective des contraintes encore plus prononcées que prévoit l’étude dans les prochaines décennies, l’intéressé pense que "les concepteurs d’aéroports doivent prendre en compte entre autres données, la température moyenne du site d’implantation pour planifier la construction et l’exploitation de ces infrastructures".
Il rejoint ainsi Ethan Coffel qui confie à SciDev.Net que "l'adaptation la plus probable serait de reporter les vols les plus touchés aux heures plus fraîches de la journée. Il serait également possible d'allonger les pistes des aéroports ; mais cela coûte cher et peut être difficile à faire du point de vue logistique".
A propos justement des coûts, il est à craindre que ces contraintes futures se répercutent sur les tarifs du transport aérien. Car, "si l’avion doit décoller avec moins de passagers, cela peut effectivement entraîner une augmentation du coût du billet d’avion", entrevoit Joshua Osih.
En attendant, les avionneurs aussi cherchent des solutions à ce problème. Ainsi, indique Doug Alder, le porte-parole de Boeing, "nos clients peuvent commander un pack optionnel que nous avons intitulé "high and hot" (haut et chaud). Il permet à l’avion d’avoir un peu plus de poussée et l’équipe de gouvernes légèrement plus larges sur les ailes".
"Cela donne la possibilité à un tel avion de décoller sous des températures plus chaudes et à des altitudes plus élevées", conclut-il.
S’ils se félicitent déjà de ce que le réchauffement climatique soit déjà pris en compte par les acteurs de l’aviation civile, les chercheurs invitent les avionneurs à penser également à améliorer la performance des moteurs d’avions.
Scidev