Un reportage consacré à la libération des otages d’Arlit, en octobre 2013, enlevés au Niger et détenus dans le nord du Mali, est diffusé ce jeudi soir 26 janvier dans l’émission Envoyé Spécial, sur France 2. Parmi les révélations de ce reportage, plusieurs éléments accréditent l'hypothèse d'un lien direct entre les sulfureuses négociations ayant abouti à la libération des otages d'Arlit et l'enlèvement puis l'assassinat 4 jours plus tard (le 2 novembre 2013) de nos deux confrères de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon. L'homme qui a revendiqué ce double assassinat est le même que celui qui détenait les otages d'Arlit. Les assassins de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont-ils agi par vengeance, après s'être sentis floués dans les négociations autour des otages d'Arlit ?
Il a fallu une année de recherches et de témoignages, une année de pressions et de menaces, pour mener cette enquête. On y découvre la guerre des réseaux que se sont menés les services français en lançant des initiatives parallèles pour négocier la libération des otages d'Arlit. Plusieurs intermédiaires sont mis en concurrence, sollicitent ou esquivent, c’est selon, leurs partenaires maliens ou nigériens.
Résultat : les montants exigés par Aqmi augmentent, et la durée de captivité des otages aussi. Des occasions de libération sont bloquées par le général Puga, à l’Elysée, sans que l’on comprenne pourquoi. Motivations politiques, économiques ?
Vengeance d'Aqmi ?
Plusieurs témoins clés -ancien diplomate du Quai d’Orsay, ancien patron des services français de renseignement, négociateurs déçus- suggèrent des pistes. Tout comme ils établissent un lien avec l’enlèvement et l’assassinat, quatre jours plus tard, à Kidal, de nos collègues Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Les acteurs du dossier ainsi que des documents confidentiels du renseignement militaire soulèvent des interrogations : l’argent de la rançon, 30 millions d’euros pour les quatre derniers otages, a-t-il été versé intégralement à Aqmi ? Y a-t-il eu des détournements, au sein des services français ou des réseaux jihadistes ?
Les assassins de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont-ils agi par « vengeance », parce qu’ils se sentaient floués ? Ce reportage dense apporte autant d’éléments qu’il pose de questions. Il pourrait surtout inciter certaines langues à se délier enfin.
Une partie de la rançon des otages d'Arlit détournée en amont ?
Le lien entre les otages d'Arlit et l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon était soupçonné par beaucoup depuis longtemps. Il est aujourd'hui étayé par des éléments-clés.
Il y a d'abord cette note confidentielle des renseignements militaires français. On peut y lire que Baye Ag Bakabo, présenté comme le chef du commando ayant assassiné Ghislaine Dupont et Claude Verlon, aurait « vivement reproché » de n'avoir jamais reçu de somme d'argent en remerciement de son aide apportée dans la « garde d'otages » d'Arlit.
Vient ensuite, à l'appui, le témoignage d'Alain Juillet, ancien patron des services de renseignements. « Il y a certaines rumeurs qui ont couru au Nord-Mali qui disaient que la somme qui avait été donnée la deuxième fois était incomplète, il manquait de l'argent dedans. Cela a mis en fureur un des lieutenants d'Abou Zeid ».
Relance du journaliste : « Adbelkrim el-Targui ? »
Réponse d'Alain Juillet : « C'est ça. Il faut savoir que dans le désert tout se sait. A des centaines de kilomètres de distance, ils savent ce qui se passe ».
Relance du journaliste : « Mais alors une partie de l'argent a été détournée, mais par qui ? »
Réponse d'Alain Juillet : « Justement, c'est la question. Est-ce qu'elle a été détournée avant ? Est-ce qu'elle a été détournée sur place et ça a mis Abdelkrim en furie ? »
Une partie de l'argent a-t-elle été détournée en amont ? Par qui ? Y a-t-il eu une mauvaise répartition au sein des réseaux jihadistes ? Le reportage ne tranche pas la question, mais livre la version de Pierre-Antoine Lorenzi, le négociateur de la libération d'Arlit. Il accuse les services de renseignement français d'avoir refusé de rémunérer des dizaines d'intermédiaires en complément de la rançon.
Geoffrey Livolsi, l'un des auteurs du reportage : « Il évoque la somme de 3 millions d'euros qui n'aurait pas été versée selon lui par la DGSE et on se demande si le fait que 20 à 25 personnes n'aient pas été payées dans le cadre des négociations, est-ce qu'il y a eu des gens qui se sont sentis dupés et qui ont pu vouloir se venger ? »
Autre révélation extrêmement troublante de ce documentaire édifiant, on apprend que l'ordinateur personnel de Ghislaine Dupont, resté à Paris, était espionné depuis plusieurs semaines, et que le 2 novembre précisément, sa boîte mail avait été vidée et l'ensemble de ses mots de passe modifiés, juste avant l'enlèvement.
« Le 12 octobre, raconte Geoffrey Livolsi, y a des virus espions qui sont installés sur son ordinateur et qui vont aspirer certaines données et surtout le jour de son enlèvement, le 2 novembre 2013, quelqu'un va s'introduire sur l'ordinateur et changer l'ensemble des mots de passe avant l'enlèvement de Ghislaine et Claude. Donc c'est quelque chose qui nous a posé des questions, on ne dit pas que c'est obligatoirement lié, mais c'est étrange. »
Selon Michel Despratx, Geoffrey Livolsi et Cheick Amadou Diouara, les auteurs de ce reportage, personne du côté de l'Etat français n'a répondu à leurs sollicitations, que ce soit le ministre de la Défense, le chef de l'Etat, ou l'actuel patron des services de renseignement. Pressions, menaces, portes closes : l'enquête qui a permis à ce reportage de voir le jour n'a pas été de tout repos. Les deux auteurs déplorent notamment le fait que plusieurs témoins qui avaient prévu de leur parler se sont rétractés après avoir été menacés.
Sollicité par RFI mercredi avant la diffusion, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a refusé de répondre aux questions soulevées par ce reportage d'Envoye Spécial et a seulement rappelé qu'une enquête était ouverte.
RFI