Dans une interview exclusive accordée à Sputnik France, le ministère russe des Affaires étrangères s’inquiète du niveau élevé de danger qui persiste au Sahara-Sahel. Pour éviter la création d’un État islamique dans cette région, il prône une «conjugaison des efforts» sur le plan international dans laquelle la Russie prendra toute sa part.
Les récentes attaques au Mali, au Burkina Faso et au Niger inquiètent au plus haut point Moscou. La diplomatie russe est particulièrement alertée par «les cellules dormantes de l’EI* qui constituent une menace particulière». Dans une interview exclusive à Sputnik France, le ministère russe des Affaires étrangères a fait connaitre sa position, révélant que des «filiales africaines de l'EI*, notamment de l'EI en Afrique de l'Ouest et l'EI dans le Grand Sahara, sont actuellement en train d’élargir leur champ d’action.»
Moscou compte donc sur un renforcement de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et du G5 Sahel pour lutter plus efficacement contre la menace djihadiste dans cette région. Et bien qu’elle n’envisage pas, pour l’instant, un élargissement de la MINUSMA à d’autres pays que le Mali, la Russie va renforcer sa coopération bilatérale avec les États membres du G5 Sahel, «y compris pour améliorer les capacités opérationnelles des forces armées, la formation des militaires et des agents des forces de l’ordre» des pays concernés.
Sputnik France: La très grande insécurité qui règne actuellement dans la région du Sahara-Sahel avec une résurgence d’attaques terroristes dans un certain nombre de pays du G5 Sahel, notamment, inquiète-t-elle la diplomatie russe?
Nous sommes extrêmement préoccupés par le niveau élevé de danger qui persiste dans la région du Sahara-Sahel du fait des activités des organisations terroristes liées à l’EI* et à Al-Qaïda* et, particulièrement, le Mouvement pour l'Unicité et le Djihad en Afrique de l'Ouest, Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique et Boko Haram. Les «cellules dormantes» de l’EI* constituent une menace particulière. En effet, après sa défaite militaire en Syrie et en Irak, l’EI* cherche de nouveaux terrains d’action et déplace le vecteur de ses activités vers d'autres pays et régions.
Les «filiales» africaines de l'EI*, notamment de l'EI en Afrique de l'Ouest et l'EI dans le Grand Sahara, élargissent actuellement leur champ d’action. De façon générale, dans les conditions actuelles et dans le contexte de transformation de l'internationale terroriste mondiale, la conjugaison des efforts visant à éviter une «réincarnation» de l'EI* sur le continent africain devient primordiale.
Sputnik France: À la fin du mois d’octobre, le Président du Burkina Faso a invité la Russie à rejoindre le «Partenariat international de lutte contre le terrorisme au Sahel.» Comment la Russie y participera-t-elle et en quoi pourrait-elle contribuer à la stabilisation de la situation au Sahel?
En tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Onu, la Russie contribue de façon constructive à l’examen des questions relatives à la sécurité et à la stabilité dans la région du Sahara-Sahel. Elle participe aussi activement à l’élaboration des textes présentés au Conseil de Sécurité de l’Onu destinés à œuvrer en ce sens et les soutient.
Nous considérons la mise en place du G5 Sahel comme une étape importante du renforcement du potentiel anti-terroriste des États africains. Nous estimons qu’il est important que le soutien international de cette initiative régionale sur le plan matériel, technique et financier soit prévisible et approprié.
La Russie est prête, par ailleurs, à continuer d'apporter sa contribution aux pays du G5 Sahel de façon bilatérale, y compris pour améliorer les capacités opérationnelles des forces armées, la formation des militaires et des agents des forces de l’ordre. Le 18 décembre dernier a eu lieu à Moscou la 5ème réunion du Groupe de travail russo-malien de lutte contre le terrorisme, le crime organisé et le trafic de drogue.
Sputnik France: Plusieurs chefs d’État d’Afrique de l’Ouest demandent un renforcement de la MINUSMA au Sahel. Quelle est la position russe à ce sujet?
La MINUSMA est l’un des principaux éléments permettant d’assurer la sécurité au Mali. Alors que la situation se détériore, que les groupes terroristes redoublent d’activité, que le nombre de victimes civiles et militaires au Sahel continue de croître, nous considérons qu’il est important de maintenir le mandat de la mission et le nombre de casques bleus tels qu’ils ont été définis.
Nous avons défendu cette position lors du vote le 28 juin de la résolution 2480 du Conseil de Sécurité prolongeant d’un an le mandat de la MINUSMA. Nous avons soutenu l’ajout, dans ce texte, d’un second objectif stratégique visant à la stabilisation et au rétablissement de la présence des institutions étatiques dans le centre du Mali.
Nous ne sommes donc pas favorables aux propositions régulièrement réitérées pour réduire cette opération. Mais nous soutenons, au contraire, la position des forces régionales et des membres africains du Conseil de Sécurité en insistant sur l’importance de renforcer le soutien international au Mali et aux autres pays de la région, notamment en prêtant concours à la force conjointe du G5 Sahel.
Sputnik France: Est-ce à dire que la Russie serait favorable à un élargissement de la MINUSMA à d’autres pays du G5 Sahel?
L’objectif premier de la MINUSMA reste le soutien apporté à la partie malienne pour la mise en œuvre de l’accord de paix et de réconciliation signé en 2015. Dans le contexte actuel où les financements sont limités et où il n’y a pas d’unanimité au sein du Conseil de Sécurité de l’Onu, il n’est pas encore possible d’envisager un élargissement du mandat de la MINUSMA à d’autres pays de la région.
Sputnik France: L’une des clefs de la stabilisation de la situation dans le Sahel passe par le Lybie. Quels leviers la diplomatie russe pourrait-elle actionner pour accélérer le processus de réconciliation des parties en conflit dans ce pays?
La normalisation de la situation en Libye permettrait de réduire considérablement les tensions dans les pays voisins. Car les événements de 2011 ont eu pour conséquence de transformer la Libye en l’une des principales sources de dangers et de menaces pour les pays voisins, notamment ceux du Sahel. Il s’agit avant tout de l’expansion du terrorisme, de la prolifération incontrôlée des armes, du trafic de drogue, du trafic d’êtres humains.
La Russie soutient les efforts de règlement de la crise libyenne faits par la communauté internationale. Nous prenons une part active à pratiquement toutes les initiatives multilatérales destinées à parvenir au règlement de la situation en Libye. Nos experts sont très impliqués dans la préparation du sommet de Berlin consacré à la Libye qui devrait se tenir au début de l’année 2020. Nous collaborons également, étroitement, avec le Représentant Spécial et Chef de la Mission d’Appui des Nations unies en Libye, Monsieur Ghassan Salamé.
Par ailleurs, nous entretenons des contacts étroits avec toutes les formations influentes en Libye même. Nous travaillons à les convaincre que les antagonismes actuels ne pourront être dépassés que par une solution politique. Nous les encourageons à établir un dialogue constructif.
Sputnik France: Il a été décidé à l’issue du sommet de Sotchi que la Russie renforcerait sa présence culturelle en Afrique de l’Ouest. Il n’y a pour le moment aucun Institut A. Pouchkine dans la région. Le projet d’ouverture d’un tel Institut à Dakar est-il toujours d’actualité?
Non, car d’après l’Institut d’État de la langue russe A. Pouchkine et le ministère de l’Enseignement supérieur de la République du Sénégal, il n’est actuellement pas envisagé d’ouvrir d’Institut A. Pouchkine à Dakar.
Cependant, la Fondation «Le Monde russe», l’Association des entrepreneurs russes d’Afrique de l’Ouest (Sénégal) et l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar ont signé le 14 décembre dernier, à Dakar, dans le cadre de la promotion et du développement de la langue russe, un accord de coopération pour la mise en œuvre du programme «Cabinet du Monde russe» destiné à populariser la langue et la culture russe. Il est envisagé d’envoyer au Sénégal des manuels, des livres de littérature, des vidéos et des enregistrements audio, des livres en russe.