La répétition des affrontements meurtriers, fin juillet et mi-août, à Kidal, dans le nord du Mali, en dépit d’une situation présentée comme sous contrôle par les autorités françaises, confirme un délitement local inquiétant. L’accord de paix, signé le 20 juin 2015 à Bamako, entre l’Etat malien et les différentes factions locales, pro et antigouvernementales, ne garantit aucune sécurité. L’armée française, à travers son dispositif régional « Barkhane », est contrainte de maintenir à Kidal des forces redéployées dans la ville en avril alors qu’elle espérait confier cette zone à la seule ONU.
Dans le même temps, la mission des Nations unies au Mali (Minusma) voit, chaque jour, à Kidal, s’agrandir le fossé entre ses moyens limités par son mandat d’intervention postconflit et une instabilité croissante. En un an, 27 de ses membres ont été tués, faisant du Mali la zone la plus dangereuse des zones d’engagement de l’ONU dans le monde. Parmi les victimes, on compte, notamment, le chef et le médecin du contingent tchadien des casques bleus, assassinés par… leurs propres soldats.
Les combats qui ont opposé, à Kidal, les 21, 22 et 30 juillet, puis les 9 et 10 août, des hommes de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, ex-rébellion à dominante touareg) au Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia), un mouvement de la « Plate-Forme » (coalition progouvernementale), ont fait plusieurs dizaines de morts et illustrent l’impasse actuelle. Alors que, quelques jours plus tôt, la CMA et la « Plate-Forme » avaient réaffirmé leur attachement aux accords de paix de 2015, ces affrontements à l’arme lourde et aux mortiers montrent leur grande fragilité.
Rivalité tribale
Car les violences ont pour origine des différends très éloignés de la politique, notamment une rivalité purement tribale entre Imghads et Ifoghas, des Touareg, pour le contrôle de Kidal. Si ces deux tribus sont représentées dans les deux camps adverses, le Gatia considère que les Ifoghas, très présents au sein de la CMA, agissent au préjudice des Imghads, réunis derrière la figure du général El Hadj Ag Gamou, un officier de l’armée malienne dont les relations avec Bamako varient au gré des intérêts des deux parties. Sidi Brahim Ould Sidatt, président de la délégation de la CMA au sein du Comité de suivi de l’accord, a détaillé, dans une note datée du 23 juillet adressé à l’ONU, le caractère tribal de ce conflit qui oppose le Gatia et la CMA.
Selon une source issue du renseignement français au Mali, l’origine des combats à Kidal est à chercher du côté du commerce illicite, très développé dans la partie nord du Mali. D’après cette source, une cargaison de 1,5 tonne de drogue a été interceptée par de jeunes militants de la CMA dans la région de Tinessako. En guise de rétorsion, un officier de la CMA a été assassiné à Kidal sans que le lien avec la drogue soit fait ouvertement, mais ouvrant la voie aux violences de fin juillet et mi-août.
« Les tensions sont apparues quand des coupeurs de route ont saisi le haschich des miliciens de la Plate-Forme, confirme un officier de la CMA, interrogé par Le Monde. Leur véritable objectif, poursuit-il, était d’occuper Kidal pour contrôler le trafic de drogue et nous affaiblir alors que nous étions d’accord pour partager l’autorité sur la ville ; nous nous sommes engagés en faveur de la paix, mais nous sommes seuls et nous savons qu’ils vont encore tout faire pour reprendre la ville. »
Cet officier de la CMA perçoit derrière la violation du cessez-le-feu à Kidal la main du « plus grand trafiquant de Gao » sous le regard bienveillant de Bamako. Celui qui détient Kidal a la main sur la région, et un grand nombre de groupes armés ont goûté à l’argent facile du trafic dans le nord du Mali, ce qui explique, sans doute, en partie, le refus de voir l’Etat et la paix revenir dans la ville. Les autorités maliennes n’y ont pas remis les pieds depuis deux ans.
D’après le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, membre de la CMA), seuls deux hélicoptères français du dispositif « Barkhane » ont survolé Kidal pendant les affrontements. La Minusma est restée dans sa base et ne s’est interposée que le 31 juillet, annonçant avoir mis en place, à Kidal, un « dispositif d’observation » pour contrôler les accès à la ville. Mesures qui n’ont pas empêché les violences de se dérouler à l’extérieur de Kidal le même jour et les semaines suivantes.
Sous la coupe d’AQMI
Le paysage terroriste dans le nord du Mali complique encore davantage la conduite d’un processus de paix en panne et contredit les messages de victoire du chef de l’Etat français, en 2013 et 2014. Le 27 juillet, François Hollande avait lui-même salué « les progrès effectués dans l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali » tout en rappelant « la disponibilité de la France à poursuivre son soutien pour parvenir à sa mise en œuvre dans toutes ses dimensions ».
Cette vaste région était tombée en avril 2012 sous la coupe de groupes liés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), dont Ansar Eddine, après la déroute de l’armée malienne face à la rébellion à dominante touareg, d’abord alliée à ces groupes qui l’ont ensuite évincée. Les terroristes ont perdu le contrôle après l’intervention militaire dirigée par la France en janvier 2013, mais leur menace sur ce territoire n’a pas faibli.
Selon le MNLA, les principaux lieux d’implantation du groupe Ansar Eddine, dont le berceau se trouve à Kidal et dans toute sa région, se concentrent le long de la frontière algérienne, Timiaouine, Inerkache, Tinzawaten jusqu’à la ville algérienne de Tamanrasset. Depuis 2014, Ansar Eddine et AQMI traquent ceux qui coopèrent avec les Français. Les prises d’otages et les assassinats ciblés se sont multipliés.
Le groupe Ansar Eddine, dont l’allié AQMI frappe dans toute l’Afrique de l’Ouest, dispose, d’autre part, de ses propres canaux, avec l’administration malienne et les autorités algériennes. D’après le MNLA, Ansar Eddine contrôle, enfin, une grande partie des katibas d’AQMI présentes dans la région de Kidal et de Ménaka.
LEMONDE