Les dirigeants africains ont signé l’Accord qui officialise la zone de libre-échange continentale (ZLEC), lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) à Kigali (17 – 21 mars 2018). Cette fiche d’information renseigne sur les objectifs de ce projet et les entraves à son effectivité.
En 2012, lors du 19e sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, des dirigeants africains s’étaient engagés à accélérer les efforts d’établissement d’une ZLEC, à l’horizon 2017.
L’ouverture des négociations pour la mise en place de cette ZLEC a été décidée en juin 2015 à Johannesburg où s’est tenu le 25e sommet de l’UA.
L’entame de ces pourparlers intervenait cinq jours après le lancement, au Caire, de la zone de libre-échange tripartite, une entente de coopération et d’intégration interrégionales entre 26 pays du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), de la Communauté Est-africaine (EAC) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
En plus d’être le plus grand bloc économique du continent, la ZLE tripartite constitue, pour les dirigeants africains, un préalable au processus de création de la ZLEC, officialisée ce 21 mars 2018 après la signature, par 44 pays, d’un Accord cadre.
Albert Muchanga, commissaire au commerce et à l’industrie de la Commission de l’UA, a souligné que « la tâche la plus immédiate après la signature des instruments juridiques sur la création de la ZLEC serait d’assurer sa ratification par les Etats membres ».
Ainsi, les signataires doivent à présent faire ratifier l’accord par leurs parlements nationaux. Pour qu’il entre en vigueur, il faudra au moins 22 ratifications. Les dirigeants africains souhaitent parvenir à une ouverture effective de la ZLEC d’ici janvier 2019.
« Stimuler les échanges commerciaux intra-africains »
Le but principal de la ZLEC – un des « projets phares » de l’Agenda 2063 de l’UA – est de « stimuler les échanges commerciaux intra-africains ».
En clair, elle « contribuera à renforcer la résilience des économies africaines aux chocs extérieurs, à améliorer la compétitivité des produits industriels de l’Afrique en exploitant les économies d’échelle d’un grand marché continental », renseigne le document cadre de l’Agenda 2063 de l’UA.
Il s’agit aussi, grâce à cette ZLEC, d’« augmenter la profondeur et l’ampleur de la diversification grâce à la spécialisation géographique et à la transformation de la capacité du continent à répondre à ses besoins d’importation de l’intérieur de l’Afrique, ainsi qu’à promouvoir la sécurité alimentaire grâce à la réduction du taux de protection commerciale des produits agricoles entre les pays africains ».
La ZLEC devra aboutir, d’ici 2028, à la création d’un Marché commun, et d’une Union économique et monétaire en Afrique incluant donc les huit Communautés économiques régionales (CER) de l’UA.
Les 55 membres de l’UA sont concernés par cette zone de libre-échange. L’UA estime la taille du marché à l’intérieur de la ZLEC à plus de 1,2 milliard de personnes avec un PIB cumulé de 2.500 milliards de dollars.
« Si nous enlevons les droits de douane, d’ici 2022 le niveau du commerce intra-africain aura augmenté de 60 %, ce qui est très significatif », a récemment fait valoir M. Muchanga, dans un entretien à l’AFP.
Les entraves
Dimanche, le 18 mars 2018, le président nigérian Muhammadu Buhari a annoncé qu’il ne se rendrait pas à Kigali pour signer l’accord sur la ZLEC.
L’absence du Nigeria – l’une des premières économies du continent – de la signature de cet Accord porte un coup à l’entrain autour de ce projet.
M. Buhari, qui était attendu dans la capitale rwandaise, a dû faire machine arrière sous la pression de « certains actionnaires nigérians » qui ont affiché leur réticence vis-à-vis des conditions de cet Accord, rapporte l’AFP qui cite un communiqué de la présidence nigériane.
Toutefois, « l’un des aspects les plus préoccupants sera de voir comment ces négociations pourront être conciliées avec les Accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les États membres africains dans différentes configurations régionales », alerte l’étude exploratoire sur la conception de la ZLEC réalisée en mai 2016 par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.
Selon Jacques Berthelot, économiste, spécialiste des politiques agricoles européenne et africaine, « la raison commande de commencer par renforcer chaque CER avant d’élargir le libre échange à plusieurs CER et a fortiori à l’ensemble du continent ».
« La ZLEC pourrait être crédible en 2063 mais avant il faut consolider pendant plus d’une génération les communautés économiques régionales comme la CEDEAO, l’EAC…pour en faire non seulement de vrais marchés communs au plan économique mais aussi aux plans monétaire, fiscal, social, environnemental », a-t-il indiqué, interrogé par Africa Check.
Jacques Berthelot rappelle que même l’Union européenne (UE) « n’a pas encore réussi à accomplir cela, plus de 60 ans après le Traité de Rome (1957), alors qu’elle a utilisé un tiers de son budget aux fonds structurels et de cohésion qui ont permis aux Etats moins développés (Grèce, Portugal, Espagne notamment) dans l’UE à 15, puis les pays entrés depuis 2004 de réduire leur écart de niveau de vie et de compétitivité avec celui de l’UE15 ».
« Ainsi la Pologne est le plus gros bénéficiaire net du budget européen. Or, aucun mécanisme politique de ce genre n’est prévu pour la ZLEC, et n’existe déjà pas dans les CER. Sans un minimum de redistribution entre Etats africains, les tentatives d’intégration purement commerciales ne feront que marginaliser les Etats et régions les moins compétitifs et créeront les révoltes sociales », martèle l’économiste.
En outre, ajoute-t-il, ce sont les multinationales étrangères, dont de l’UE, qui dominent déjà les investissements en Afrique et la baisse des droits de douane appauvrira tous les Etats, a fortiori les moins développés.
Sur l’absence du Nigeria à la signature de cet accord, Jacques Berthelot juge que « le Nigéria a fait preuve de lucidité et de courage politique, comme de démocratie en écoutant à la fois ses entreprises et ses syndicats et tous les Etats qui vont signer (l’accord de) la ZLEC envoient un très mauvais message quant à leur capacité de ne pas signer et mettre en oeuvre les APE (Accords de partenariat économique) puisque les pertes de droits de douane dues à la ZLEC seraient supérieures à celles dues aux APE, a fortiori si le projet de constituer une Union douanière continentale prévue pour 2019 était confirmé ».